Les politiques commerciales de Trump sont loin de faire l’unanimité : Le durcissement des droits de douane américains depuis avril provoque des remous dans les économies mondiales. Pour des régions comme le Japon et l’Inde, on enregistre une reprise de l’activité industrielle, l’Europe, à l’inverse, montre des signes d’essoufflement.
Des politiques commerciales choquantes pour l’Europe
Ces politiques, qu’on pourrait qualifier de passives-aggressives, et les hausses soudaines de tarifs, affectent à la fois les chaînes d’approvisionnement mondiales et les décisions d’investissement des entreprises.
Les indicateurs d’activité suggèrent que le choc reste plus perceptible sur les marchés financiers que dans les carnets de commandes.
Cependant, en zone euro, l’activité privée ralentit légèrement et le Royaume-Uni enregistre un recul inattendu dans le secteur manufacturier qui est confronté à une chute brutale des commandes à l’exportation.
La stratégie protectionniste de Donald Trump ne vise pas uniquement Pékin : les partenaires européens sont également ciblés et surtout ses secteurs clés: l’automobile, la pharmacie ou les composants industriels.
Plusieurs groupes comme Volkswagen, BMW ou Forvia anticipent des pertes substantielles et réorganisent déjà leurs chaînes de production.
Des experts nous offrent leur analyse à ce sujet.
Des politiques commerciales aggressives mais prévisibles
Monica Gorman, directrice générale chez Cromwell Global Advisors et ancienne collaboratrice à la Maison-Blanche sous Joe Biden nous dit :
« Je ne m’attendais pas à une telle intensité. Nous sommes passés d’une anticipation prudente à une avalanche de mesures commerciales offensives, tombant parfois plusieurs fois par jour. »
Pour elle, c’est un revirement profond par rapport à la politique de l’administration Biden, qui favorisait l’innovation domestique et la production industrielle.
Ce recentrage a été remplacé par une approche axée sur l’auto-suffisance, grâce à un usage étendu des tarifs douaniers et des lois nationales américaines. Ces outils sont bien sûr justifiés de manière diverse : sécurité nationale, état d’urgence, ou simple décision présidentielle.
« Il n’y a pas de pause ni de répit. On a l’impression d’être à bord d’un train qui ne s’arrête jamais. »
Bien évidemment, ce revirement était en fait, assez prévisible : « C’est une approche plus agressive que prévu, mais elle n’est pas incohérente avec ce que j’aurais pu anticiper. » constate Gorman.
Elle nous rappelle que le consensus autour du libre-échange a été largement remis en question dès la première présidence Trump. A l’époque, tout était dosé. Ce second mandat vise à intensifier cette stratégie
« Biden n’a pas annulé les mesures prises sous la Section 301 ; il les a peut-être restreintes, mais il a maintenu l’idée que les tarifs peuvent corriger certains effets indésirables du commerce international. » explique-t-elle.
En fait, il y a une volonté d’expansion dans le projet d’auto-suffisance du gouvernement Trump : « Avant, on parlait d’acier, d’aluminium, de l’industrie automobile. Maintenant, cela englobe aussi les produits pharmaceutiques, les semi-conducteurs – anciens comme nouveaux – et même le bois. »
Cette dernière mesure vise spécifiquement le Canada. Encore une fois, c’est une extension considérable du champ d’application des politiques tarifaires.
Rapidité et densité, les maîtres mots ici
Sam Lowe, partenaire chez Flint Global est un véritable passionné de commerce international qui offre son expertise à de nombreux gouvernements européens. Il dit « Le volume a pris tout le monde au dépourvu. […] L’idée que les tarifs augmenteraient était attendue, mais pas à ce point ni avec une telle rapidité. »
Derrière ces taxes, le mobile est clair : le besoin de générer des recettes.
« Les tarifs deviennent un outil de financement budgétaire, pour compenser d’autres mesures comme les baisses d’impôts. Cela complique toute tentative de négociation, car leur retrait n’est plus qu’un levier diplomatique – ils servent aussi à équilibrer les comptes. »
La professeure Sarah Hall, qui enseigne à Cambridge dit elle que c’est la manière même dont les mesures sont appliquées qui peuvent surprendre : « C’est la densité et la complexité des mesures qui surprennent. Leur usage comme levier économique était prévisible, mais l’ampleur de ce qui est en train de se passer dépasse cela. »
Ce qui se passe en ce moment avec ces politiques commerciales, c’est un renversement de tout ce qu’on sait sur la mondialisation, les chaînes de valeur, et les politiques nationales.
« Ce qui m’intéresse, c’est aussi la manière dont d’autres sphères de l’État sont mobilisées. Prenez la Réserve fédérale, par exemple. On l’associe rarement aux tarifs douaniers, mais elle est désormais impliquée dans cette machine de politiques économiques. » remarque-t-elle.
Quelles sont les motivations principales derrière ces politiques commerciales?
Pour Sam Lowe, c’est une partie d’échec pour Trump, où le président américain effectue ses calculs pour une stratégie au long-terme : « Mon hypothèse numéro un, c’est qu’il veut que les entreprises qui vendent aux consommateurs américains produisent sur le sol américain. Et il pense que les tarifs sont un moyen d’y parvenir. »
Ce serait également un jeu où Donald Trump serait un mauvais perdant:
« Quelqu’un dans un autre pays a dit quelque chose de méchant à son sujet ? Cela peut immédiatement faire remonter la menace de tarifs au sommet de la liste. » plaisante Lowe.
L’usage coercitif des tarifs est en fait un moyen de pression dans les négociations commerciales.
« C’est un outil qu’il peut activer rapidement, sans passer par le Congrès. Cela les rend séduisants en comparaison d’autres instruments politiques. » rappelle Lowe.
Gorman acquiesce : « Donald Trump y croit sincèrement. Il parle de l’utilité des tarifs depuis des décennies. Il voit en eux un moyen de réindustrialiser le pays. »
Des politiques commerciales comme jeu expérimental
Pour Sarah Hall, ces pratiques commerciales sont intéressantes pour les académiques : « En tant que chercheurs en sciences sociales, nous devrions être profondément reconnaissants à Trump et aux Brexiters pour avoir réalisé une série d’expériences naturelles. Nous allons enfin obtenir des données sur ce que produit, par exemple, l’introduction soudaine de tarifs ou le bouleversement des systèmes migratoires. »
La spécificité des États-Unis dans le commerce mondial est que le commerce ne représente qu’environ 20 % du PIB américain, contre près de 60 % au Royaume-Uni. Donc si Donald Trump veut jouer, il ne risque pas grand chose en perdant.
« Cela donne à Washington une marge de manœuvre particulière pour agir de manière unilatérale sans ressentir immédiatement les contre-coups. Mais ce second mandat teste clairement les limites de cette stratégie. » conclut Hall.