L’affaire Abbé Pierre a déferlé la chronique. Comment un homme dont on faisait un portrait si pieux a pu commettre des crimes si terribles ? Pourtant, ce n’est pas la première fois qu’un religieux catholique fait preuve d’une sexualité problématique.
La Commission indépendante sur les abus dans l’Église (CIASE) a rendu un rapport le 5 octobre 2021 : « pour la commission, il n’y a clairement pas de lien de causalité entre le célibat et les abus sexuels ». Selon Jean-Marc Sauvé, le président de la CIASE, ce sont davantage des prédateurs qui ont choisi la prêtrise pour réaliser leurs crimes.
L’affaire Abbé Pierre, un énième exemple.
Beaucoup de victimes concernées sont des jeunes enfants, et moins souvent des femmes comme ce fut le cas pour l’Abbé Pierre.
Le récurrence du problème semble rendre la séparation du vœu de chasteté et du développement d’un comportement sexuel problématique et dangereux peu crédible. La négation de cet effet de causalité, la dissimulation de certains crimes comme ceux de l’Abbé Pierre ont été dissimulés, la culture de la honte et du secret n’aident pas et même aggravent les faits.
Néanmoins, l’Église réalise des avancées certaines dans la considération de ce problème. Comprendre ce problème dans l’objectif de le résoudre progressivement s’avère essentiel. Condamner n’est pas suffisant.
Outre le fait qu’ils concernent des personnalités respectées comme l’Abbé Pierre, des symboles médiatiques, ces faits sont d’autant plus choquants quand ils sont anciens.
Car, l’écart temporel entre les faits et leur révélation au grand jour, met en avant une dissimulation incontestable par certains membres de l’Église des agissements de criminels sexuels. Cette dissimulation ayant donc permis à ces mêmes criminels d’augmenter avec le temps le nombre de leurs victimes. Les rapports autour de l’affaire Abbé Pierre confirment que les faits étaient connus de longue date.
Mais il y a aussi eu Georges Colomb évêque de La Rochelle ou Hervé Gosselin évêque d’Angoulême, l’ancien prêtre Bernard Preynat, Jean-Marc Schoepff, et bien d’autres noms s’accumulant sur la liste des coupables. Que l’Abbé Pierre se soit attaqué à des femmes, huit comptées à ce jour dont une jeune fille mineure, est un fait particulier.
En effet, les dessous de ces affaires émergent de plus en plus fréquemment depuis les années 2010, et en général, ce ne sont pas les femmes qui sont visées mais les enfants, particulièrement les garçons. Non seulement l’Église catholique est tristement réputée pour les crimes sexuels réalisés en son sein, mais aussi en majorité pour les crimes pédophiles.
Le clergé français n’est pas le seul concerné : le clergé américain, italien, allemand, australien ou chilien le sont aussi. C’est la communauté catholique dans son entièreté qui est confrontée à la récurrence de ces délits pédocriminels. Face à ces vagues de condamnations, nous pouvons nous demander quelles peuvent être les raisons d’une telle récurrence?
Comment expliquer que la pédocriminalité soit l’abus sexuel dominant dans l’Église plutôt que des agressions sexuelles envers les femmes comme l’a fait l’Abbé Pierre?
Regnier Pirard, docteur en psychologie et psychanalyste, répond à cette question de la façon suivante :
“Cette affinité pour la pédo-criminalité s’explique par une identification à l’enfant, qui peut sembler parfois paradoxale. Elle n’est pas propre aux clercs mais sévit dans toutes les relations d’éducation, scolaires, sportives, familiales aussi bien.
L’enfant est par définition soumis à l’autorité de l’adulte. Celui-ci peut le dévoyer en lui imposant sa propre jouissance frustrée sans devoir rencontrer de résistance. L’enfant est une proie facile. Mais souvent l’adulte, trichant avec son désir, s’imagine enseigner ainsi les choses de la vie, comme il aimerait avoir lui-même été séduit.
Quelquefois, il l’a été effectivement, dans l’inceste par exemple. La pédo-criminalité n’est au fond qu’une extension de l’inceste subi, qui finit par être désiré et qui métonymiquement se porte sur un enfant réel dans lequel l’adulte projette sa propre enfance. Donc la pédo-criminalité obéit à des lignes de structure qui définissent toute relation de responsabilité éducative mais il s’agit clairement d’un abus de faiblesse et d’une lâcheté coupable.
Si dans les cas les plus extrêmes elle peut aller jusqu’au meurtre, elle se contente le plus souvent d’imposer sa jouissance frustrée dans une relation de profonde asymétrie. Cette effraction est suffisante pour submerger un enfant et laisser en lui des traces psychopathologiques sévères, pouvant conduire à des idées suicidaires.
Les prêtres et religieux, en cumulant une immaturité affective avec une responsabilité éducative, sont exposés à de tels actes. Ils n’y cèdent pas toujours mais payent souvent leur abstinence en monnaie névrotique.“
La culture de la honte et les avancées ecclésiastiques.
L’Église véhicule, depuis sa naissance progressive et historique, une culture de la pureté et de la sainteté. Son histoire, puisqu’humaine, n’a pas toujours correspondu à cette image, entretenant davantage une culture du secret et de la honte, qu’une image de pureté et de bonté. Face aux affaires toujours davantage dévoilées, plus scandaleuses les unes que les autres, les avancées ecclésiastiques à ce sujet sont devenues visibles parce que nécessaires. Elles restent néanmoins trop limitées par rapport à la gravité des faits.
En mars 2023, l’Instance nationale indépendante de reconnaissance et de réparation (INIRR) a rendu un rapport annuel établissant le nombre de 489 victimes de religieux pédocriminels ayant obtenu réparation financière, pour un montant moyen de 35 310 euros.
Cette structure offre des compensations et réparations pour les victimes de religieux ou de laïcs les ayant agressées dans un lieu encadré par l’Église (établissements, mouvements de jeunesse catholiques, diocèses). Les chiffres permettent de situer la situation et de mettre des choses en place, comme l’INIRR a été mise en place en 2021. 58% des situations prises en compte concernent des viols, dont 39% ont duré dans le temps (un an et plus).
L’âge moyen des victimes est entre 6 et 15 ans. Notons néanmoins que certaines victimes refusent la réparation financière, ce qui fait sens. En effet, l’argent n’a pas d’effet réparateur sur le traumatisme psychique. De plus, la complicité ponctuelle de l’Église dans ces affaires n’est que très faiblement évoquée. Pourtant, comme ce fut le cas pour l’Abbé Pierre, il est presque inévitable que certains membres du clergé soient au courant des agressions, du moins dans certaines situations.
Il y a donc des viols, et des dissimulations de viols. Et cette donnée est très peu prise en compte dans les procédures de réparation. L’Église communique des lettres (25% des cas), des espaces de dialogues (20%) et de témoignages (15%), et oriente vers des soins médico-psycho-sociaux (12%). Des solutions plus fermes, de prévention et de détection des coupables avant que leurs crimes soient commis, ou au moins commis sur du long terme, restent nécessaires, attendues et largement dues aux victimes.