Pierre, un ancien gendarme aujourd’hui en reconversion, témoigne d’un profond mal-être depuis qu’il a été violemment agressé lors d’une intervention. L’auteur des faits ? Un individu déjà bien connu de la justice, avec à son actif une quinzaine de condamnations, dont plusieurs pour des actes de rébellion contre les forces de l’ordre.
Pour Pierre, ce n’est plus un fait divers parmi d’autres : c’est un tournant dans sa vie personnelle et professionnelle.
Depuis cette agression, Pierre est incapable de reprendre le travail. Il parle d’insomnies, d’angoisses, d’un corps en état d’alerte permanent. Mais plus encore, il exprime un sentiment de trahison. Il ne dirige pas sa colère vers l’agresseur, qu’il considère comme un symptôme, mais vers la justice française qu’il accuse de ne pas protéger ceux qui sont censés protéger les autres.
« Je veux remercier les magistrats. Grâce à leur laxisme, j’ai perdu mon emploi, ma stabilité, ma santé mentale. »
À l’antenne de RMC, dans l’émission Les Grandes Gueules, Pierre ne mâche pas ses mots. Pour lui, les juges vivent dans une illusion de société pacifiée, où les récidivistes seraient des personnes perdues qu’il suffirait d’accompagner. Un monde irréel où l’on peut subir quinze condamnations sans conséquence grave. Or, pour Pierre, la conséquence est bien réelle : une carrière brisée.
Des sanctions trop faibles pour des faits graves ?
Cette colère ne naît pas uniquement de son expérience personnelle. Elle est ravivée par l’actualité récente : après les débordements urbains qui ont suivi la victoire du PSG en Ligue des champions, plusieurs individus interpellés ont comparu devant le tribunal de Paris. Verdict ? Des peines avec sursis, quelques amendes, pas de travaux d’intérêt général, encore moins de prison ferme. Une réponse judiciaire que beaucoup, dans les rangs des forces de l’ordre, considèrent comme dérisoire.
« On peut caillasser un policier, tirer des mortiers d’artifice, brûler des voitures : l’addition, c’est 500 euros, quand elle est payée. Et souvent, elle ne l’est pas », – Pierre.
Il parle d’un déséquilibre de traitement : pendant que les fauteurs de troubles s’en sortent avec des peines qu’il juge symboliques, les citoyens qui travaillent et subissent les conséquences matérielles de ces actes voient leurs primes d’assurance grimper et leurs impôts augmenter. Une forme d’injustice inversée, dit-il, où le malfaiteur semble moins inquiété que la victime indirecte.
Un sentiment de solitude chez les gendarmes
Pierre n’est pas un cas isolé. De plus en plus d’agents des forces de l’ordre expriment un mal-être lié à l’écart croissant entre les risques qu’ils prennent au quotidien et la reconnaissance qu’ils en retirent.
Si certains accusés finissent tout de même condamnés à des peines de prison ferme — comme ce fut le cas lors d’une deuxième série de comparutions immédiates qui impliquait des faits plus graves —, la tendance générale reste, selon Pierre et de nombreux policiers, trop permissive.
Ce constat est partagé par l’ancien policier devenu député européen, Matthieu Valet. Il s’agace d’une justice qui, selon lui, relativise trop souvent les violences exercées contre les forces de l’ordre. Invité dans l’émission Pascal Praud et vous, il critique les alternatives proposées à la détention, telles que les rappels à la loi ou les stages dits de citoyenneté.
Pour lui, ces mesures sont insultantes envers les policiers et les gendarmes blessés dans l’exercice de leurs fonctions.
« On ne rééduque pas quelqu’un qui tire sur des policiers avec un stage. Il faut cesser de croire que tout peut se régler avec des ateliers et des brochures. »
Ce que Valet dit là, c’est malheureusement ce que même des citoyens non-gendarmes remarquent – l’idéalisation d’une réhabilitation douce donne l’impression que nous vivons dans une société trop indulgente, qui cocoonne les criminels et ne prévient plus la récidive.
Nous connaissons tout une personne qui clame haut et fort que des malfaiteurs ne feraient pas ça dans un pays comme la Chine, le Japon, etc. Cette analyse qu’on entendrait accoudé au bar d’un café est vraie : La France fait peur lorsqu’il s’agit d’impôts et des incessantes taxes mais ne semble avoir aucun contrôle sur les criminels.
Le suicide dans la gendarmerie, le chiffre vous ferait mal au coeur
Qu’on aime ou pas les forces de l’ordre, il faut se souvenir que derrière l’uniforme, ce sont des vraies personnes.
Alors que les forces de police ont vu leur taux de suicide reculer ces dernières années — 27 en 2024 contre 59 en 2019 —, les chiffres repartent à la hausse chez les gendarmes : 26 suicides recensés en 2024, soit cinq de plus qu’il y a cinq ans.
David Ramos, président de l’association GendXXI, constate que les dispositifs d’accompagnement psychologique mis en place dans la police ne trouvent pas leur équivalent dans la gendarmerie. Des efforts ont été faits avec la montée en nombre des psychologues cliniciens mais ils ne suffisent pas à combler les manques structurels dans la prévention et l’acceptation du recours à ces soutiens.
« Beaucoup de gendarmes refusent encore de consulter un psychologue, même lorsqu’ils se sentent fragiles. C’est perçu comme un aveu de faiblesse. »
David Ramos insiste sur le besoin de banaliser ces démarches. Lui-même, confronté à des dossiers très lourds — pédocriminalité, terrorisme — consulte au moins une fois par an. Il regrette que la visite médicale obligatoire n’intègre pas un véritable volet psychologique, et que certaines fragilités passent inaperçues.
Le gendarme typique est souvent une personne courageuse qui a du mal à accepter qu’elle puisse aussi avoir besoin d’aide.
Un isolement aggravé par les conditions de travail
Pour Ramos, les causes du malaise sont aussi collectives. La charge de travail augmente, les effectifs sont souvent insuffisants, les missions se diversifient sans que les moyens suivent.
La défiance de la population vis-à-vis des forces de l’ordre, renflouée par certaines affaires médiatiques, accentue ce sentiment d’isolement.
Et il y a la question de l’arme. Dans la gendarmerie, les militaires peuvent conserver leur arme en dehors du service. C’est un facteur aggravant dans les cas de passage à l’acte, lorsque la personne concernée n’a pas pu ou voulu signaler sa détresse.
Autre point : les enquêtes internes menées après un suicide ne permettent pas toujours de tirer des enseignements. Une fois la responsabilité pénale écartée, le dossier est souvent refermé. Or, pour David Ramos, il faudrait aller plus loin et identifier les failles dans le système de prévention, même lorsqu’il n’y a pas de responsable direct.
Une profession en perte de sens ?
Ce que Pierre, David Ramos et bien d’autres décrivent, c’est une forme d’usure généralisée. Les gendarmes sont de plus en plus mobilisés, dans des contextes de plus en plus violents. Ils doivent intervenir pour des conflits familiaux, des troubles psychiatriques, des agressions, des cambriolages, tout en maintenant une présence sur le terrain en zones rurales. Et lorsqu’ils subissent des violences, leur parole est parfois contestée, remise en question.
« La gendarmerie a le sentiment de perdre son cap, de ne plus savoir pourquoi elle agit, ni pour qui. »
Cette perte de sens, cumulée aux contraintes matérielles et à l’absence de reconnaissance institutionnelle, peut rendre l’engagement difficile à tenir. Beaucoup partent, parfois dès que leur contrat le leur permet. D’autres restent, mais sans l’élan ni la confiance qu’ils avaient au départ.