Dans la lignée esthétique glaciale de Snowpiercer, Mickey 17 continue d’exploiter la thématique de la lutte des classes, où le juste milieu n’existe plus. Drôle et acerbe, il s’impose comme la pièce qui complète le puzzle de la réflexion vivante et indignée de Bong-Joon Ho.
Robert Pattinson, Mickey 17 et le rire acerbe de Bong Joon-ho
Voir Robert Pattinson agoniser dans la glace, c’est être une fois de plus frappé par la perfection un peu irréelle de son visage, tout en se remémorant, presque malgré soi, Twilight (Catherine Hardwicke, 2008). Mais c’est aussi revoir Cosmopolis (David Cronenberg, 2012), où il errait déjà, blafard et impénétrable, dans une limousine transformée en mausolée du capitalisme.
Le voir dériver dans l’espace ? Impossible de ne pas penser à High Life (Claire Denis, 2018), où il incarnait un astronaute mutique, coincé dans une mission dont l’absurde le dépassait. Mais dans Mickey 17, l’isolement est une chimère : Mickey ne peut pas être seul, migrant parmi les conquérants d’un Nouveau Monde. Parmi eux, il est la main-d’œuvre jetable, un immortel malgré lui.
Et pourtant, à bord du vaisseau en route vers Niflheim, tout le monde est bien content de le trouver.
Le cobaye idéal et la farce de l’élite
Dans ce futur proche, où les questions éthiques sont abordées et balayées au nom de l’efficacité de la conquête, Mickey est à la fois le souffre-douleur de service et un pionnier, malgré lui, d’une nouvelle civilisation. Il est celui qui peut tout encaisser, pour le bien de la communauté qui se divertit à lui demander “Ça fait quoi de mourir, Mickey?”
À l’autre bout du spectre, Kenneth (Mark Ruffalo), milliardaire illuminé, rêve d’un monde plus pur, plus organisé, où les classes supérieures orchestreraient tout dans une belle symphonie de perfection génétique. À ses côtés, sa femme (Toni Collette), obsédée par les sauces et les tapis, prête attention aux mots qu’elle et son dictateur prononcent, sans interroger leurs contradictions avec leurs idées.
C’est là que Bong Joon-ho s’amuse : avec cette élite qui s’imagine visionnaire mais qui, à force d’être enfermée dans sa propre logique, en devient grotesque. Un thème qui lui est cher, déjà présent dans Parasite (2019), où la bourgeoisie s’effondrait sur elle-même, trop aveugle pour voir qu’elle ne tenait debout que grâce aux autres.
Une science-fiction qui a le sens de l’humour
Comme souvent chez Bong Joon-ho, le futur ressemble étrangement à notre présent. Mickey 17 a beau être un film de science-fiction, il parle de nous, de nos absurdités contemporaines.
Les références cinématographiques sont nombreuses : les insectes géants évoquent Starship Troopers (Paul Verhoeven, 1997), le mélange de luxe et de malaise rappelle Cosmopolis, et les grilles qui reviennent dans les décors, Angel Heart (Alan Parker, 1987). Mais au-delà des clins d’œil, ce qui fait la force du film, c’est son ton. Plus accessible que Parasite, moins radical que Snowpiercer, il jongle entre le divertissement et la critique sociale, de façon plus légère mais tout aussi percutante que les deux précédents.
Car Bong Joon-ho n’est pas du genre à faire la morale. Il préfère montrer, avec cette ironie mordante qui fait tout son charme. Il n’a pas besoin d’aligner de longs discours sur les inégalités : il suffit de voir Mickey, réduit à une ressource, et ceux qui l’exploitent, enfermés dans leur arrogance, pour comprendre.
Un miroir un peu trop fidèle ?
Kenneth et Ylfa, avec leur mépris tranquille et leur ambition mal dégrossie, rappellent furieusement certaines figures bien réelles de la Silicon Valley. Ces milliardaires persuadés d’avoir tout compris, multipliant les projets farfelus sur l’espace, la longévité ou la conquête de nouveaux mondes, sans jamais remettre en question leur propre place dans l’équation.
Et si Mickey 17 n’avait pas été tourné il y a trois ans, on pourrait voir autrement l’éraflure sur la joue de Mark Ruffalo. Parce que parfois, la réalité va plus vite que la fiction.
Un film qui amuse autant qu’il pique
Le talent de Bong Joon-ho, c’est de faire de Mickey 17 un film à double lecture. On peut le voir comme une aventure spatiale originale, une fable SF sur l’immortalité et ses limites. Ou comme une satire bien sentie sur notre monde, où l’illusion du progrès cache souvent les mêmes vieilles dynamiques de pouvoir.
Comme souvent avec Bong Joon-ho, c’est drôle, c’est grinçant, et ça fait réfléchir sans en avoir l’air. Un film qui laisse peu d’espoir, mais qui, paradoxalement, réconforte.