Le Clotilda, considéré comme le dernier navire négrier arrivé aux États-Unis, aurait transporté 110 captifs africains. Il serait arrivé en Alabama, et son expédition lancée en 1855. L’ancien navire est aujourd’hui une épave.
La traite transatlantique est un fait historique, néanmoins peu de navires ont été retrouvés. Certains ont même été brûlés pour qu’il ne reste pas de traces. Les enjeux d’un tel vestige du passé sont grands. Les descendants de ces esclaves, les habitants de l’Africatown, maintiennent la mémoire, pour que ne soit pas oublié cet épisode noir d’une Histoire qui continue de déterminer les relations entre les Blancs Américains et les Afro-Américains.
Le Clotilda garde encore ses secrets.
Sous le commandement du capitaine William Foster, le Clotilda a quitté le port de Mobile, en Alabama, pour le royaume de Dahomey (actuel Bénin), où il a embarqué 110 hommes, femmes et enfants africains destinés à être vendus comme esclaves.
Le voyage du retour a été réalisé dans le plus grand secret, avec des précautions extrêmes pour éviter de se faire repérer par les autorités américaines. Une fois arrivé en Alabama, pour échapper à la justice, le navire a été brûlé et coulé dans la rivière Mobile afin de dissimuler les preuves de ce trafic illégal.
En effet, risquant la peine de mort si ses activités étaient découvertes, Foster décida de couler le bateau après l’avoir brûlé. 26 mètres d’horreur coulés dans le fleuve Mobile. Malgré les années, de nombreuses parties du navire sont restées intactes, selon The Associated Press. Cependant, les captifs du Clotilda ont été vendus à des propriétaires d’esclaves locaux, et leurs descendants vivent encore aujourd’hui dans la communauté de Africatown, une banlieue de Mobile fondée par ces Africains réduits en esclavage après la guerre civile.
La re-découverte du Clotilda en 2019, après des décennies de recherche, a confirmé les récits oraux transmis par les descendants de ces captifs. Cette découverte a suscité un regain d’intérêt pour cette page méconnue de l’histoire américaine, et a apporté un peu de reconnaissance des souffrances des Africains capturés à bord de ce navire. Le Clotilda est aujourd’hui perçu non seulement comme un témoin de l’horreur de l’esclavage, mais aussi comme un symbole de survie pour les descendants de ses passagers.
Encore en mai 2022, le navire était fouillé par des plongeurs de la société Resolve Marine. L’Alabama Historical Comission place un poing d’honneur à en savoir plus sur l’histoire de cette épave, de ses esclaves balottés dans un navire pour marchandises, des conditions inhumaines de leur traversée, des noms des coupables. Le Clotilda a accosté en 1860, alors même que l’importation d’esclaves était devenue interdite depuis 1808 aux États-Unis. C’est une interdiction que le propriétaire du bateau, Meaher, riche armateur, a choisi d’ignorer.
Suite à sa re-découverte, on y voit des enclos, ceux qui retenaient les esclaves Noirs comme des bêtes.
La découverte du navire confirme la véracité des crimes commis. Véracité que Foster n’a su brûler. “L’une des choses tellement importantes [au sujet de cette découverte] est qu’elle montre que la traite des esclaves a duré plus longtemps que ce que la plupart ne pensent”, a déclaré Lonnie Bunch en 2019. Il est historien et l’ancien directeur du National Museum of African American History and Culture, Washington D.C.
Les esclaves et leur héritage après Le Clotilda – Africatown.
Étonnant que l’on parle davantage du navire que des personnes qui ont été transportées sur ce navire et réduites en esclavage. Les 110 esclaves ont embarqué de façon illégale cinquante deux ans après l’interdiction de la traite négrière aux États-Unis. Ils étaient survivants d’un raid meurtrier au royaume de Dahomey, captifs du Nigéria, d’ethnies Yoruba, Ishan, Nupés et plus encore. Comme tous les esclaves, ils ont d’abord été arrachés à leurs familles avant d’être assujettis. Humiliés une fois à bord, dépouillés du moindre de leurs vêtements. Ils s’appelaient Ar-Zuma, Oroj, Adissa, Kupollee, Oluale.
Les archives montrent que les captifs, bien que déplacés, avaient à cœur de garder leurs rites, notamment funéraires. Ils étaient soudés dans l’horreur et s’appelaient tristement « shipmates » ou « compagnons de bord » en français. Cette volonté de conserver le groupe soudé, de transmettre les valeurs et les rites africains originels qui étaient les leurs est aussi ce qui fait depuis toujours la caractéristique de l’Africatown.
À partir de 1865, les esclaves sont officiellement affranchis, à l’issu de la fin de la guerre de Sécession. Les shipmates désirent plus que tout rentrer auprès des leurs en Afrique, mais ce n’est pas réalisable à ce moment-là, pour des raisons financières et matérielles principalement. Ils achètent aux Meaher et à d’autres propriétaires locaux des parcelles de terres. Ils baptisèrent le village « Africatown » et élurent même un chef, Gumpa, comme cela se fait dans de nombreux villages africains.
À partir de cet instant, la communauté d’Africatown affirme son identité et son appartenance ethnique. Ils ne sont pas réellement Américains: ils sont avant tout Africains et entendent bien ne pas trahir leurs racines.
La communauté de l’Africatown : une communauté qui éveille de plus en plus l’intérêt.
Cette petite ville d’Alabama connaît un essor touristique remarquable. Les descendants de ceux qui étaient appelés par Foster des « propriétés personnelles » y restent pour continuer à faire vivre l’Histoire. Leurs ancêtres ont été vigilants à continuer de parler les langues comme le yoruba, porter leurs coiffures, suivre leurs organisations traditionnelles.
Puisque leur histoire a été racontée, notamment par la romancière Zora Neale Hurston dans Baaracoon, ils ont exigé de garder leurs vrais noms. Ce sont donc le témoignage de Kazoola, un des fondateurs de l’Africatown, et celui de John Smith, petit fils d’un des esclaves ayant vécu la traversée, qui laissent une mémoire vive dans l’actuel Bénin.
Les historiens, les chercheurs et le grand public sont de plus en plus intéressés par ces découvertes: elles font un pont entre les Africains et les Afro-Américains qui, c’est indéniable, ont une histoire commune. Pour toujours, le Bénin et l’Alabama seront tristement liés. Mais la création de l’Africatown est aussi une démonstration de résistance et d’espoir. Les descendants y sont éduqués dans le respect et la compréhension de leurs racines africaines. Ce qui est assez rare et précieux dans le pays où les Afro-Américains rencontrent, sans aucune surprise, un problème identitaire profond, partagés entre la terre qui a soumis leurs ancêtres comme esclaves et celle qu’ils n’ont jamais connue.
L’histoire sans cesse approfondie du Clotilda vulgarise les connaissances transmises au sujet de la traversée, de l’histoire de l’esclavage aux États-Unis et de la honte que représente aujourd’hui encore la Traite Atlantique. Le travail d’historien, lorsqu’il est fait avec honnêteté et transparence, accomplit le devoir de mémoire.