Depuis le début des années 2000, la Chine est devenue un acteur majeur du financement en Afrique, cumulant des prêts estimés à 148 milliards de dollars en 2020. Quelles sont les répercussions de cette dette sur les économies africaines ?
Gaston Beavogui, ingénieur, statisticien et économiste, auteur entre autres d’un rapport académique sur l’analyse du commerce extérieur du Bénin avec les autres pays de l’UEMOA, revient pour Le Parisien Matin sur les risques et opportunités liés à cette dépendance croissante envers Pékin.
La viabilité de la dette africaine
D’après l’Institut de finance internationale, depuis le début des années 2000, la Chine a accru ses prêts aux pays africains, devenant l’un de leurs principaux créanciers. En 2020, les prêts chinois aux pays africains étaient estimés à 148 milliards de dollars. Comment évaluez-vous la viabilité de cette dette à long terme ?
La dette publique des pays africains a explosé depuis le début du XXIe siècle. Aujourd’hui, le stock de la dette extérieure du continent est estimé à 1 154 milliards de dollars, soit 13,06 % de la dette extérieure mondiale, selon l’International Debt Report 2024. Cette augmentation drastique s’explique en grande partie par le recours croissant à des créanciers commerciaux et bilatéraux, notamment la Chine.
Les prêts chinois à l’Afrique ont considérablement augmenté ces deux dernières décennies. Entre 2000 et 2023, les créanciers chinois ont prêté environ 182,28 milliards de dollars, selon les données de Chinese Loans to Africa (CLA) du Boston University Global Development Policy Center. Ces prêts se concentrent sur 14 pays africains qui captent près de 80 % du stock total de la dette chinoise sur le continent. Dans ces pays, la dette chinoise représente environ 18 % de leur dette extérieure, atteignant même 81 % en Angola et 64 % au Congo.
En grande majorité, cette dette est détenue par des institutions de financement du développement comme la China EXIM Bank et la China Development Bank, tandis qu’une partie moindre, environ 15,6 %, est liée à des créanciers commerciaux.
La soutenabilité de cette dette est néanmoins préoccupante. Quatorze pays africains sont aujourd’hui considérés comme présentant un risque élevé de surendettement, et six d’entre eux sont déjà en situation de surendettement, contre respectivement six et cinq en 2010, d’après le FMI. Pratiquement tous les principaux emprunteurs africains auprès de la Chine figurent parmi les 20 pays les plus endettés du continent.
En 2020, la Banque mondiale estimait déjà que sept pays africains risquaient le surendettement en raison de l’importance des prêts chinois.
La croissance rapide de l’endettement, combinée à une progression plus lente de l’économie et à la hausse des coûts du crédit étranger, soulève de sérieux doutes sur la viabilité à long terme de cette dette, y compris des prêts contractés auprès de la Chine.
Les bonus et malus des prêts chinois pour l’économie africaine
Les prêts chinois sont souvent accompagnés de conditions spécifiques, telles que des projets d’infrastructure. Quels sont les avantages et les inconvénients de ces conditions pour les économies africaines ?
Comme tout prêt, les créances chinoises présentent des avantages et des inconvénients.
Sur le plan des avantages, il est possible de souligner la flexibilité des conditions de prêt. Les créanciers chinois se sont imposés comme une alternative aux créanciers traditionnels, tels que les institutions financières multilatérales ou les membres du Club de Paris, perçus comme plus exigeants. Les prêts chinois sont souvent plus faciles à obtenir, avec moins de conditionnalités et des taux d’intérêt ainsi que des échéances de remboursement plus favorables que ceux du marché.
Ces prêts ont également permis de financer de nombreux projets d’infrastructure. Par exemple, entre 2000 et 2023, 34,4 % des prêts chinois, soit 62,72 milliards de dollars, ont été dirigés vers le secteur de l’énergie, tandis que 28,9 %, soit 52,65 milliards de dollars, ont été investis dans les infrastructures de transport, selon les données de CLA (2023). Ces investissements, essentiellement dans des projets d’infrastructure, peuvent dynamiser la croissance économique.
