La Cour pénale internationale (CPI), installée à La Haye, a annoncé l’ouverture d’une enquête pour entrave à la justice contre la Hongrie. Le motif : l’accueil, il y a quelques semaines, du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou sur le sol hongrois, alors qu’un mandat d’arrêt international a été délivré à son encontre dans le cadre d’investigations liées à la guerre à Gaza.
Ce déplacement, organisé sans qu’aucune mesure ne soit prise par les autorités hongroises pour interpeller le dirigeant israélien, a alerté les juges de la CPI. L’institution demande désormais à Budapest de justifier cette absence de coopération.
Le gouvernement de Viktor Orbán n’a pas tardé à réagir, mais au lieu de coopérer, il a choisi l’escalade. Le chef du gouvernement hongrois a annoncé que son pays allait entamer la procédure nécessaire pour se retirer de la Cour pénale internationale. Une décision qui, si elle est menée à son terme, ferait de la Hongrie le seul État membre de l’Union européenne à quitter le système mis en place par le Statut de Rome.
Sur les ondes d’une station de radio nationale, Orbán a accusé la Cour d’avoir perdu sa neutralité. Il affirme que les règles de fonctionnement de la CPI n’ont jamais été pleinement intégrées dans le droit interne hongrois, ce qui, selon lui, rend caduque l’obligation de coopération. Pourtant, des documents montrent que la CPI avait averti les autorités hongroises avant l’arrivée de Netanyahou, leur rappelant leurs engagements juridiques. L’absence d’une réponse concrète a donc déclenché l’ouverture de cette nouvelle procédure.
Il ne s’agit pas d’un cas isolé. Ces douze derniers mois, la Cour a dû intervenir à plusieurs reprises face à des refus d’exécuter ses décisions.
L’Italie a été interrogée sur sa gestion du cas d’un suspect libyen et la Mongolie a été critiquée pour ne pas avoir agi lors de la venue de Vladimir Poutine.
La Hongrie a jusqu’au 23 mai pour soumettre ses arguments. En cas de départ de la Cour, la procédure pourrait prendre un an. À ce jour, seuls deux États – le Burundi et les Philippines – ont quitté cette juridiction depuis sa création en 2002.
La Hongrie, un pays présenté comme un exemple d’anti-démocratie
Sur les hauteurs de la colline du château, au-dessus du Danube, un groupe de touristes observe une cérémonie militaire devant un ancien palais royal du XIIIe siècle. Non loin de là, des engins de chantier transforment lentement ce site historique. C’est à cet endroit qu’Ákos Hadházy, vétérinaire de formation et député indépendant, mène régulièrement des visites guidées d’un genre particulier.
“Le château est l’un des lieux les plus représentatifs de ce que nous dénonçons”, affirme-t-il. “Utilisation de fonds publics à des fins personnelles, absence de contrôle sur les dépenses, concentration des pouvoirs…“
Le Premier ministre a décidé de transférer une partie de ses bureaux dans ce lieu chargé d’histoire, déloger la galerie nationale, et réaffirmer ainsi une forme de domination politique à travers l’occupation de symboles architecturaux. Même les dirigeants les plus autoritaires du siècle dernier n’avaient pas osé y installer leurs bureaux, rappelle Hadházy.
Cette transformation permet à l’entourage du chef de l’État de profiter de contrats juteux dans le domaine de la construction, en renforçant une espèce de “culte de la personnalité” que beaucoup dénoncent.
Les médias sont sous surveillance
Depuis le retour au pouvoir du parti Fidesz en 2010, la presse libre a progressivement perdu du terrain. L’une des premières lois adoptées par le nouveau gouvernement concernait justement la régulation des médias. Elle a ouvert la voie à une série de rachats d’organes de presse par des proches du pouvoir.
Le journaliste d’investigation András Pethő, fondateur du centre Direkt36, raconte comment les pressions sont devenues rapidement ingérables. Ancien collaborateur du site Origo, il a vu ce média passer sous le contrôle d’intérêts liés au gouvernement, ce qui s’est traduit par des demandes de censure, des suppressions d’articles, et un climat de peur.
