Ah, le Moyen Âge ! Époque bénie où les papes ne portaient pas seulement la tiare, mais parfois aussi la réputation sulfureuse de troubadours lubriques ou de seigneurs de guerre assoiffés de pouvoir.
Parmi ces joyaux du chaos pontifical, un nom revient avec la régularité d’un mauvais refrain : Octavien de Tusculum, plus connu sous le nom de Jean XII, élu pape à seulement 18 ans, et considéré à juste titre comme l’un des pires pontifes — sinon le plus dépravé — de l’histoire de l’Église catholique.
Puisque nous sommes un dimanche, il nous faut vous raconter son histoire rocambolesque.
Enfance dorée, morale rouillée : naissance d’un prince-pape
Notre « héros » du jour, Octavien de Tusculum, voit le jour vers 937 dans une Rome qui n’a plus rien de l’Empire glorieux, mais tout d’un panier de crabes politique. Il naît dans une famille qui mêle noblesse, ambition, et cette obsession toute italienne de la domination romaine. Son père, Alberic II, ne s’embarrasse pas d’hypocrisie : il gouverne Rome comme un petit César local et rêve d’en faire une monarchie théocratique héréditaire.
Avant de mourir, il jure les puissants de la ville de faire élire son fils comme pape. Voilà donc Octavien, 18 ans, propulsé à la tête de l’Église universelle en 955, sans autre qualification que d’avoir un bon arbre généalogique et probablement la meilleure coupe au bol de son époque.
Premier point important : Octavien ne renonce même pas à son nom de naissance. Ce détail, à première vue anodin, traduit une chose : il n’en a rien à faire des conventions. Ce n’est qu’une fois installé qu’il adopte le nom de Jean XII, comme on met un masque de théâtre avant une représentation… ou une orgie, selon les soirs.
Du trône de Saint Pierre au canapé du péché
Dès son intronisation, Jean XII s’illustre non pas par des bulles papales ou de pieuses réformes, mais par des soirées endiablées, dignes des pires fantasmes des moralistes. Le palais du Latran devient un haut lieu de la luxure, un mix entre Game of Thrones, Caligula et un mauvais épisode de Secret Story médiéval.
Le chroniqueur Liutprand de Crémone, jamais avare de formules assassines, nous dresse un portrait détaillé et haut en couleurs du jeune pape :
- Il joue aux dés pendant les messes, en pariant sur les saintes reliques comme d’autres sur des chevaux.
- Il transforme le Latran en maison close, où l’on entre pour confesser ses péchés… et en ressort avec un autre à ajouter à la liste.
- Il nomme des adolescents comme évêques après des faveurs douteuses, rendant l’apostolat aussi crédible qu’un épisode des Marseillais à Antioche.
- Il consacre un évêque dans une écurie, parce que… pourquoi pas ?
L’érotisme apostolique
Dans les accusations les plus croustillantes — et les plus constantes — qui lui sont reprochées, citons :
- Des relations sexuelles avec ses nièces, des veuves, des matrones, des jeunes vierges, et parfois les épouses de ses cardinaux ;
- L’utilisation des offrandes des fidèles pour acheter des cadeaux à ses maîtresses ;
- La vente d’indulgences pour financer ses orgies et ses joutes équestres nocturnes dans les couloirs du Vatican ;
- Et le grand classique : l’invocation du démon, pour mieux garder son pouvoir. (Avec ou sans chandelles noires, la légende ne précise pas.)
Jean XII était un poète de la débauche, un esthète du scandale, un pontife qui aurait fait passer Hugh Hefner pour un bénédictin.
Le soap-opera politico-papal
En bon adolescent gâté, Jean XII découvre vite que Rome est remplie de sénateurs retors, de nobles impatients de le détrôner, et de citoyens qui supportent mal les fêtes à répétition dans le palais pontifical.
Il cherche alors un protecteur musclé. Son choix se porte sur le roi des Germains, Otton Ier, un homme aussi pieux que carré, tout ce que Jean n’est pas.
Otton monte à Rome avec ses armées, sécurise la ville, et reçoit en 962 la couronne impériale des mains de Jean XII. C’est la renaissance du Saint-Empire romain germanique. Les cloches sonnent. Le peuple acclame. L’Église se réjouit.
Mais Jean, fidèle à sa réputation d’adolescent impulsif, trahit Otton dans les mois qui suivent, en nouant des alliances secrètes avec les ennemis de l’empereur. Il se prend pour Machiavel avant l’heure, mais sans la subtilité ni le style littéraire.
Un procès digne d’un drame judiciaire byzantin
Fou de rage, Otton revient à Rome en 963 et convoque un concile. Jean, courageux mais pas téméraire, fuit en vitesse, et envoie une lettre d’insultes bien salées aux membres du synode. Dans ce document, il traite Otton de tyran et menace d’excommunication toute l’assemblée.
Le concile, loin d’être impressionné, le dépose et élit Léon VIII, un laïc qui sera ordonné en urgence pour occuper le trône pontifical.
Jean, de retour avec ses partisans, reprend Rome par la force, fait mutiler plusieurs de ses opposants (nez coupés, yeux arrachés, langue tranchée — les classiques) et chasse Léon VIII.
On atteint ici le pic du chaos pontifical : deux papes, une ville en guerre civile, des cardinaux en fuite, des diacres planqués sous les bancs… Bref, une messe noire géante.
Une mort à la hauteur du personnage (c’est-à-dire ridicule)
Il faut toujours une bonne fin pour un mauvais personnage. Jean XII, fidèle à son style, meurt le 14 mai 964, à l’âge de 25 ans seulement, dans des circonstances qui auraient fait rougir les rédacteurs de Voici.
Deux versions s’affrontent :
- La première raconte qu’il est mort d’une apoplexie foudroyante… alors qu’il était en plein ébat avec la femme d’un noble romain. Une mort “divine”, diront certains.
- La seconde, moins poétique mais tout aussi romanesque, affirme que le mari trompé l’a surpris et l’a tué d’un coup de marteau sur la tempe.
Quelle que soit la vérité, le Saint-Esprit ne l’a manifestement pas rappelé par la grande porte.
L’héritage de Jean XII : rien, sauf le scandale éternel
Après lui, l’Église tente d’effacer son souvenir : pas de canonisation (étonnant!), pas de vitraux, pas de bénédictions. Juste des murmures dans les couloirs du Vatican, et des chroniqueurs médusés, qui se demandent encore comment on a pu élire un tel personnage.
Et pourtant, Jean XII demeure fascinant.
Pas pour sa foi. Pas pour son œuvre. Mais pour ce qu’il incarne : le chaos de l’humanité jetée au sommet sans préparation, ni vertu, ni sagesse.
Un enfant-roi transformé en pape-dépravé, qui brûla la tiare comme une chandelle trop courte, mais bien parfumée.