On associe souvent l’Afghanistan avec l’insécurité. L’Afghanistan, où environ 90 % de la population vit sous le seuil de pauvreté selon les données de la Banque mondiale, reste en effet marqué par des conflits qui ont coûté la vie à plus de 240 000 personnes depuis 2001. Ce pays, classé parmi les dix plus vulnérables au changement climatique par le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), subit également les effets d’une instabilité économique chronique. Avec un taux de chômage avoisinant les 40 % et une dépendance accrue à l’aide internationale, le défi est de taille.
Pourtant, l’Afghanistan tente aujourd’hui de se redéfinir sur la scène mondiale, en cherchant à se faire entendre dans des discussions d’enjeu planétaire comme celles sur le changement climatique. Ce repositionnement stratégique vise à briser l’isolement diplomatique et à ouvrir la voie à une collaboration avec les pays dits “développés”.
L’Afghanistan essaie de participer à la COP
En novembre 2024, l’Afghanistan a franchi une étape importante en participant pour la première fois à la Conférence des Parties (COP29) organisée à Bakou, en Azerbaïdjan. Bien que présents en tant qu’observateurs à l’invitation des hôtes azéris, les représentants du régime taliban ont utilisé cette tribune pour alerter sur les défis environnementaux auxquels leur pays est confronté. Selon Matiul Haq Khalis, directeur général de l’Agence nationale de protection de l’environnement afghane, cette participation représente une “grande avancée”, soulignant que “l’Afghanistan doit être inclus de manière permanente dans ces conférences pour faire entendre la voix de ses habitants“.
Avec une température moyenne augmentant deux fois plus vite que la moyenne mondiale selon les estimations de la Banque mondiale, le pays est particulièrement vulnérable au réchauffement climatique. En 2023, une sécheresse prolongée a touché près de 10 millions de personnes, aggravant l’insécurité alimentaire déjà critique, alors que plus de 70 % des Afghans dépendent de l’agriculture pour leur subsistance. Les inondations ont causé des pertes économiques estimées à 2,2 % du PIB annuel en 2022. Ce sont les contradictions climatiques du pays, pris entre des cycles de sécheresse et de précipitations dévastatrices.
La participation de l’Afghanistan à des forums tels que la COP continue de diviser la communauté internationale. Certains pays, comme la Russie et le Qatar, ont rencontré la délégation afghane pour discuter de solutions spécifiques, mais d’autres acteurs, notamment les États-Unis et plusieurs États européens, restent sceptiques. Ils estiment que les restrictions sévères imposées par le régime taliban, notamment sur les droits des femmes, compromettent la légitimité de leurs représentants dans des discussions internationales.
Un consensus émerge autour du fait que l’Afghanistan, émettant moins de 0,03 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre, devrait bénéficier d’un soutien accru. “Il est injuste qu’un pays si peu contributeur aux émissions subisse des conséquences aussi extrêmes“, a déclaré un porte-parole de la délégation du Bangladesh, également très exposée au changement climatique.
L’appel à l’inclusion de l’Afghanistan dans les discussions climatiques résonne aussi auprès des Nations unies. L’organisation a réaffirmé que l’aide climatique aux pays les plus vulnérables, comme l’Afghanistan, est essentielle pour construire leur résilience face aux catastrophes à venir. Avec 100 milliards de dollars promis chaque année par les pays développés pour soutenir les nations en développement, l’enjeu est de garantir que ces fonds atteignent également des régions politiquement isolées. “Nous ne pouvons pas laisser la situation géopolitique des talibans détourner l’attention des besoins urgents de millions de personnes menacées par la crise climatique“, a insisté un expert lors des débats à Bakou.
L’Afghanistan doit s’impliquer davantage, c’est prouvé par leur développement agricole
Le développement agricole en Afghanistan constitue une priorité nationale car ce secteur est à la fois l’épine dorsale de l’économie afghane et le plus vulnérable face aux effets du changement climatique. Plus de 70 % de la population afghane dépend directement de l’agriculture pour sa subsistance. Pourtant, ce secteur vital est en péril.
Entre 2018 et 2022, la productivité agricole a chuté de 30 %, une diminution attribuée à la multiplication des sécheresses, des inondations et à la dégradation des sols. En 2022, une sécheresse prolongée a touché 25 des 34 provinces du pays, affectant près de 10 millions de personnes et réduisant de moitié la production de blé, une culture essentielle pour la sécurité alimentaire. Ces problèmes ne sont pas isolés : entre 1990 et 2020, le pays a perdu environ 20 % de ses terres arables en raison de la désertification et de l’érosion, accentuées par des pratiques agricoles non durables et le manque d’infrastructures d’irrigation modernes.
La situation est aggravée par des problèmes structurels. L’accès à l’eau reste un défi colossal : seulement 33 % des terres cultivables bénéficient d’une irrigation régulière, et la majorité des agriculteurs dépendent des pluies de saison, de plus en plus imprévisibles. Une étude menée par l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) en 2021 a estimé que l’Afghanistan pourrait perdre jusqu’à 40 % de ses récoltes annuelles d’ici 2050 si les températures moyennes continuent d’augmenter au rythme actuel. Les infrastructures rurales, déjà limitées, ont été dévastées par des décennies de conflit, rendant difficile l’accès aux marchés pour les petits exploitants agricoles. Par exemple, en 2023, près de 60 % des agriculteurs afghans ont rapporté des pertes importantes dues à l’incapacité de transporter leurs produits vers les marchés urbains.
La nécessité de faire entendre la voix de l’Afghanistan dans des forums internationaux tels que la COP grandit tous les jours. Les fonds internationaux dédiés à l’adaptation climatique, tels que le Fonds vert pour le climat, pourraient jouer un rôle transformateur.
Toutefois, l’absence de l’Afghanistan aux discussions climatiques majeures en 2022 et 2023 (COP27 en Égypte et COP28 aux Émirats arabes unis) a freiné sa capacité à plaider pour un accès à ces ressources. En participant à la COP29 en Azerbaïdjan, la délégation afghane a non seulement souligné ces défis, mais a également proposé des solutions concrètes, telles que le développement de systèmes d’irrigation durables et la promotion de cultures résilientes à la sécheresse, des mesures qui nécessitent un soutien financier et technique international.
Par ailleurs, le cadre juridique pour la protection de l’environnement en Afghanistan reste largement sous-développé. La loi sur la gestion des ressources en eau, adoptée en 2009, n’a pas été mise à jour pour intégrer les réalités du changement climatique, tandis que la législation sur la conservation des terres agricoles est quasi inexistante.
L’absence d’un plan national intégré pour le climat complique encore les efforts pour accéder aux financements internationaux. Pourtant, les exemples de succès existent : dans la province de Bamiyan, un projet pilote financé par le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) a permis à plus de 5 000 agriculteurs d’adopter des techniques d’irrigation au goutte-à-goutte, réduisant ainsi leur consommation d’eau de 40 % tout en augmentant les rendements agricoles de 20 % en 2022.