Cependant, les inconvénients sont tout aussi significatifs. Les prêts chinois se caractérisent souvent par un manque de transparence, ce qui peut favoriser la corruption et compliquer la gestion de la dette. Par ailleurs, certaines créances sont assorties de garanties exigeantes, telles que l’adossement de la dette à des actifs ou à des recettes futures issues des exportations ou de l’exploitation d’infrastructures.
Ces garanties posent des problèmes, en termes de séniorité de la dette, où certains créanciers se voient accorder une priorité de remboursement. Cela peut conduire à des « dettes cachées », comme l’ont signalé des études du FMI et de la Banque mondiale (2020) ainsi que des travaux de Mihalyi, Adam et Hwang (2020).
Les garanties excessives peuvent inciter les emprunteurs à une mauvaise gestion de la dette, augmentant ainsi le risque de surendettement.
Certains critiques soutiennent que les prêts chinois pourraient mener à une dépendance économique accrue des pays africains envers la Chine. Que pensez-vous des implications géopolitiques de cette relation économique ?
La dette est aujourd’hui un véritable levier de stratégie géopolitique, et la Chine l’a parfaitement compris. En octroyant des prêts, elle a renforcé ses relations économiques et, implicitement, géopolitiques avec les pays africains.
Ces prêts ciblent en priorité des pays riches en ressources naturelles comme le pétrole, la bauxite ou le diamant, ou présentant un intérêt géostratégique. Par exemple, Djibouti a reçu 1,4 milliard de dollars de prêts d’infrastructure entre 2012 et 2020. En 2020, plus de la moitié de sa dette extérieure provenait de la Chine, représentant 45 % de son PIB, selon le FMI.
Par ailleurs, des pays comme la Zambie accusent la Chine de maintenir une emprise sur leurs ressources naturelles, notamment le cuivre et le zinc, via des prêts continus. Cela alimente des craintes d’endettement excessif et, dans certains cas, de perte de contrôle sur des actifs stratégiques.
Cette tactique chinoise, consistant à privilégier les relations stratégiques existantes au détriment d’une diversification vers des économies plus solides, crée une dépendance croissante des économies africaines vis-à-vis de Pékin, semblable à celle qu’elles entretenaient autrefois avec les créanciers traditionnels.
Un développement africain, soutenu par les prêts chinois
Avec les préoccupations croissantes sur la durabilité de la dette, comment les gouvernements africains peuvent-ils équilibrer la nécessité de financement pour le développement avec les risques potentiels associés aux prêts chinois ?
Face à cette situation, il est essentiel que les gouvernements africains collaborent avec tous les acteurs du développement, y compris les créanciers, pour améliorer les conditions de financement et prévenir une crise généralisée de la dette.
Les gouvernements africains pourraient renforcer la mobilisation des ressources internes, en créant des marchés obligataires domestiques et en améliorant la performance des structures de collecte des recettes publiques.
Il est également important d’assurer un meilleur lien entre le financement par la dette et les retombées économiques. Une utilisation plus efficiente des investissements financés par la dette pourrait générer une croissance suffisante pour garantir le remboursement. Enfin, promouvoir la bonne gouvernance améliorerait l’image des pays auprès des créanciers et leur donnerait accès à davantage de financements concessionnels.
Du côté des créanciers, il serait nécessaire de réformer l’architecture du système financier mondial, comme le réclament de nombreuses voix. Les institutions multilatérales de développement devraient réviser leurs normes de prêt, notamment en offrant aux pays emprunteurs la possibilité d’emprunter en monnaie locale. Elles devraient également augmenter les financements concessionnels pour les projets, tout en renforçant les mécanismes garantissant la soutenabilité de la dette.
Enfin, la Chine devrait accorder une attention particulière aux effets de ses emprunts sur les économies africaines, afin de préserver sa crédibilité et d’assurer la durabilité de sa relation avec le continent.