Depuis plusieurs semaines, la commission d’enquête du Sénat tente d’éclaircir un dossier sensible : l’utilisation de filtres interdits dans les usines Nestlé Waters.
Une commission d’enquête confrontée au silence de Nestlé Waters
Face aux questions des parlementaires, les dirigeants du groupe restent évasifs. Lors de son audition le 26 mars, le directeur technique de Nestlé Waters, Ronan Le Fanic, a assuré que son entreprise respecte strictement la réglementation en vigueur.
Une ligne de défense qui peine à convaincre car des documents parlementaires suggèrent des tentatives de pression sur le gouvernement pour modifier la législation encadrant les eaux minérales.
L’enquête s’intensifie : le 8 avril, la commission auditionnera le secrétaire général de l’Élysée, Alexis Kohler. Des échanges de courriels obtenus par les sénateurs indiqueraient que Nestlé Waters a sollicité la présidence de la République à plusieurs reprises sur ce dossier. Le président de la commission, Laurent Burgoa (Les Républicains), s’interroge : le groupe a-t-il tenté d’obtenir un assouplissement des règles pour légaliser ses méthodes de filtration controversées ?
Des soupçons de lobbying au sommet de l’État
Dès février, une enquête menée par Le Monde et Radio France avait mis en lumière des échanges entre la direction de Nestlé Waters et plusieurs ministères, notamment ceux de la Santé et de l’Industrie. Selon les journalistes, l’objectif était clair : obtenir une modification de la réglementation pour légitimer des techniques de filtration actuellement interdites.
Ronan Le Fanic, pourtant, réfute cette interprétation. « Nous n’avons jamais eu l’intention de changer une réglementation sur l’eau minérale », a-t-il déclaré devant les sénateurs. Une affirmation en contradiction avec les propos d’un consultant en lobbying entendu la veille, qui a confirmé avoir organisé entre 10 et 20 réunions sur le sujet.
La réglementation actuelle, basée sur un avis de l’Anses datant de 2001, impose une filtration à 0,8 micron pour préserver l’intégrité de l’eau minérale.
Or, Nestlé Waters utilise dans ses usines des filtres de 0,2 micron, une taille qui pourrait altérer la composition de l’eau et s’apparenter à une désinfection, interdite par la loi.
Face aux sénateurs, Ronan Le Fanic a minimisé l’écart entre les deux types de filtres, assurant qu’ils n’avaient pas d’impact significatif sur la qualité de l’eau. Une explication jugée peu convaincante par plusieurs parlementaires.
Un passé embarrassant et une stratégie du silence
Si Nestlé Waters défend la conformité de ses pratiques actuelles, son historique en matière de filtration suscite des interrogations. Pendant des années, l’entreprise a utilisé des traitements totalement proscrits pour l’eau minérale naturelle, notamment des filtres à ultraviolets et au charbon actif. Une pratique aujourd’hui abandonnée mais qui soulève une question de fond : comment un groupe de cette envergure a-t-il pu contourner les règles si longtemps ?
Interrogé sur ces faits, Ronan Le Fanic s’est refusé à tout commentaire, invoquant une enquête judiciaire en cours. En février dernier, le parquet de Paris a en effet ouvert une procédure pour « tromperie » à l’encontre de Nestlé Waters.
Cette stratégie de silence a été réitérée par David Vivier, ancien directeur industriel du groupe, également auditionné le 26 mars. « On vous a dit qu’on ne parlerait pas du passé », a-t-il sèchement répondu aux sénateurs, mettant un terme à son intervention après seulement une demi-heure.
Un rendez-vous décisif avec le directeur général de Nestlé Waters
Après des auditions frustrantes, les sénateurs placent désormais leurs espoirs dans l’interrogatoire du directeur général de Nestlé Waters, Laurent Freixe, prévu le 9 avril. Ce dernier acceptera-t-il de lever le voile sur les pratiques du groupe ?
« C’est notre ultime tentative de discussion », a déclaré Alexandre Ouizille, rapporteur de la commission. « Peut-être que nous échouerons, peut-être que Nestlé terminera cette commission sans jamais répondre aux Français. »
Alors que l’affaire prend une dimension politique et judiciaire, l’attitude de Nestlé Waters alimente une défiance croissante envers cette industrie de l’eau en bouteille. Les consommateurs, eux, attendent des réponses.