La France est souvent citée comme un modèle en matière d’énergie nucléaire. Avec une part de plus de 70 % de sa production électrique provenant de centrales nucléaires, le pays s’appuie depuis des décennies sur cette technologie pour assurer son indépendance énergétique et réduire ses émissions de gaz à effet de serre. Cependant, cette histoire de réussite est entachée de tragédies mondiales, de controverses locales, et d’un scepticisme persistant à l’échelle internationale.
L’aventure nucléaire française a débuté dans les années 1950, alors que le pays cherchait à diversifier son bouquet énergétique après la Seconde Guerre mondiale. La crise pétrolière des années 1970 a accéléré cette transition, et la politique volontariste de « tout nucléaire » a vu la construction rapide de 58 réacteurs en seulement trois décennies. Ces infrastructures ont permis à la France de devenir autosuffisante en électricité et un exportateur net d’énergie vers les pays voisins.
Pourquoi aime-t-on le nucléaire en France?
Grâce à sa dépendance au nucléaire, la France a l’un des mix énergétiques les moins carbonés au monde, un atout majeur dans la lutte contre le changement climatique.
Contrairement à d’autres nations européennes, la France est moins vulnérable aux fluctuations des marchés pétroliers et gaziers internationaux grâce au nucléaire, ce qui renforce sa souveraineté énergétique et aussi notre capacité à ne pas plier face aux géants comme la Russie ou le Qatar en cas de problème politique.
Les surplus produits permettent à la France de vendre de l’électricité à ses voisins, générant des revenus important. La France est bien sûr un leader mondial dans la technologie nucléaire, formant des ingénieurs et exportant son savoir-faire via des entreprises comme Areva (aujourd’hui Orano) et EDF. Donc en soi, le nucléaire, c’est le nerf de la guerre.
Pourtant, le nucléaire nous apporte de nombreux inconvénients dont on ne discute pas assez. Tout d’abord, cette dette dont on parle sans cesse: EDF supporte une dette colossale qui limite sa capacité à financer de nouveaux projets sans aide de l’État. Nous payons donc chaque centime. Cette dette financière découle principalement des coûts exorbitants liés à la construction, à l’exploitation, au démantèlement des centrales, et à la gestion des déchets radioactifs.La construction de l’EPR de Flamanville, par exemple, initialement estimée à 3,3 milliards d’euros, a vu ses coûts exploser pour atteindre environ 19 milliards d’euros en 2023, avec plus de dix ans de retard. Ce dépassement budgétaire alourdit non seulement la dette d’EDF, qui atteignait environ 65 milliards d’euros en 2022, mais aussi celle de l’État, qui doit souvent intervenir pour soutenir financièrement ces projets, censés nous rapporter de l’argent.
Et surtout, la gestion des déchets nucléaires reste un défi auquel nous ne trouvons pas de solution. Des sites comme Bure cherchent à stocker ces déchets en profondeur, suscitant des oppositions locales.
Relativisons: Le nucléaire nous permet d’avoir une faible empreinte carbone. Le nucléaire émet très peu de gaz à effet de serre pendant son exploitation. En 2020, la France affichait une émission moyenne de 60 grammes de CO₂ par kilowattheure, contre plus de 300 grammes en Allemagne, où le charbon reste une source énergétique primaire. Mais un des impacts écologiques les plus visibles du nucléaire en France est son utilisation massive d’eau. Les centrales nucléaires utilisent l’eau des rivières pour refroidir leurs réacteurs, un processus qui engendre des rejets d’eau chauffée dans les cours d’eau, affectant la faune et la flore aquatiques. Durant les vagues de chaleur de l’été 2022, plusieurs centrales ont été contraintes de réduire leur production pour respecter les limites de température des rejets, afin de ne pas endommager les écosystèmes. Ces événements soulignent la vulnérabilité du nucléaire face aux changements climatiques.
Si on aime le nucléaire, pourquoi fait-il peur?
La méfiance vis-à-vis du nucléaire trouve ses racines dans des tragédies historiques marquantes, où cette technologie a montré son potentiel destructeur. Les essais nucléaires effectués par les États-Unis dans l’archipel des Marshall, et en particulier à Bikini Atoll sont l’un des exemples les plus effrayants bien qu’il ait donné naissance au dessin animé “Bob l’Eponge” “que les enfants français adorent.
Entre 1946 et 1958, 23 bombes nucléaires ont été testées sur ce site, incluant le tristement célèbre test “Castle Bravo” en 1954, la plus puissante bombe à hydrogène jamais détonée par les États-Unis, avec une force de 15 mégatonnes, soit 1 000 fois la puissance de la bombe d’Hiroshima. Ce test a causé une contamination radioactive massive, entraînant le déplacement forcé de centaines d’habitants, dont beaucoup n’ont jamais pu retourner dans leurs îles. La radiation a laissé des terres inhabitables et provoqué des problèmes de santé graves, comme des cancers et des malformations congénitales, qui perdurent encore aujourd’hui. Cet événement a alimenté une peur durable envers le nucléaire et donné naissance à la perception qu’il est impossible de maîtriser les conséquences à long terme.
