La mort du pape François a laissé vacant le siège de Saint-Pierre, et avec elle s’ouvre une période d’attente, de réflexion et de choix pour les cardinaux électeurs.
Durant cette période, les seuls bruits qu’on entendra seront le silence du conclave et les spéculations extérieures qui fusent. Puis enfin, le susurrement d’une question que beaucoup se posent depuis des années : et si le prochain pape venait d’Afrique ?
Un pape africain pourrait fédérer
La croissance de la foi catholique sur le continent africain n’est pas un phénomène récent.
Depuis plusieurs décennies, les baptêmes se multiplient, les vocations religieuses se développent, et les églises sont pleines.
Là où les bancs se vident en Europe, on voit en Afrique une jeunesse priante, active, engagée dans sa foi. Le Vatican, dans son rapport publié en octobre 2024, a indiqué que plus de 7 millions d’Africains avaient rejoint l’Église catholique l’année précédente.
En 1910, le continent africain comptait moins d’un million de catholiques. En 2023, ils étaient 265 millions. Cette progression est vertigineuse et elle s’est opérée dans un contexte souvent défavorable. De nombreux pays africains connaissent des conflits internes, des gouvernements autoritaires, ou la domination d’une autre religion majoritaire. Et pourtant, malgré les attaques d’églises, les assassinats de prêtres et les massacres de fidèles, la foi ne faiblit pas.
Cette fidélité héroïque face à l’adversité amène certains observateurs à se demander si l’Église catholique ne devrait pas, cette fois-ci, élire un pape africain. Pas en tant que “récompense” mais comme une manière de reconnaître l’importance de la foi sur ce continent.
Un pape africain, d’accord. Mais y a-t-il des candidats ?
Oui, trois cardinaux africains sont mentionnés plus souvent que les autres.
Le premier est le cardinal Fridolin Ambongo Besungu, archevêque de Kinshasa, en République démocratique du Congo. Âgé de 65 ans, il a pris des positions fermes face au pouvoir politique dans son pays pour dénoncer les dérives autoritaires et les atteintes à la dignité humaine. Certains le décrivent comme un homme engagé davantage dans les luttes sociales que dans l’enseignement doctrinal, mais il incarne pour d’autres la figure d’un pasteur proche de son peuple, courageux, formé à la rigueur des jésuites.
Le deuxième est le cardinal Peter Kodwo Appiah Turkson, originaire du Ghana. Il a longtemps été considéré comme un candidat sérieux. Apprécié par le pape François, il a été appelé à diriger une commission chargée de suivre les conséquences de la pandémie de Covid-19 sur les institutions catholiques. Théologien reconnu, fin connaisseur des réalités africaines comme des cercles romains, il représente un profil rassurant pour une partie de la curie. Sa visibilité s’est toutefois affaiblie ces dernières années.
Le troisième est le plus controversé. Il s’agit du cardinal Robert Sarah, guinéen, âgé de 80 ans. Ancien préfet de la Congrégation pour le culte divin, il a des positions très fermes sur l’évolution des mentalités en Occident, sur la question du genre, sur les transformations liturgiques et sur le dialogue avec l’islam.
Sa fermeté plaît à ceux qui craignent une dilution de la doctrine, mais son âge et son retrait progressif de la scène vaticane rendent son élection peu probable.
Sur les réseaux sociaux, de nombreux croyants lui montrent un soutien prononcé parce qu’ils n’ont pas apprécié le discours du Pape François, qui défendait les minorités et soutenait la migration de masse vers l’Europe. En effet, le cardinal Robert Sarah se serait positionné de l’autre côté du spectre social en disant: « Ceux qui utilisent la Bible pour justifier l’immigration de masse sont ensorcelés. »
L’idée d’un pape africain séduit pour plusieurs raisons. Parce qu’elle correspond à la réalité de l’Église d’aujourd’hui : les pratiquants réguliers sont plus nombreux au Nigeria ou au Kenya qu’en France, en Allemagne ou aux États-Unis.
Une étude de l’Université de Georgetown révélait en 2023 que 94 % des catholiques nigérians assistaient à la messe chaque semaine, contre 73 % au Kenya. Ce chiffre tombe à moins de 20 % dans la plupart des pays européens.
Un pape issu d’un continent marqué par la persécution religieuse serait le signe d’un retour à la croix, à la foi vécue dans la souffrance, à l’Église des martyrs. Le souvenir du massacre de 70 chrétiens dans une église en République démocratique du Congo, égorgés par des extrémistes islamistes, reste encore vivace. Des milliers de fidèles ont été tués au Nigeria ces quinze dernières années, simplement parce qu’ils priaient le Christ.
Il y a des doutes quant à l’idée de choisir un pape africain
Justement, les électeurs au sein du conclave redoutent que certains cardinaux africains soient perçus comme trop rigides, peu à l’aise avec les débats contemporains, ou enclins à une forme de sévérité pastorale. C’est une manière de discréditer les profils comme celui du cardinal Robert Sarah, qui s’oppose à une interprétation plus libérale de la Bible.
Au-delà d’oppositions idéologiques, il y a d’autres figures venues d’Asie ou des Amériques qui sont également mentionnées pour succéder au pape. Le cardinal Luis Antonio Tagle, originaire des Philippines, est souvent évoqué comme une personnalité favorable à une réforme interne, proche du style du pape François.
À l’opposé, l’Américain Raymond Burke, critique assumé de l’ouverture de l’Église à certains sujets de société, incarne la ligne la plus dure, notamment sur la famille, le mariage et les droits des personnes homosexuelles.
Face à cette diversité, certains analystes affirment que le moment est venu de rappeler l’universalité de l’Église. L’Afrique, longtemps marginalisée dans les choix ecclésiaux, offre aujourd’hui des vocations, une vitalité liturgique, une fidélité doctrinale et un dynamisme missionnaire sans comparaison. Élever un cardinal africain au rang de successeur de Pierre ne serait pas un geste symbolique, mais une affirmation que la catholicité ne se résume pas à l’Europe et à ses débats internes.
Dans toute l’histoire de l’Église, seuls trois papes sont venus du continent africain, et tous au cours des premiers siècles. Le pape Victor Ier, probablement originaire de la province romaine d’Afrique (actuelle Tunisie), a siégé vers la fin du IIe siècle. Il fut suivi de Miltiade, et plus tard de Gélase Ier, qui occupa le trône de Pierre de 492 à 496. Depuis plus de 1 500 ans, aucun Africain n’a dirigé l’Église catholique – peut-être est-ce le moment propice?