Joie d’une victoire, frustration d’une défaite : des émotions que nous connaissons pour les avoir éprouvées. Et si les jeux vidéo pouvaient déclencher un panel encore plus large d’émotions, propices à la réflexion et à l’introspection ?
C’est la vision que développe Sébastien Genvo, game designer et enseignant chercheur à l’Université de Lorraine, dont l’expertise nourrit cet article.
L’art du jeu vidéo : une nouvelle forme d’expressivité
Dans les années 1980 et 1990, l’industrie vidéoludique ciblait un public majoritairement adolescent et masculin. Les thématiques guerrières dominaient, ce qui véhiculait des émotions de peur, violence ou agressivité. La globalisation du marché imposait une uniformité des imaginaires. Mais depuis une dizaine d’années, d’autres logiques émergent.
Des auteurs et théoriciens renouvellent leur approche du jeu vidéo, explorant de nouvelles formes narratives. L’essor d’Internet facilite la diffusion de ces créations, touchant un public spécifique. Genvo s’inscrit pleinement dans ce mouvement avec la sortie de son premier jeu indépendant en 2011, Key of a GameSpace. Il aborde des thématiques psychologiques et sociales complexes, dont l’atteinte à l’enfance. Le joueur, confronté à des problématiques émotionnelles, plonge dans des réflexions profondes.
Genvo a théorisé le concept de « jeux expressifs » pour désigner ce nouveau type de production vidéoludique. L’objectif est d’explorer des enjeux issus du réel en sollicitant les émotions du joueur. Celui-ci est amené à vivre des situations sociales ou culturelles et à y répondre selon sa propre sensibilité. L’empathie, la tristesse ou encore l’introspection font partie des émotions que le jeu peut susciter.
Pour une esthétique vidéoludique
Loin de l’idée reçue du jeu vidéo comme simple divertissement, Genvo invite à porter un regard artistique : « À une certaine époque, le cinéma était perçu comme une machine d’abrutissement, puis on l’a qualifié d’art. (…) L’art nous permet d’en apprendre plus sur le monde tout en nous émouvant. »
Le jeu vidéo est au croisement d’autres formes expressives comme le cinéma, la musique ou la littérature. Minecraft, jeu d’exploration et de survie dans un univers composé de blocs, illustre cette hybridation culturelle. Il a donné lieu à plusieurs adaptations. Sur la scène littéraire, les romans Minecraft proposent des fictions inspirées de cet univers.
Plus récemment, le 4 avril 2025, A Minecraft Movie est sorti en salle. Réalisé par Jared Hess, le film met en vedette Jason Momoa dans le rôle de Garrett Garrison, “The Garbage Man”.
La réception des jeux expressifs auprès du public
Les émotions sont très personnelles et chacun est touché différemment. Néanmoins, il existe des méthodes d’écriture et de game design pour créer un sens partagé chez les joueurs. Chacun doit pouvoir se retrouver dans la narration même si les émotions sont intimes.
Dans son jeu Key of a GameSpace, Genvo utilise une technique de game design pour faciliter le rapport à l’émotion : faire ses propres choix moraux. Il s’appuie également sur les normes habituelles du jeu d’aventure au lancement de l’expérience. Cela évite un départ brusque dans l’émotion qui pourrait couper toute envie de poursuivre.
À la question : « Un jeu expressif, peut-il plaire au public ? » Genvo répond positivement. En effet, ces deux jeux vidéo ont reçu un accueil favorable.
Key of a GameSpace a été désigné comme l’un des douze meilleurs jeux gratuits par le quotidien anglais The Telegraph.
Lie In My Heart (2019) est un jeu autobiographique qui explore des thématiques émotionnelles liées à la perte d’un proche, la culpabilité et la rédemption. Il a fait l’objet d’une pleine page dans Libération et a contribué à une exposition au centre national des arts du Mexique (OASIS). Il obtient également 92 % d’avis positifs sur Steam.
Le jeu et ses vertus thérapeutiques
Au départ, Genvo a créé ses jeux vidéo dans une optique de création artistique. Mais le secteur de la santé a vu un potentiel dans son approche des difficultés psychologiques. Le jeu vidéo permet au joueur de se glisser dans la peau d’un autre, d’explorer des situations émotionnelles qu’il pourrait rencontrer dans la réalité et, ainsi, de réfléchir à ses propres fragilités.
Ce processus est bénéfique pour ceux qui ont du mal à verbaliser leurs émotions. L’identification avec les personnages et l’expérience immersive rendent la communication sur des sujets sensibles plus accessible. Comme en témoigne un joueur, à propos de Lie In My Heart : « C’est l’un des jeux qui m’a le plus touché dans ma vie. »