Le 7 septembre 1553 annonce la naissance d’une reine qui changera l’histoire de l’Angleterre à jamais. Sa force et sa férocité sont nées de la frustration face à l’exécution de sa mère, Anne Boleyn, qui n’avait su donner qu’une fille à son roi Henri VIII.
Retour sur la vie d’Élizabeth Ire, sa peur d’être tuée à cause de sa féminité et de perdre son pouvoir au profit d’un potentiel mari. Sa conscience de son statut de femme et de la férocité qu’elle allait devoir déployer pour s’en protéger fut la source de la force de la Reine Vierge.
Nous avons pu échanger avec Karine Micard, maître de lettres à la Sorbonne, qui nous éclaire au sujet de cette reine phare.
Elizabeth, la femme séparée de la reine
Qu’aurait-on dit d’Élizabeth si elle avait été une humble femme de son temps et non une reine ?
Dès son plus jeune âge, elle reçoit une éducation admirable. Elle apprend de multiples langues : le latin et le grec, l’anglais, le français et l’italien.
Elle ne fut jamais mère, car elle ne se maria pas. Et pourtant, Élizabeth n’est pas une femme isolée : elle est désirée par de nombreux hommes. Elle est secrète et mystérieuse, et entretient ses passions dans le secret de chambres bien gardées. Il y eut tout de même un homme qui lui fit reconsidérer le mariage : Robert Dudley. Marié, il perd sa femme Amy en 1560, qui se tue en tombant dans les escaliers.
Religieusement, Élizabeth est tolérante. Elle n’aime pas les extrêmes, encore moins quand il s’agit de foi. Préférant maintenir la place importante de Dieu dans sa vie, elle n’en fait pas non plus une obsession. Élizabeth est une battante, affirmant qu’elle n’a pas besoin des hommes pour être libre et puissante. La vie tragique qu’eut sa mère, Anne Boleyn (1501-1536), exécutée par son propre mari, détermina ce caractère chez sa fille.
La reine vierge qui ne voulait pas le destin amoureux et funeste de sa mère
La reine commence son règne dans une Europe aux tensions religieuses palpables.
Depuis la Réforme protestante, catholiques et protestants se déchirent au nom du « vrai christianisme ».
Ce qu’Anne Boleyn n’a pas eu le temps d’être, Élizabeth Ire prend plus de 40 ans de règne pour le construire. Elle fait de son image une figure d’adoration de son peuple, une figure de crainte et de respect des autres peuples européens, particulièrement français.
Anne Boleyn, quoique morte, est rétablie dans sa figure de reine mère dès qu’Élizabeth s’assoie sur le trône. Un portrait de la reine est mis en évidence dans le château. Accusée de tromperie et de haute trahison, diffamée et décapitée par le roi, Anne Boleyn est comme un guide spirituel pour la reine.
Son amour pour Henri VIII a conduit Anne dans un mariage funeste pour elle, alors Élizabeth décide de ne partager son pouvoir avec aucun homme. Elle ne peut décemment pas non plus mener ses amours à la libre connaissance de toute la cour. La souveraine fait donc de sa personne un mythe : celui de la Reine Vierge.
Le traumatisme des deux femmes : l’emprisonnement
Henri VIII était un roi capricieux, avec un amour insatiable des femmes et de leurs corps. Il courtise Anne Boleyn pendant près de 7 ans. Cette dernière finit par devenir son épouse. Cela la mène à sa perte car, après une fausse couche en 1534, un garçon mort-né en 1536, et la naissance d’Élizabeth qui a déjà précédé tous ces évènements en 1533, le roi s’impatiente.
Il lui faut un garçon ! Un héritier. Et si sa femme ne peut lui donner, alors il en épousera une autre. Il la fait emprisonner pour adultère avec plusieurs hommes et pour inceste avec son propre frère.
Cette annonce rend Élizabeth illégitime aux yeux de l’Angleterre. Et pendant que la femme du roi dépérit dans la tour de Londres où elle est enfermée avant d’être décapitée, le roi se remarie : Jane Seymour est la nouvelle reine.
De son côté, Élizabeth a également été enfermée dans cette même tour. La répétition de l’histoire ne lui échappe pas : revivre une part du traumatisme de sa mère n’a fait que réveiller la volonté d’Élizabeth de protéger son pouvoir. C’est sa sœur, la reine catholique Marie La Sanglante, qui est à l’origine de cet emprisonnement. Très impopulaire et tenant fermement au maintien du catholicisme, elle persécute les protestants les uns après les autres, elle les fait même brûler vifs.
Mêlée à tort à un complot pour renverser sa sœur, Élizabeth est maintenue près de cinquante jours dans la Tour de Londres. Le 17 novembre 1558, Élizabeth monte sur le trône, que Marie, après de nombreuses fausses couches, sans héritier, lui laisse, mourant à 42 ans.
Une souveraine qui inspire encore les femmes !
Les recherches historiographiques nous amènent toujours à reconsidérer l’Histoire des grands personnages, particulièrement des grandes femmes puissantes et inspirantes.
Karine Micard, écrivaine initiatique et historique, s’intéresse à la nation de féminin sacré. Diplômée de La Sorbonne, Karine Micard a réalisé une série de podcasts pour Ouest France, « On ne va pas refaire l’histoire ? », Notamment un concernant la vie d’Anne Boleyn racontée par sa fille Élizabeth Ire.
Par son travail, elle souhaite que les « lecteurs envisagent Elizabeth 1re un peu autrement. » De manière non conventionnelle, elle préfère « évoquer [les] émotions » des grands personnages, « au lieu de juste raconter leur histoire. »
Nous avons posé quelques questions à cette écrivaine qui veut voir les personnages historiques sous un autre angle.
Selon vous, la reine a-t-elle cherché à protéger et à libérer les droits des femmes par la vie qu’elle a choisie de mener, après avoir vu les droits d’Anne Boleyn bafoués ?
« En étant témoin de la triste histoire d’Anne Boleyn, Elzabeth 1re s’est construit une armée de défiances. […] Elle s’est promis de ne jamais faire partie de ces femmes diminuées et tues à cause de ce principe masculin beaucoup trop dominant.
Son but fut de venger cette mère. Je ne pense pas qu’elle ait cherché à libérer le droit des femmes, ce que je sais, c’est qu’elle cherchait à se venger personnellement, directement. En vivant cette blessure d’injustice petite, elle a cherché à avoir le contrôle sur toute sa vie…et sur celle des hommes autour d’elle. »
Sur quels points Élizabeth 1re est, selon vous, également un témoignage de sa relation avec son père, le roi Henri VIII?
« Les droits d’Elizabeth ont été bafoués à la mort d’Anne Boleyn puisque Henri VIII ne l’a pas légitimée en l’écartant de la ligne de succession.
Toute sa vie, même en tant que reine, elle ne l’oubliera jamais. Puisqu’on n’a jamais su écouter sa mère, Elizabeth fera figure d’autorité, comme l’aurait fait un homme.
Elle admirait son père sur un plan politique, mais le détestait dans ses choix de vie personnels. C’est la raison pour laquelle jamais elle ne se maria ni n’eut d’enfant. »