Des dizaines de journalistes ont quitté les rédactions. Ceux qui ont voulu continuer leur travail l’ont fait dans des conditions précaires. Le journal Magyar Hang, par exemple, est imprimé chaque semaine en Slovaquie, aucun imprimeur hongrois n’ayant accepté de travailler avec eux. Le directeur de publication, Csaba Lukács, affirme que même les grandes entreprises internationales n’osent plus acheter d’espace publicitaire dans leur journal, de crainte de représailles.
“Nous vivons dans un système où la pression est continue, où la parole indépendante doit se replier dans des marges de plus en plus étroites“, déplore-t-il.
Pas d’autonomie académique en Hongrie
Les institutions universitaires n’ont pas été épargnées. La Central European University (CEU), fondée par le philanthrope George Soros, a été contrainte de déménager à Vienne, après l’adoption d’une loi restrictive par le parlement hongrois.
Dans ce qui reste de la CEU à Budapest, des programmes comme celui baptisé Socrates continuent à accueillir des étudiants adultes. On y explore les mécanismes des régimes autoritaires, on y compare les discours des dictateurs du XXe siècle, on y analyse les dérives du pouvoir.
Le professeur Laszlo Kontler, vice-recteur, décrit comment les universités publiques ont été soumises à des conseils d’administration peuplés de proches du pouvoir. Sous prétexte de garantir une meilleure stabilité financière, ces établissements ont vu leur liberté de décision réduite.
“La qualité des enseignants ne fait pas débat“, précise-t-il. “Mais la manière dont les institutions sont gouvernées pose un problème profond de neutralité et d’indépendance.“
Que pensent les experts de la Hongrie?
Le politologue Péter Krekó a observé de près l’évolution du régime d’Orbán depuis une quinzaine d’années. Il explique que cette transformation ne s’est pas faite dans la précipitation, mais à travers une succession d’actes ciblés : affaiblissement de la justice, mise au pas de la presse, transformation des institutions éducatives, etc.
L’objectif, selon lui, a toujours été le même : supprimer progressivement tous les contre-pouvoirs.
Comparant cette trajectoire à celle observée aux États-Unis sous Donald Trump, Krekó souligne une différence de rythme : “Trump agit de manière plus rapide et brutale. Orbán a construit son édifice sur le long terme.“
Pour une certaine droite américaine, la Hongrie représente un modèle rêvé : peu d’immigration, discours très conservateur, rejet des droits des minorités. Une image qui, selon Krekó, n’a rien à voir avec la réalité hongroise contemporaine.
Une répression des minorités?
La récente loi adoptée par le parlement hongrois, interdisant tout événement perçu comme une “promotion de l’homosexualité“, est perçue comme une nouvelle étape vers la restriction des libertés publiques.
Johanna Majercsik, porte-parole de la Pride de Budapest, craint que cela ne serve à interdire tout type de manifestation indépendante. “Ce n’est pas seulement la Pride qui est visée. Ce texte pourrait permettre de restreindre toutes les formes de protestation pacifique“, alerte-t-elle.
Depuis le vote, des milliers de citoyens défilent chaque semaine dans les rues de Budapest. La contestation grandit, portée notamment par l’opposant Péter Magyar, une figure émergente qui semble fédérer des forces disparates contre le système en place.
Un système qui est là pour durer
La lassitude exprimée par une partie croissante de la population est ignorée: Orbán semble prêt à ajuster encore ses méthodes pour conserver son emprise sur la Hongrie. Son langage s’est durci, sa stratégie s’affine, et sa volonté de rester au pouvoir reste intacte.
La Hongrie s’éloigne progressivement des principes fondamentaux d’un État de droit. Mais le régime, habile et patient, sait comment contourner les obstacles, résister aux critiques, et se renouveler sans jamais vraiment changer de visage.