L’historien Fabien Lostec a publié le livre « Condamnées à mort, l’épuration des femmes collaboratrices de 1944 à 1951 ». Un ouvrage qui évoque l’histoire de ces femmes. Certaines ont collaboré activement avec les Allemands. Le Parisien Matin a eu le plaisir de l’interviewer.
Interview de Fabien Lostec
Fabien Lotsec peut-il se présenter et décrire le constat à l’origine de la rédaction de « Condamnées à mort, l’épuration des femmes collaboratrices de 1944 à 1951 » ?
“Je suis docteur en histoire contemporaine, chargé d’enseignement à l’université Rennes 2. Le constat que j’ai pu faire est assez fort. Depuis toujours, dans l’imaginaire collectif, l’image de la femme collaboratrice est associée à celle de « la femme tondue ». Celle qui a eu des relations sentimentales ou sexuelles avec les Allemands.
Et il s’avère qu’un travail effectué démontre que seulement 40 % d’entre elles ont été accusées de ce type de faits. Dans cet ouvrage, j’ai donc pris le contre-pied.
J’ai décidé de m’intéresser aux « peines majeures ».
J’ai pu constater que la majorité des collaboratrices ont été accusées d’avoir commis des actes semblables à ceux de leurs congénères. Pour autant, cela n’imprègne pas la mémoire collective. D’ailleurs, dans l’imaginaire, toutes les femmes collaboratrices condamnées à mort étaient graciées. On voit bien qu’il existe une forme de déni collectif.“
Comment Fabien Lotsec a effectué les recherches de ces femmes collaboratrices ?
“Afin de retrouver les condamnées à mort, j’ai visité une soixantaine d’archives départementales, j’ai fait un tour de france des cours de justice, des tribunaux exceptionnels, des tribunaux militaires…
D’ailleurs, aujourd’hui, certaines d’entre elles sont encore en vie. Souvent, elles ont reconstruit leur vie en dehors du département de leur condamnation.“
Quels étaient les motivations et les profils de ces femmes collaboratrices selon Fabien Lotsec ?
“Beaucoup d’entre elles agissaient par conviction politique, par conviction nazie. Elles étaient portées par la haine du communisme. Certaines ont même intégré les services de renseignement allemands. Elles ont activement fait part de leur motivation. Plus que de la délation occasionnelle, elles se sont engagé à être silencieuse, ont signé un contrat etc…
D’autres étaient cuisinières ou encore secrétaires pour les Allemands.
Elles avaient la possibilité de les côtoyer au quotidien. C’est un terreau qui a favorisé leur collaboration. On constate aussi que, pour beaucoup, elles avaient déjà eu affaire à la justice pour des faits de délinquance, de vol etc… La frontière entre ces actes de délinquance et la collaboration était donc poreuse.“
D’après les recherches de Fabien Lotsec, quelles formes de violences ces femmes ont-elles exercé ?
“Elles ont commis des tortures, des exécutions. Des violences à chaud, lors de rafles de Juifs ou encore à froid, dans des salles d’interrogatoire.
J’ai pu remarquer qu’elles allaient très loin dans la violence et qu’elles utilisaient des moyens comparables aux hommes. Sachant que la violence fait l’identité des collaborateurs, c’était pour les femmes une manière de s’affirmer dans ce milieu d’hommes.
Aussi, souvent, ces femmes accompagnaient les Allemands et s’enrichissaient sur le terrain. Elles pouvaient piller et ramasser des biens.
Les Allemands, eux, les laissaient faire. C’était une façon de les motiver, de s’assurer de leur productivité.“
Malgré la gravité des violences commises, ces collaboratrices ont été ramenées à leur condition de femme. Fabien Lotsec pourrait-il nous en dire plus ?
“Dans les dossiers, bien qu’elles ont du sang sur les mains, ces femmes étaient vues comme « hors-normes », « sexuellement hyperactives ».
On disait d’elles qu’elles étaient des personnes monstrueuses. Elles étaient presque considérées comme des sorcières. On expliquait la collaboration par un dérèglement moral, sexuel, par une déviance…À la différence de la femme résistante, souvent perçue comme une bonne mère, qui a su résister, la femme collaboratrice était celle qui a trompé son mari, qui était incapable de s’occuper de ses enfants.
Autant de critères qui différent avec les dossiers des hommes. À une seule exception : l’homosexualité.“
Dans l’ouvrage, Fabien Lotsec a-t-il souhaité dévoiler l’identité de ces femmes collaboratrices ?
“L’éditeur a effectivement souhaité que nous diffusions les noms des personnes en question. J’avais peur d’avoir des reproches de la part des petits enfants, des enfants etc. Mais finalement les retours de ces lecteurs sont tout autre. La plupart d’entre eux savaient que la personne de leur entourage avait un passé trouble. Après la lecture de mon livre, ils ont demandé à avoir davantage d’informations.
C’est pourquoi cet ouvrage permet de restaurer le devoir d’histoire. Et par la même occasion, il participe à définitivement faire rentrer cette étape qu’est la collaboration dans l’histoire.“