Cette méfiance s’est ensuite étendue à l’énergie nucléaire civile, exacerbée par des catastrophes telles que Tchernobyl en 1986, où 70 % des retombées radioactives se sont propagées sur l’Europe. Après l’explosion de Tchernobyl en 1986, plusieurs pompiers et intervenants ont vu leur peau se désintégrer en quelques jours. Ces brûlures, qui commencent souvent comme des rougeurs, évoluent en plaies ouvertes douloureuses, incapables de cicatriser.
Vasily Ignatenko, l’un des premiers pompiers dépêchés sur les lieux de l’explosion du réacteur n°4 de la centrale de Tchernobyl dans la nuit du 26 avril 1986, est une victime de l’impact cauchemardesque du nucléaire. Ignatenko, alors âgé de 25 ans, faisait partie des équipes appelées immédiatement après l’explosion pour éteindre l’incendie. À leur arrivée, ni lui ni ses collègues n’avaient conscience de l’ampleur des radiations émises par le cœur du réacteur. Sans équipement de protection adapté, ils combattaient des flammes chargées de particules hautement radioactives.
En quelques heures, Vasily et ses camarades avaient absorbé des doses massives de radiations, atteignant plusieurs sieverts, suffisantes pour causer une mort rapide par syndrome d’irradiation aiguë.Rapidement, Vasily commença à souffrir de nausées, de vomissements, et d’une faiblesse extrême. Ces symptômes s’intensifièrent dans les jours suivants, alors qu’il était transporté à l’hôpital n°6 de Moscou, spécialisé dans le traitement des irradiés.Vasily subissait des douleurs si intenses que les analgésiques étaient inefficaces.
Malgré cela, il tentait de garder son calme pour sa femme, lui disant : “Ne t’approche pas trop, ça pourrait te faire mal aussi.”Le 13 mai 1986, moins de trois semaines après l’accident, Vasily Ignatenko succomba à une défaillance multi-organes causée par les radiations. Il fut enterré dans un cercueil scellé, recouvert de plomb, pour limiter la contamination. Sa tombe, située dans un cimetière de Moscou, reste un lieu de mémoire pour honorer les liquidateurs.. Les victimes de fortes doses de radiation, comme les “liquidateurs” de Tchernobyl, ont souffert de vomissements incontrôlables, de diarrhées sanglantes, de fièvres extrêmes, et de défaillances organiques rapides. Beaucoup sont morts dans des douleurs atroces en quelques jours à peine comme Ignatenko.
Fukushima en 2011 est un énorme rappel qu’aucun pays n’est à l’abri du risque nucléaire. La centrale de Fukushima et son accident nucléaire ont contaminé des milliers de kilomètres carrés au Japon. Le pays, réputé pour son développement technologique a quand même subi le désastre dans toute sa splendeur macabre.
À 14h46 heure locale, le 11 mars 2011, un séisme d’une magnitude rarement observée frappe la région de Tōhoku. Les réacteurs de la centrale Fukushima Daiichi, conçus pour résister à des tremblements de terre, s’arrêtent automatiquement grâce à un mécanisme d’urgence (scram). Cet arrêt ne met pas fin à la production de chaleur résiduelle dans les cœurs des réacteurs. Les systèmes de refroidissement doivent rester opérationnels pour éviter une surchauffe. Environ 50 minutes après le séisme, un tsunami aux vagues atteignant jusqu’à 14 mètres submerge la centrale. Or, les défenses côtières de Fukushima, conçues pour un tsunami maximal de 5,7 mètres, sont largement insuffisantes. L’eau salée inonde les générateurs diesel de secours, situés en sous-sol, qui alimentaient les systèmes de refroidissement. Cette panne provoque un blackout total (perte complète d’alimentation électrique), rendant impossible le refroidissement des réacteurs et des piscines de combustibles usés.
Le problème du nucléaire n’est pas qu’un malheur puisse arriver: C’est surtout la cupidité des gérants de ces centrales. Les réacteurs de Fukushima étaient des modèles de type boiling water reactor (BWR) conçus dans les années 1960 par General Electric. Ces réacteurs n’étaient pas dotés de systèmes de confinement de dernière génération capables de limiter les fuites radioactives en cas d’incident grave. TEPCO et les régulateurs japonais avaient basé leurs scénarios de risque sur des tsunamis historiques beaucoup moins puissants que celui de 2011. Les rapports scientifiques alertant sur des tsunamis potentiels de plus de 10 mètres avaient été ignorés. L’alerte avait été donnée et ces mêmes gérants n’ont rien fait.
Plus de 150 000 personnes ont dû être évacuées de la zone autour de la centrale, laissant derrière elles leurs maisons et leurs biens et 1 600 personnes sont mortes dans les mois qui ont suivi l’accident en raison des conditions de vie après l’évacuation.
Bien qu’efficace pour produire de l’énergie ou démontrer une puissance militaire, le nucléaire reste associé à des risques extrêmes pour l’environnement et la santé humaine. Le nucléaire doit vous inquiéter.