La prostitution à Majorque, comme dans de nombreuses régions touristiques, est un phénomène complexe influencé par des facteurs socio-économiques, historiques et culturels. L’île, un des hauts lieux du tourisme espagnol, voit ce phénomène exacerbé par l’afflux massif de visiteurs, notamment pendant la haute saison touristique.
La prostitution à Majorque a des racines profondes et des implications multiples, allant de l’exploitation des femmes immigrées à l’impact de la demande générée par les touristes.
Majorque et son laisser-faire.
La question de la prostitution à Majorque remonte aux dernières années du régime franquiste. En 1975, Rosa Arregui a mené une étude pionnière intitulée « The Misfit and Marginalized Woman » qui mettait en lumière la situation des femmes marginalisées et impliquées dans la prostitution à Majorque, particulièrement sous l’influence de l’essor du tourisme. Elle a souligné les effets des défis économiques et de la migration sur la marginalisation des femmes, souvent poussées vers la prostitution faute d’autres alternatives économiques viables.
Cette étude a marqué le début d’une réflexion sur l’intersection entre tourisme et prostitution à Majorque, un phénomène qui a pris de l’ampleur avec l’augmentation du nombre de visiteurs étrangers, en particulier des marins de la flotte américaine, comme l’a documenté Arregui.
Sous Franco, la prostitution était considérée comme une infraction à l’ordre public. Les femmes arrêtées étaient présentées devant le Tribunal spécial pour la dangerosité et la réhabilitation sociale, tandis que leurs clients échappaient souvent à toute sanction. Cela créait une dynamique inégale où les travailleuses du sexe étaient davantage criminalisées que leurs clients, une situation qui continue de résonner dans les débats actuels sur la prostitution.
Le tourisme à Majorque, qui est le moteur économique de l’île, a eu un impact direct sur le développement de la prostitution. À mesure que l’économie touristique s’est développée, attirant des travailleurs et des travailleuses précaires d’autres régions d’Espagne, les possibilités d’emploi stable étaient limitées pour de nombreuses femmes migrantes. Cela les a parfois contraintes à se tourner vers des activités informelles, y compris la prostitution.
Les statistiques modernes montrent que la prostitution sur l’île suit les fluctuations du tourisme. Des organisations telles que Médecins du Monde ont rapporté que les cas de prostitution doublent pendant la haute saison touristique, attirant un grand nombre de visiteurs qui deviennent des consommateurs de services sexuels. La demande croissante pendant ces périodes a un effet direct sur le nombre de travailleuses du sexe, en particulier celles venues d’Afrique subsaharienne, notamment du Nigeria. Le rapport de Médecins du Monde indique que près de 95 % des prostituées en Espagne sont des immigrées, souvent sans permis de séjour, les rendant vulnérables à l’exploitation.
Le cadre légal ombrageux de Majorque et ses efforts pour lutter contre la traite
En Espagne, la prostitution se trouve dans une zone grise légale. Bien qu’elle ne soit pas explicitement illégale, elle n’est pas non plus réglementée. Cela rend difficile la protection des droits des travailleuses du sexe et permet à des réseaux criminels, souvent liés à la traite des êtres humains, de prospérer. Sur Majorque, les autorités locales et nationales ont intensifié les efforts pour lutter contre la traite et l’exploitation sexuelle.
En 2023, les chiffres officiels du Département des services sociaux des îles Baléares ont estimé que l’industrie de la prostitution générait environ 70 millions d’euros par an. Les ONG locales telles que Casal Petit, la Croix-Rouge et Médecins du Monde ont assisté 1 390 victimes de prostitution à Palma, dont 361 ont été identifiées comme des victimes de traite à des fins d’exploitation sexuelle. Ce chiffre est en augmentation par rapport aux années précédentes, illustrant à quel point la traite reste un problème majeur sur l’île.
Le débat autour de la prostitution en Espagne, et plus particulièrement à Majorque, est marqué par la discussion sur la légalisation et la protection des travailleuses du sexe. D’un côté, certaines voix appellent à la réglementation complète de l’industrie pour protéger les droits des prostituées et réduire leur exploitation. En parallèle, d’autres soutiennent un modèle nordique, qui pénalise les clients mais protège les travailleuses du sexe.
Ce modèle est en vigueur dans des pays comme la Suède et la Norvège, et ses partisans affirment qu’il réduit la demande pour des services sexuels tout en offrant une protection accrue aux prostituées.
La prostitution à Majorque, comme dans d’autres régions touristiques européennes, est profondément liée à des disparités économiques et à des relations de pouvoir déséquilibrées entre les touristes et la population locale. Les experts soulignent que la demande accrue pour des services sexuels pendant les périodes touristiques crée un terreau fertile pour l’exploitation et la traite des femmes.