Le journal Handelsblatt rapporte que le gouvernement allemand aurait modifié ses prévisions économiques pour l’année en cours. Alors qu’une légère croissance de 0,3 % était initialement envisagée, Berlin s’attend désormais à une stagnation.
Pour l’année suivante, la progression du produit intérieur brut ne dépasserait pas 1 %, un chiffre légèrement inférieur aux projections faites en janvier. Interrogé sur ces ajustements, le ministère de l’Économie a préféré reporter ses commentaires à une conférence de presse prévue ce jeudi.
La croissance allemande en berne
L’Allemagne est désormais le seul pays au sein du G7 à avoir connu deux années consécutives sans croissance. Les nouvelles barrières commerciales annoncées par le président américain Donald Trump pourraient bien prolonger cet épisode inédit pour une troisième année consécutive.
Cela s’explique en partie par l’incertitude croissante liée aux décisions de Washington. Les droits de douane annoncés sur des produits stratégiques — aluminium, acier, automobiles — bouleversent les projections faites il y a à peine quelques mois.
Début avril, un groupe d’instituts économiques allemands a réduit ses prévisions de croissance pour 2025 à 0,1 %, contre 0,8 % lors de leur estimation de septembre.
Le centre de recherche ZEW a mené une enquête et a découvert que plus de 80 % des entreprises allemandes actives dans les secteurs de l’industrie manufacturière et des technologies de l’information estiment que les décisions américaines nuiront à l’économie nationale.
Plus inquiétant encore, 20 % des 800 entreprises interrogées redoutent des conséquences très graves. L’indice de confiance économique calculé par le ZEW a plongé en avril, atteignant -14 points, son niveau le plus bas depuis juillet 2023. Ce recul brutal contraste fortement avec les 51,6 points observés en mars, et dépasse largement les prévisions des analystes, qui tablaient sur une baisse plus modérée.
Achim Wambach est le président du ZEW. Il explique que ce n’est pas seulement l’ampleur des hausses tarifaires américaines qui trouble les milieux économiques, mais aussi leur imprévisibilité. Cette instabilité crée une perte de visibilité, alors que les exportations constituent un pilier fondamental de l’économie allemande.
Trop de dépendances extérieures tuent la croissance
L’économie allemande, la plus importante de l’Union européenne, repose largement sur ses échanges extérieurs.
Le ralentissement attendu résulte en partie de la réduction des exportations vers les États-Unis et du risque d’inondation du marché européen par des produits asiatiques délaissés par les consommateurs américains. Si les États-Unis ferment leurs portes à certains biens chinois, Pékin pourrait chercher à écouler ses surplus en Europe à des prix artificiellement bas, ce qui va créer une pression supplémentaire sur l’industrie allemande.
Les projections des cinq principaux instituts économiques allemands démontrent que les droits de douane annoncés pourraient faire baisser la croissance annuelle allemande de 0,1 point de pourcentage, tant cette année que la suivante.
Les auteurs du rapport pensent toutefois qu’il est difficile d’en mesurer précisément l’impact pour le moment.
Le gouvernement allemand est dans une période d’immobilisme politique
L’Allemagne est en transition politique, ce qui complique encore la situation. La future coalition gouvernementale, dirigée par Friedrich Merz selon toute vraisemblance, n’est pas encore en place. Cette vacance prolongée freine les décisions stratégiques, alors que les partenaires européens attendent de Berlin un positionnement clair face à la politique commerciale américaine.
Les économistes Marc Schattenberg et Robin Winkler, de Deutsche Bank Research, pensent que les responsables politiques allemands ne pourront plus se contenter de l’attentisme. Il faudrait donc du concret pour préserver l’activité industrielle face à un environnement international de plus en plus instable.
Pour l’heure, l’Union européenne souhaite engager la négociation plutôt que d’avoir recours à une riposte immédiate. Elle a menacé de frapper certains produits emblématiques — comme les motos américaines ou le bourbon — avant d’y renoncer, notamment après que Washington a laissé entendre que les vins français ou italiens pourraient devenir les prochaines cibles. Une telle spirale punitif-répressif ne permet pas d’établir une stratégie pérenne.
Poignarder cette croissance de par un déplacement industriel vers les États-Unis
Le problème pour l’Allemagne est l’attractivité croissante du territoire américain pour les entreprises européennes.
Les réformes fiscales, la baisse des prix de l’énergie et la réduction des normes réglementaires entreprises sous l’administration Biden avaient déjà poussé certains industriels à envisager un transfert partiel de leurs activités. Avec le retour d’un protectionnisme agressif et imprévisible, de nouveaux projets de délocalisation vont ressurgir.
Pour l’économiste Carsten Brzeski, du groupe bancaire néerlandais ING, toute réaction précipitée de la part de l’Union européenne serait inopportune.
Répondre à une stratégie floue par des mesures de rétorsion immédiates serait sûrement inefficace. Il recommande plutôt de concentrer les efforts européens sur des politiques de long terme : investissements massifs, réduction des lourdeurs administratives, réformes structurelles, et intégration économique renforcée, notamment dans les domaines des marchés de capitaux et de la défense. Nous pouvons en prendre de la graine en France…
Quels outils avons-nous dans notre boîte?
Gabriel Felbermayr, directeur de l’Institut autrichien de recherche économique, a suggéré d’imposer des droits de sortie sur certains produits technologiques, surtout les machines de production de semi-conducteurs fabriquées presque exclusivement en Europe par l’entreprise néerlandaise ASML. Une taxe ciblée sur ces exportations nuirait aux fabricants américains et inciterait Washington à revoir sa position.
Brzeski juge ce type de mesure peu pertinent. Il mentionne qu’une politique industrielle tournée vers l’intérieur, sans pour autant sombrer dans l’isolationnisme, serait plus utile au long-terme.
La taxe numérique européenne est pourtant vue comme une “arme nucléaire fiscale”. Fabian Zacharias, directeur général de l’association Bitkom, dit que ce serait mélanger deux domaines qui ne relèvent pas des mêmes leviers.


