Le scrutin des élections européennes du 9 juin approche, et les enjeux du libre-échange et du marché unique sont à l’épicentre des controverses. Deux perceptions diamétralement opposées émergent, illustrées par les récents échanges entre Gabriel Attal, Premier ministre, et Jordan Bardella, président du Rassemblement National. Entre “patriotisme économique” et soutien au marché unique, ces perspectives dessinent des chemins différents pour l’avenir de l’Union européenne.
Un Marché Unique : Source de Prospérité ou de Dépendance ?
Le marché unique européen, créé en 1993, a transformé l’économie du continent en supprimant les barrières commerciales entre les États membres. Il a permis à plus de 500 millions de consommateurs de bénéficier de ce marché intégré et a offert aux entreprises un accès sans précédent à un vaste espace économique. Lors de son discours sur l’état de l’Union de 2022, Ursula von der Leyen, Présidente de la Commission européenne, déclare : “Le marché unique est l’une des réalisations les plus significatives de l’UE.“
Cependant, la pandémie de COVID-19 et la guerre en Ukraine ont révélé les faiblesses des chaînes d’approvisionnement mondiales. La dépendance de l’Europe vis-à-vis de la Chine pour les matières premières critiques et les produits manufacturés est une source de préoccupation croissante. En 2023, l’UE a importé pour 472 milliards d’euros de biens en provenance de Chine, soit 20 % de ses importations totales, selon les données d’Eurostat. Thierry Breton, commissaire européen au marché intérieur, stipule : “Nous devons renforcer notre résilience économique tout en maintenant les principes du marché unique”.
Bardella : Le “Patriotisme Économique” comme Bouclier
Jordan Bardella, du Rassemblement National, se positionne sur une approche protectionniste qu’il qualifie de “patriotisme économique”. Lors du débat du 23 mai, il a insisté sur la nécessité de protéger les entreprises françaises face à la concurrence étrangère. Son programme met en avant la “préférence nationale” pour l’accès des entreprises aux marchés publics, priorisant ainsi les PME françaises. Il critique vivement les accords de libre-échange, accusés de “mettre en concurrence les agriculteurs français avec des produits qui viennent du bout du monde”.
Pour lui, il est crucial de “protéger nos industries et nos travailleurs contre une concurrence déloyale”. Il prône des mesures telles que l’imposition de droits de douane pour protéger les industries nationales, notamment la filière automobile menacée par les importations chinoises de voitures électriques. En 2023, la France a importé près de 150 000 véhicules électriques de Chine, ce qui représente une augmentation de 40 % par rapport à l’année précédente.
Attal : Le Marché Unique comme Force Motrice
Gabriel Attal, de son côté, défend avec ferveur le marché unique et le libre-échange comme moteurs essentiels de la compétitivité européenne. “Le 9 juin auront lieu les élections européennes probablement les plus importantes de notre histoire” a-t-il abondé, soulignant l’importance de ce scrutin pour l’avenir de la France et de l’Europe. Il appuie sur le fait que l’Union européenne doit continuer à jouer un rôle clé sur la scène mondiale en maintenant un marché ouvert et intégré.
Attal met en garde contre les dangers du protectionnisme prôné par Bardella. “80 % de nos PME exportent dans un pays européen,” rappelle-t-il, soulignant que des mesures protectionnistes risqueraient de nuire aux entreprises françaises qui dépendent des marchés extérieurs. Il défend l’idée que le libre-échange, s’il est équitable et bien régulé, peut bénéficier à l’économie française tout en renforçant les standards sociaux et environnementaux européens. En 2022, les exportations françaises vers l’UE ont représenté 340 milliards d’euros, soit 60 % des exportations totales de la France.
La Politique Énergétique Européenne sous le Feu des Critiques : une illustration concrète des deux visions antagonistes
Lors du débat entre le Premier ministre et le président du RN, la politique énergétique européenne a été longuement décryptée, avec des contestations sévères émanant du côté du Rassemblement National. Jordan Bardella a vivement reproché au gouvernement d’avoir affaibli la filière nucléaire, le qualifiant de “cédant à l’air du temps”. Cette critique s’appuie sur l’accroissement de la dépendance énergétique extérieure et la montée des prix de l’électricité, passant de 15 à plus de 25 centimes d’euros le kWh depuis 2019.
De surcroît, Bardella pointe du doigt les décisions prises par le gouvernement, comme la fermeture annoncée de 14 réacteurs en 2018, l’abandon du projet ASTRID en 2019, et la fermeture de la centrale de Fessenheim en 2020, jugée rentable et sûre. Le Premier ministre s’est justifié en expliquant la nécessité d’une réflexion approfondie sur la politique énergétique française, notamment face au débat sur le nucléaire en 2017.
Toutefois, Gabriel Attal a mis en avant la relance du nucléaire comme une opportunité pour la France, affirmant que six EPR 2 devraient être opérationnels d’ici 2035. Il a également souligné l’importance de la réforme du marché de l’électricité au niveau européen, prévue pour 2026, qui devrait, selon lui, permettre une baisse des factures d’électricité en dissociant le prix de l’électricité de celui du gaz.
Le débat énergétique devient ainsi un microcosme des choix économiques plus larges auxquels l’Europe est confrontée à l’approche des élections européennes. Sa politique influence directement la compétitivité des industries européennes sur le marché mondial. Une approche favorisant le libre-échange, comme celle défendue par Gabriel Attal, promeut une concurrence ouverte et à intégrer pleinement les marchés européens de l’énergie, ce qui pourrait potentiellement abaisser les coûts grâce à des économies d’échelle et à une diversification des sources d’énergie.
En revanche, le protectionnisme économique, prôné par Jordan Bardella, insiste sur la nécessité de protéger les industries nationales, notamment en matière énergétique. Bardella critique les politiques actuelles pour leur manque de soutien à la filière nucléaire française et pour l’augmentation des prix de l’énergie, qu’il attribue à une trop grande ouverture aux influences externes et à une carence de mesures protectionnistes.
Deux visions du Libre-Échange : Un Choix Crucial
Les élections européennes de juin 2024 offriront aux électeurs un choix clair entre deux visions antinomiques, notamment sur l’économie. D’un côté, le patriotisme économique de Jordan Bardella, qui propose des mesures protectionnistes pour protéger les industries nationales et favoriser les entreprises françaises. De l’autre, Gabriel Attal est en faveur d’un marché unique fort et intégré, basé sur le libre-échange et la coopération économique au sein de l’UE.
Le débat sur le libre-échange et le marché unique est décisif pour l’avenir de l’Union européenne. La transition écologique et numérique représente à la fois un défi et une opportunité. Le Pacte vert européen et la stratégie numérique visent à moderniser l’économie tout en respectant les engagements climatiques. Margrethe Vestager, commissaire européenne à la concurrence, affirme : “Nous devons construire une économie durable qui profite à tous les Européens.”
La récente adoption de la loi européenne sur les services numériques (DSA) et la loi sur les marchés numériques (DMA) montre la volonté de l’UE de réguler les géants de la technologie tout en soutenant l’innovation. Ces réglementations envisagent de garantir une concurrence équitable et à protéger les consommateurs dans l’espace numérique.
Le libre-échange et le marché unique restent des enjeux prépondérants pour l’avenir de l’Union européenne. À l’approche des élections européennes, les débats autour de ces questions sont plus vifs que jamais. Les choix des électeurs détermineront la direction que prendra l’Europe pour relever les défis économiques, sociaux et environnementaux à venir.