Sourire doux qui jamais ne le quitte, regard bienveillant et malicieux, Karim est un homme calme et passionné. Depuis plus de 30 ans, il enchaîne les créations avec sa compagnie de marionnettes, Khayal.
Reconnu par ses pairs dans le monde entier, il opère depuis la capitale libanaise. Voilà quelques années, Karim a ajouté logiquement (vous le comprendrez plus loin) une nouvelle corde à son arc, la thérapie. Le Parisien Matin vous propose le portrait de cet homme au parcours hors norme évoluant dans une région « compliquée ». L’exemple même de ces créateurs désireux d’aider leurs prochains.
Le voyage de Karim Dakroub, celui d’un enfant de la guerre vers la scène théâtrale.
Deux faits marquent l’enfance de Karim. Vers huit ans, c’est sa rencontre avec une artiste pédagogue, Maha Nehmé. A travers différents ateliers, il découvre la création artistique et la puissance de l’acte culturel. C’est aussi, pour lui, l’occasion de rencontrer les plus grands artistes libanais de l’époque.
Quelques années plus tard, on retrouve Karim, garçon fougueux de 15 ans, en pleine guerre civile libanaise. Entre 1975 et 1990, le conflit déchire le pays, faisant selon les estimations entre 250.000 et 500.000 victimes, sans compter les innombrables exilés et disparus. Les murs de Beyrouth portent encore les stigmates de ces violents affrontements.
“Le jour, j’allais à l’école. Le soir, je rentrais chez moi, faisais mes devoirs, dînais avec mes parents, puis j’enfilais mon uniforme pour aller faire la guerre, dans la défense civile”, raconte Karim avec simplicité, relatant ces souvenirs comme des faits ordinaires.
Une nuit, alors qu’il se réfugie avec des familles dans un abri pour échapper aux bombardements, il voit la frayeur des enfants et de leurs mères. Karim, grâce à ce qu’il avait appris dans les ateliers de Maha, essaie de détourner leur attention. “Je me suis aperçu qu’avec les quelques bricoles qui trainaient, nous pouvions fabriquer une tête de marionnette et focaliser l’attention des enfants sur autre chose, voire les faire rire. Cela a duré deux heures”, se souvient-il.
De Beyrouth à Moscou, le théâtre comme échappatoire
Le lendemain, un ami l’appelle. Les familles le cherchent. A sa grande surprise, elles veulent terminer les marionnettes. C’est ce qu’ils vont faire. “A ce moment de ma vie, j’aurais pu devenir un enfant-soldat. Le théâtre a définitivement changé mon existence“, souligne Karim avec gravité.
En 1987, Karim prend l’avion pour Moscou, avec l’objectif de poursuivre des études universitaires en mise en scène de théâtre. La destination peut sembler surprenante mais elle s’explique par le contexte de l’époque.
Dans le chaos de la guerre civile, le centre culturel soviétique est presque le seul à fonctionner encore. Karim soumet un projet d’ateliers de théâtre et de création d’un spectacle. Devant le succès rencontré, les Russes lui proposent une bourse pour étudier dans leurs universités. Il se forme alors à Moscou, puis à Saint-Pétersbourg (Leningrad à l’époque), il étudie la mise en scène de théâtre puis celle de marionnettes.
Des marionnettes au service de la paix
Diplômes en poche, Karim rentre à Beyrouth en 1993, avec une vision claire : il fonde sa compagnie de marionnettes, Khayal. En arabe, le mot a deux significations : ombre et communication. Les objectifs sont multiples. Créer une culture de la marionnette au Liban à destination des enfants mais aussi des familles. Élaborer un véritable répertoire de spectacles. “Après plus de 30 ans de créations, nous voyons des grands-parents venir assister à un spectacle, qu’ils avaient vu étant jeunes, avec leurs petits-enfants”, s’amuse Karim. Khayal ne se limite pas à des spectacles sur une scène, mais propose un théâtre qui va au-devant des familles et, plus généralement, des publics. Il s’agit d’un acte social et solidaire.
Dix ans après sa création, la compagnie franchit une nouvelle étape en contribuant à l’ouverture du théâtre Tournesol, une scène dédiée aux arts. L’emplacement de ce théâtre est lourd de sens : il se situe à un carrefour qui, pendant la guerre civile, séparait Beyrouth Ouest et Est, un point névralgique où se croisaient les différentes communautés en conflit.
Aujourd’hui, le Tournesol se veut un espace de rassemblement où toutes les sensibilités peuvent se retrouver autour des arts, symbolisant l’espoir d’une réconciliation durable dans une ville autrefois déchirée.
Karim Dakroub – Quand l’art devient un outil de guérison
Trois ans après le retour de Karim, une guerre, relativement courte mais très violente, oppose le Liban à Israël. Durant 16 jours, les bombardements israéliens font des centaines de morts et de blessés libanais, pour la plupart civils. Plus de 300.000 réfugiés se retrouvent sur les routes du pays.
Face à cette tragédie, Karim réalise qu’il ne peut plus se contenter d’être « seulement » metteur en scène. Fort de ses précédentes expériences, il propose des ateliers de psychologie sociale à travers les marionnettes dans différents lieux du pays du Cèdre mais aussi dans des camps de réfugiés. L’UNICEF appuie son projet. Mais Karim, toujours déterminé à aller plus loin, décide de retourner sur les bancs de l’université.
Loin de se contenter d’un seul diplôme, il s’inscrit dans trois universités : à Beyrouth, à Bruxelles, et à la prestigieuse Columbia University de New York. Après de nombreuses années, il obtient plusieurs masters et un doctorat. Il suit également différentes formations supérieures en psychologie familiale et sociale, thérapie clinique, en suivi et traitement du syndrome post-traumatique… Il devient officiellement formateur de formateurs.
A ce titre, pour des organisations internationales et diverses ONG, il intervient dans des zones de guerre (Syrie, Irak, pour les plus récentes…). Il forme, entre autres, des psychologues et des travailleurs sociaux pour l’accompagnement des populations traumatisées par les conflits. Karim est désormais l’un des rares thérapeutes de ce type dans le monde, accrédité par les organisations internationales, à intervenir par le biais de l’art.
Tout au long de son parcours, cet artiste généreux et engagé n’a cessé de tendre la main aux habitants de la région, les aidant à surmonter les souffrances causées par des événements tragiques qui les dépassent. Malheureusement, mais heureusement pour lui, on peut imaginer que son travail est loin d’être terminé.