Le Portugal, depuis son retour à la démocratie en 1974, est souvent cité comme un exemple de stabilité politique en Europe. Cependant, cette stabilité apparente cache une réalité bien plus complexe, marquée par une tradition de gouvernements minoritaires et de coalitions, une absence fréquente de majorité absolue, et une nécessité constante de dialogue et de compromis entre les partis politiques.
Une Gouvernance Sans Majorité Absolue
Contrairement à d’autres démocraties européennes, où la majorité absolue est souvent vue comme un gage de stabilité gouvernementale, le Portugal a développé une culture politique où l’absence de majorité absolue est non seulement fréquente mais aussi acceptée comme une norme de fonctionnement. Cette particularité trouve ses racines dans plusieurs aspects du système politique et institutionnel portugais.
D’une part, le mode de scrutin proportionnel plurinominal utilisé pour élire les 230 députés de l’Assemblée de la République favorise le multipartisme et, par conséquent, rend difficile l’obtention d’une majorité absolue par un seul parti. Ce mode de scrutin, conçu pour refléter la diversité des opinions politiques au sein de la société portugaise, tend à fragmenter le paysage politique, obligeant les partis à former des alliances pour gouverner.
D’autre part, le découplage des calendriers électoraux présidentiel et législatif contribue à cette dynamique. Contrairement à la France, où la synchronisation des élections présidentielles et législatives favorise l’émergence d’une majorité parlementaire soutenant le président élu, le Portugal maintient une distinction temporelle entre les deux. Cette séparation permet d’éviter une présidentialisation excessive du régime et renforce l’indépendance de l’Assemblée de la République.
Dans ce contexte, les gouvernements minoritaires ou de coalition sont monnaie courante au Portugal. Ces gouvernements, bien qu’instables par nature, ont démontré une capacité à fonctionner, même si leur longévité varie considérablement.
Un exemple emblématique est celui de la « geringonça », une alliance inédite formée après les élections législatives de 2015 entre le Parti socialiste, le Bloc de gauche, et la coalition de gauche CDU (Parti communiste et Parti écologiste « Les Verts »). Cette alliance, bien qu’elle ne constitue pas une coalition gouvernementale traditionnelle (les autres partis soutenant le gouvernement sans y participer), a permis au Premier ministre António Costa de mener une politique résolument de gauche pendant toute la législature, avant de se voir reconduit lors des élections de 2019.
Tous les gouvernements minoritaires ou de coalition ne connaissent pas un tel succès. Certains échouent à maintenir une majorité fonctionnelle et sont rapidement renversés ou contraints à la dissolution de l’Assemblée de la République. Un exemple marquant est celui de l’alliance PS-PSD de 1983, connue sous le nom de « bloc central », qui, malgré une majorité parlementaire solide, a été minée par des tensions internes, aboutissant à la démission du Premier ministre Mario Soares et à la dissolution de l’Assemblée en 1985.
Plusieurs facteurs expliquent la capacité du Portugal à maintenir une gouvernance efficace malgré l’absence de majorité absolue. Tout d’abord, le président n’a pas le rôle de chef de l’exécutif, contrairement à ce qui est observé en France. Élu au suffrage universel direct, il agit principalement comme un modérateur entre les différentes forces politiques. Cette position permet de prévenir les crises institutionnelles et de favoriser la formation de gouvernements minoritaires en cas d’impasse parlementaire.
Le système politique portugais encourage le dialogue interpartis. Par exemple, la Constitution exige que le Président consulte les partis représentés à l’Assemblée avant de nommer le Premier ministre. Cette pratique institutionnelle, couplée au mode de scrutin proportionnel, incite les partis à négocier et à former des alliances pour assurer une gouvernance stable.
Le gouvernement portugais, bien qu’étroitement lié à l’Assemblée de la République, n’a pas besoin d’une investiture formelle de celle-ci pour entrer en fonction. Cela permet la formation de gouvernements minoritaires qui peuvent survivre tant qu’ils ne rencontrent pas une opposition majoritaire capable de les renverser. Cette flexibilité institutionnelle limite la fragmentation politique excessive et évite l’instabilité chronique.
