Dans un moment décisif pour la Banque centrale européenne (BCE), l’institution se prépare à prendre l’une de ses décisions les plus difficiles de ses 25 années d’existence. Le point central de cette décision est de savoir s’il faut continuer à relever les taux d’intérêt pour la dixième fois consécutive afin de contenir une inflation persistante. La BCE, responsable de la politique monétaire des 20 États membres de la zone euro, se trouve dans une situation délicate. Alors que l’économie de la zone euro a considérablement ralenti, l’inflation continue de se maintenir de manière inconfortable au-dessus des niveaux cibles.
Alors que les banquiers centraux se réunissent à Francfort, en Allemagne, cette semaine, la principale question qui plane sur les délibérations est de savoir si les taux actuels sont suffisamment restrictifs pour ramener l’inflation vers l’objectif mandaté de deux pour cent de la BCE ou si une nouvelle hausse des taux est nécessaire. Cette décision a divisé les analystes et les investisseurs, beaucoup la qualifiant de décision à pile ou face. De plus, des dissensions commencent à se manifester au sein des décideurs politiques, notamment lorsque certains pays peinent à faire face à un environnement à taux élevés.
Simon Harvey, chef de l’analyse FX chez Monex Europe, a décrit la situation en déclarant : « Il s’agit d’une banque centrale qui ressemble parfois à un cirque. Nous ne l’avons pas vraiment vu au cours de l’année écoulée, car les conditions justifiaient une sorte de cohésion et d’alignement derrière une démarche unifiée pour lutter contre l’inflation. Mais maintenant, on commence à voir apparaître des fissures. »
Au cours de l’année écoulée, la BCE a entrepris une série de hausses de taux d’intérêt, portant ses taux directeurs de base à 425 points de base depuis juillet 2022. Le taux de dépôt, qui était resté en territoire négatif depuis 2014, atteint désormais 3,75 pour cent, égalant un record historique. Les effets de ces mesures de resserrement se font sentir, avec une chute significative des permis de construire pour les appartements en Allemagne, une baisse de la production et des commandes industrielles dans toute la région, et une réduction des prêts bancaires. La croissance de la zone euro au deuxième trimestre n’a été que de 0,1 pour cent.
Cependant, malgré ce ralentissement économique, le marché du travail demeure une source de force, avec un taux de chômage qui se maintient à un niveau historiquement bas de 6,4 pour cent. La présidente de la BCE, Christine Lagarde, attribue cette résilience au « stockage de main-d’œuvre », suggérant que les entreprises conservent leurs employés en raison de la difficulté à trouver des travailleurs qualifiés.
Les données sur l’inflation présentent un tableau complexe. Bien que le taux de croissance annuel des prix à la consommation soit passé de son pic de 10,6 pour cent, il se situe toujours à 5,3 pour cent. L’inflation de base, hors énergie et alimentation, reste obstinément élevée, à 5,3 pour cent, à peine mieux que son pic de 5,7 pour cent en mars. L’inflation des services est également élevée, et compte tenu du marché du travail tendu, une forte croissance des salaires pourrait encore alimenter la hausse des prix.
Dans leurs déclarations publiques, les décideurs de la BCE se sont abstenus de signaler une préférence claire pour la prochaine décision en matière de taux. Cependant, certains banquiers centraux ont exprimé des opinions plus explicites, le chef de la Banque centrale de Slovaquie plaidant en faveur d’une dernière hausse des taux cette semaine, tandis que d’autres adoptent une position plus prudente.
L’arène politique est également entrée dans la mêlée, des élus en Espagne et en Italie critiquant ouvertement les hausses de taux de la BCE et remettant en question la nécessité de mesures supplémentaires. On s’attend à ce que ces discordances s’intensifient dans les mois à venir, les banquiers centraux soulignant qu’il est trop tôt pour discuter de réductions de taux. Avec des taux d’intérêt maintenus à un niveau élevé, les ménages et les gouvernements endettés pourraient être soumis à une pression accrue, tandis que les conditions économiques dans la zone euro continuent de se détériorer.
Malgré ce contexte économique sombre, des économistes comme Andrew Kenningham, chef économiste pour l’Europe chez Capital Economics, prévoient une nouvelle hausse de 25 points de base cette semaine. Ils soutiennent que le mandat principal de la BCE est de contrôler l’inflation, et que l’activité économique ne devrait pas être la principale préoccupation.
Simon Harvey de Monex Europe partage ce point de vue, suggérant que la BCE préférerait prendre l’assurance d’une augmentation des taux plutôt que de risquer de devoir reprendre les hausses ultérieurement dans des conditions plus difficiles.
Néanmoins, la décision finale reste loin d’être certaine, et, comme le conclut Simon Harvey, « Il y a pratiquement un argument de chaque côté. Je pense que la principale conclusion est que cela ne sera pas une décision unanime. »
L’issue de cette réunion cruciale de la BCE aura sans aucun doute des implications significatives à la fois pour l’économie de la zone euro et le paysage financier mondial. Les investisseurs et les observateurs du monde entier suivront de près la manière dont la BCE gère cette décision cruciale dans un contexte économique complexe.