Le gouvernement prévoit jusqu’à 50 milliards d’euros d’économies pour ramener le déficit public à 4,6 % du PIB en 2026, les arbitrages s’annoncent périlleux. Avec une croissance atone et une inflation en recul, la France commence un effort budgétaire herculéen.
Éric Heyer, directeur du département Analyse et Prévision à l’OFCE (Observatoire français des conjonctures économiques) et spécialiste reconnu des politiques économiques françaises, décrypte les choix qui s’offrent à l’exécutif et attire l’attention sur les effets potentiellement récessifs d’une stratégie exclusivement centrée sur la baisse des dépenses.
Le gouvernement vise 50 milliards d’économies pour ramener le déficit à 4,6 % en 2026. Un pari risqué pour la croissance ?
Cela risque d’être très difficile. Imaginer que l’on puisse économiser 40 milliards d’euros sans que cela ait la moindre incidence sur l’activité économique relève probablement de l’illusion. Un tel ajustement budgétaire aura inévitablement un effet négatif, au moins à court terme, sur la croissance. L’enjeu est donc de mettre en place des mesures qui affectent le moins possible la consommation des ménages, l’investissement des entreprises ou, d’une manière générale, la compétitivité du tissu productif.
C’est une tâche ardue, car même lorsqu’il s’agit de réduire des dépenses que l’on qualifierait de « gaspillages », ces fonds bénéficiaient malgré tout à des citoyens, qui les utilisaient pour consommer ou investir. Cela ne signifie pas qu’il ne faut rien faire, mais il faut avoir conscience que ces coupes auront des répercussions sur l’activité économique, et donc sur les perspectives de croissance.
Le ministre de l’Économie Éric Lombard veut concentrer l’effort sur les dépenses publiques. Est-ce réaliste ?
Il y a plusieurs façons d’aborder cette question.
La première, c’est celle de la justice sociale. Il faut se souvenir que si nos finances publiques sont aujourd’hui aussi déséquilibrées, avec un déficit autour de 6 % du PIB, c’est en grande partie en raison des choix opérés durant la crise sanitaire, notamment la politique du « quoiqu’il en coûte » en 2020 et 2021. Ces aides ont été massives, mais peu ciblées. On a ensuite prolongé cet effort avec les boucliers tarifaires mis en place en 2022, 2023, et même encore en partie en 2024.
Ainsi, cela fait cinq années consécutives de soutien public très généreux, attribué sans distinction. Les aides ont été distribuées uniformément, sans différencier les entreprises performantes de celles en difficulté, ni les ménages selon leur niveau de revenu ou leur localisation. Ce soutien généralisé a évidemment coûté cher. Et aujourd’hui, vient le temps du rééquilibrage.
Dans cette optique, il serait logique que tout le monde participe à l’effort collectif, dans la mesure où chacun a bénéficié de ces aides. Mais refuser d’avoir recours à l’outil fiscal revient à se priver d’un levier essentiel.
“Schématiquement, les dépenses publiques profitent davantage aux classes moyennes et populaires, tandis que la fiscalité pèse plus fortement sur les foyers aisés.“
Autrement dit, si l’on souhaite solliciter une contribution des ménages les plus favorisés, cela passe nécessairement par l’impôt, et non par une réduction des dépenses publiques. D’un point de vue équitable, il est donc regrettable de se priver de cet instrument.
La deuxième raison concerne l’impact macroéconomique. Oui, un ajustement de 40 milliards a un effet sur l’activité. Mais la manière dont on le met en œuvre est cruciale. On sait aujourd’hui que les hausses d’impôts sont, en règle générale, moins récessives que les réductions de dépenses. C’est ce que montrent de nombreux modèles économiques. Un prix Nobel a d’ailleurs été attribué pour avoir démontré ce point.
Pourquoi cela ? Parce que l’impôt touche en priorité les ménages les plus aisés, tandis que les coupes budgétaires affectent davantage les classes populaires et moyennes. Or, ces dernières ont une propension à consommer beaucoup plus élevée. Réduire leur revenu disponible a donc un effet plus immédiat et plus fort sur la demande intérieure.
À court terme du moins, le débat est plus ouvert à long terme, il est donc préférable, en termes d’efficacité comme de justice, de combiner efforts sur la dépense et recours à la fiscalité.
Enfin, il faut mesurer l’ampleur de l’ajustement : 40 milliards d’euros d’économies, c’est énorme. Si l’on exclut les hausses d’impôts et que l’on s’interdit de toucher aux retraités, comme cela semble être envisagé, alors l’objectif devient quasiment inatteignable. Ce serait un choc budgétaire d’une intensité sans précédent.