Le Portugal a institutionnalisé un droit d’opposition, qui garantit aux partis non-gouvernementaux un espace d’expression et d’action. Cette reconnaissance officielle limite les velléités de renversement systématique des gouvernements en place, car l’opposition dispose de moyens légitimes pour influencer les politiques publiques.
Le Portugal – Plus de Soleil qu’au Royaume-Uni, mais des thématiques politiques et économiques similaires
En 2023, le PIB du Portugal s’élevait à environ 254 milliards d’euros, ce qui en fait la 11ème plus grande économie de la zone euro. Le taux de croissance économique du pays a été relativement stable, avec une augmentation de 2,6 % en 2022, bien qu’il soit inférieur à celui de certaines autres économies européennes en expansion rapide, comme l’Irlande, qui a enregistré une croissance de plus de 12 %. Cependant, le Portugal reste en dessous de la moyenne européenne en termes de PIB par habitant, qui est d’environ 24 000 euros en 2023, contre une moyenne de l’UE de 34 000 euros.
Le tourisme joue un rôle vital dans l’économie portugaise, représentant environ 15 % du PIB, un pourcentage bien supérieur à la moyenne européenne, ce qui rend l’économie du pays particulièrement sensible aux fluctuations mondiales dans ce secteur. Le chômage, qui avait atteint un pic de 17,5 % en 2013, a fortement diminué pour atteindre environ 6,8 % en 2023, un taux proche de la moyenne de l’Union européenne.
Avec un ratio dette/PIB de 113 % en 2023, le Portugal se situe au-dessus de la moyenne de la zone euro, qui est d’environ 90 %. Cette situation place le Portugal parmi les pays les plus endettés de l’Union européenne, bien qu’il soit parvenu à stabiliser et même réduire progressivement son endettement après les mesures d’austérité mises en place post-crise.
Comparé à d’autres pays européens, le Portugal se distingue par ses efforts de consolidation budgétaire et par un certain retour de la confiance des marchés, mais il reste encore du chemin à parcourir pour atteindre le niveau de prospérité des économies les plus avancées de l’Europe occidentale, telles que l’Allemagne ou la France, qui disposent de structures économiques plus diversifiées et de niveaux de vie plus élevés.
Ce n’est pas l’économie portugaise qui nous rappelle sa similarité au Royaume-Uni mais sa crise identitaire face à la migration.
La crise identitaire que traverse le Portugal face à l’immigration est un sujet de plus en plus débattu, tant au niveau national qu’à l’échelle européenne. Avec l’assouplissement de la politique migratoire, le nombre de migrants accueillis dans le pays a doublé en seulement six ans. Ce phénomène est particulièrement visible dans des régions comme l’Alentejo, où la ville d’Odemira est devenue un symbole de cette transformation. La population y a augmenté de 13 % en une décennie, principalement grâce aux travailleurs étrangers originaires du Népal, du Pakistan ou d’Inde, qui viennent combler les besoins du secteur agricole.
Le maire de Vila Nova de Milfontes, où près de 40 % de la population est constituée d’étrangers, exprime des inquiétudes face à un choc culturel qui pourrait menacer l’identité locale. Ce sentiment de déstabilisation est renforcé par la montée du parti d’extrême droite Chega, qui a fait des gains électoraux significatifs lors des législatives de mars 2024, notamment dans des communes de l’Alentejo.
Le Portugal se retrouve donc à jongler entre les bénéfices économiques indéniables de l’immigration, indispensable pour pallier un déclin démographique et un vieillissement rapide de la population, et les défis sociaux qu’elle pose.
L’exploitation des travailleurs migrants, vivant souvent dans des conditions précaires, et la pression croissante sur les infrastructures locales, soulèvent des questions sur la capacité du pays à maintenir un équilibre entre l’accueil de ces nouveaux venus et la préservation de son identité culturelle. Les autorités, tout comme les associations, sont dépassées par l’ampleur du phénomène, créant ainsi un terrain fertile pour les tensions sociales et les débats sur l’avenir de l’identité portugaise.