La fin du XIXe siècle est marquée par des tensions géopolitiques grandissantes. L’industrialisation bat son plein, les nationalismes s’affirment, et chaque État cherche à imposer son influence à l’international.
Au sein d’une Europe marquée par des diversités culturelles, la variété linguistique apparaît comme un facteur supplémentaire de séparation.
Une langue d’unification émerge alors : l’espéranto. L’espéranto, dont le nom signifie « celui qui espère », porte en son étymologie son idéologie utopique. En effet, l’espéranto est une langue à portée universelle visant à unifier différents peuples et cultures autour d’une intelligibilité commune.
L’idée d’une langue comprise par tous
L’idée de l’unification des peuples à travers une seule langue est ancienne et puise ses sources dans des origines bibliques. Selon l’histoire de la tour de Babel, les Hommes parlaient tous un langage unique, ils ont décidé de construire ensemble une tour atteignant les cieux. Dieu, pour punir leur arrogance, décide qu’ils ne se comprendront plus entre eux. C’est ainsi que, selon la Bible, la diversité linguistique est née. Depuis, la diversité linguistique est souvent vue comme un obstacle à l’unité.
La genèse de la langue espéranto
En 1887, l’ophtalmologue polonais Louis-Lazare Zamenhof invente l’espéranto, une langue artificielle créée de toutes pièces, aux ambitions universelles.
Le docteur Zamenhof surnommé le docteur Espéranto a bâti cet idiome avec l’idée sous-jacente que si tous les peuples se comprenaient alors, il n’y aurait plus de conflits dans le monde. Cette portée pacifiste allouée à l’espéranto la différencie des autres langues artificielles en vigueur à la fin du XIXe siècle, tel que le Volapük.
Afin de se propager et de devenir une langue internationale, l’espéranto se doit d’être facile à apprendre. Ainsi, le docteur Zamenhof use de bribes de langues romanes, germaniques et slaves pour bâtir son instrument de paix. Le but de l’espéranto n’est pas de remplacer les langues naturelles, mais de les compléter en offrant un outil de communication international.
Malgré sa simplicité, l’espéranto met du temps à se faire une place. Cette “idéolangue” se répand en URSS, en Europe de l’Est et en Allemagne où elle éclipse le Volapuk, mais peine à s’implanter dans les pays latins et en Angleterre. Cette réticence peut s’expliquer, selon Alfred Binet, par un manque de propagandistes actifs dans ces pays.
En France, il a fallu attendre le début du XXe siècle, pour entrevoir les prémices du mouvement avec la création du journal “L’espérantiste” et l’avènement de plusieurs filiales S.P.P.E (Société Pour la Propagation de l’Espéranto) dans l’hexagone.
Un succès en demi-teinte
L’espéranto ne se veut pas seulement une langue universelle, mais aussi une langue égalitaire, accessible à tous, y compris aux classes populaires.
Cette aspiration a par ailleurs, pu nourrir le scepticisme de certaines élites concernant l’Espéranto.
À la fin de la Seconde Guerre mondiale, cette langue aux désirs universels prend de l’épaisseur en Chine et en Europe de l’Est en réponse à l’expansion de l’idéologie américaine portée par la langue anglaise. Dans le reste du monde, l’intérêt pour l’espéranto ne dépasse plus celui de la sphère académique et ses ambitions universelles s’évaporent peu à peu.
Si les désirs pacifistes et universalistes de l’espéranto se sont vus balayés par l’avènement de deux guerres mondiales et de l’hégémonie de l’Anglais, la langue a connu un succès relatif.
Qu’en est-il de l’espéranto aujourd’hui ?
Aujourd’hui, le nombre de locuteurs natifs de l’espéranto se chiffre autour de 1000. Concernant le nombre de personnes employant l’espéranto à l’échelle mondiale, selon le linguiste spécialiste en la question James Costa, il y aurait entre un et deux millions de locuteurs de l’espéranto à travers le monde en 2021. Ces chiffres sont bien en deçà de l’objectif universel associé à cette langue ; néanmoins l’espéranto continue de vivre.
Il est par exemple possible de suivre des leçons d’espéranto sur la célèbre plateforme Duolingo dédiée à l’apprentissage de langues. Une culture espérantophone s’est développée en parallèle de la langue, avec des dates marquées dans le calendrier, des films, musiques et travaux académiques en espéranto, en plus d’un hymne et d’une pluralité de proverbes. Plusieurs références sont faites à l’espéranto dans la pop culture comme dans la compilation “HIStory On Film Volume II” dans laquelle Michael Jackson a intégré un discours prononcé en espéranto.
Ainsi, bien que l’espéranto n’ait pas eu le succès escompté, une communauté internationale s’attache à faire vivre cette langue et ses idées. La naissance d’une culture espérantophone dépassant toutes frontières assure la prospérité de cette langue qui a su résister au temps, mais pas à l’emprise de la langue anglaise.
Il a su traverser le temps, résistant à l’oubli, même s’il n’a jamais pu rivaliser avec l’anglais. Peut-être que son idéal de paix et d’unité restera une utopie, mais son existence prouve qu’une langue, même artificielle, peut rassembler au-delà des frontières.
“La communication des peuples est si grande qu’ils ont absolument besoin d’une langue commune” – Montesquieu