Si l’on veut vraiment atteindre ces 40 milliards, il faudra mobiliser tous les leviers disponibles. Cela implique une participation de tous les acteurs : retraités, actifs, classes aisées, classes moyennes, État, collectivités territoriales.
Quelles seront les conséquences si l’on réduit l’aide à l’emploi ou au logement ?
Pour l’emploi
Sur l’emploi, on peut évoquer un exemple concret : l’apprentissage. Cette politique a produit des résultats tangibles. Elle est certes coûteuse, environ 25 milliards d’euros par an, mais elle a permis de multiplier presque par trois le nombre d’apprentis, passé de 350 000 à près d’un million. Elle a aussi contribué à une baisse significative du chômage chez les jeunes.
Aujourd’hui, on envisage de réduire ces aides, en transférant la charge du financement des formations vers les entreprises. Cela risque de freiner l’élan. Si l’incitation financière diminue, le nombre d’apprentis devrait logiquement baisser en 2025 et 2026, entraînant une remontée du chômage des jeunes. Les effets seront rapidement visibles dans les chiffres de l’emploi. C’est un phénomène de vases communicants : on retire un levier public, on en constate les conséquences directes.
Pour le logement
On traverse depuis des années une crise du logement structurelle. L’offre ne suit pas la demande, les difficultés d’accès au logement sont croissantes, et les taux d’effort des ménages les plus modestes, explosent. La qualité des logements se dégrade également.
Je ne dis pas qu’il faut absolument maintenir toutes les aides existantes, car certaines sont inefficaces. Mais ce n’est pas parce que certains dispositifs ne fonctionnent pas qu’il faut supprimer toute politique publique en matière de logement. Ce secteur mérite une attention prioritaire.
“Les aides peuvent être mieux ciblées, accompagnées de conditions plus rigoureuses, mais s’en désengager totalement serait une erreur majeure.“
Le mal-logement a des conséquences lourdes et durables : sur les résultats scolaires des enfants, sur l’absentéisme au travail des parents, sur les inégalités sociales, sur la capacité d’adéquation entre l’offre et la demande d’emploi. Investir dans le logement doit, selon moi, figurer parmi les premières priorités du gouvernement.
Ramener le déficit sous 3 % du PIB en 2027, est-ce crédible ?
Cela semble difficilement réalisable. D’ailleurs, je pense que le gouvernement ne devrait pas se fixer un objectif nominal de déficit. Car la réduction du déficit dépend à la fois des efforts budgétaires décidés, mais aussi de la conjoncture économique.
Or, la croissance peut être affectée par des chocs exogènes totalement indépendants de la politique économique nationale : une intensification de la guerre en Ukraine, une escalade protectionniste menée par les États-Unis, des tensions géopolitiques accrues… Ces facteurs sont imprévisibles.
Le gouvernement est obligé de faire des prévisions, bien sûr, mais il ne peut en aucun cas garantir leur réalisation. Dans un contexte d’incertitude aussi élevée, il serait plus sage de ne pas s’engager sur un niveau de déficit futur, mais plutôt sur les efforts concrets consentis.
Autrement dit, on peut voter au Parlement les efforts budgétaires que l’on impose aux Français pour les cinq prochaines années, les répartir clairement entre les différents acteurs – ménages, entreprises, administrations, collectivités locales – et s’engager à les tenir. C’est sur cette base qu’un engagement politique est possible.
Le reste – le niveau final du déficit, l’impact sur la croissance – dépendra de facteurs que nul ne maîtrise totalement.
La suppression de niches fiscales peut-elle vraiment aider ?
Amélie de Montchalin évoque le projet d’une suppression de niches fiscales, mais accompagnée d’une baisse équivalente des impôts. Dans ce cas, cela n’a strictement aucun effet sur le déficit.
Certes, d’un point de vue comptable, les crédits d’impôt et autres niches sont considérés comme de la dépense publique. Mais pour les contribuables, ce sont des allègements fiscaux. Si vous supprimez des niches et que vous réduisez en parallèle les impôts du même montant, cela revient à une simple opération d’affichage : la dépense publique baisse, les prélèvements obligatoires aussi, mais le solde budgétaire reste inchangé.
Cela dit, il peut être utile de simplifier le système. Il existe aujourd’hui 467 niches fiscales. C’est probablement trop, et cela crée des inégalités d’accès : seuls ceux qui peuvent se payer un avocat fiscaliste en profitent pleinement. Une réforme visant à clarifier et à rationaliser le système serait bienvenue.
Mais si l’objectif est de réaliser des économies budgétaires, alors il faut supprimer des niches sans compenser par des baisses d’impôts. Cela, oui, permettrait de contribuer à l’effort global des 40 milliards. Et comme ces dispositifs profitent davantage aux ménages aisés, ce serait aussi un moyen pertinent de les faire participer à l’effort collectif.