Un avion en provenance de Johannesburg a atterri il y a deux semaines à l’aéroport de Dulles, près de Washington.
À bord : une cinquantaine de Sud-Africains blancs, principalement des Afrikaners. Leur arrivée fait suite à une décision inhabituelle de l’administration Trump, qui leur a accordé un statut de réfugiés. Ces nouveaux arrivants disent que leur vie en Afrique du Sud est devenue insoutenable et qu’ils subissent une forme de discrimination à cause de leur couleur de peau, et craignent pour leur sécurité à cause de leur statut de propriétaires fonciers.
Pour eux, l’Amérique représente un refuge, une chance de repartir de zéro dans un pays plus stable.
L’accueil qui leur a été réservé aux États-Unis ne laisse pas indifférent. Les Républicains voient cela comme une reconnaissance légitime des difficultés vécues par les fermiers blancs en Afrique du Sud.
À gauche, l’initiative est vue comme une instrumentalisation politique du droit d’asile. Ce qui frappe, c’est que les rôles habituels semblent inversés : ceux qui, d’ordinaire, dénoncent l’ouverture des frontières aux migrants soutiennent aujourd’hui l’arrivée de ces réfugiés. Et ceux qui défendent en général les droits des exilés se montrent cette fois méfiants.
Un génocide blanc en Afrique du Sud?
L’Afrique du Sud traverse une période difficile,à cause de sa criminalité élevée, une économie en difficulté et un gouvernement très biaisé.
Pendant des décennies, les populations noires ont été privées de leurs droits, déplacées de force, et exclues de la propriété foncière. En 1913, une loi interdisait déjà aux Sud-Africains noirs de posséder des terres sur plus de 90 % du territoire. Ce déséquilibre foncier est encore très visible aujourd’hui : moins de 10 % de la population est blanche, mais elle détient environ 70 % des terres agricoles.
Pour tenter de corriger cette situation, l’État a mis en place un programme de réforme agraire.
L’idée est de restituer des terres aux populations noires, dans des conditions légales, parfois sans compensation financière. Le but affiché n’est pas de punir une catégorie de citoyens, mais de permettre à d’autres d’accéder à la terre et de se former à l’agriculture. Ce processus est lent, parfois mal géré, et les agriculteurs blancs se sentent menacés.
En effet, même si le gouvernement sud-africain dit qu’il s’agirait de terres abandonnées, la réalité est autre : Le gouvernement veut reprendre des terres qui ont été cultivées pendant des siècles par les mêmes familles blanches, les donner à des sud-africains noirs qui ne savent pas s’en occuper (bien sûr, le gouvernement n’offre aucune formation et les agriculteurs blancs ne vont pas offrir d’aide gratuite.).
Le résultat que nous pourrions anticiper est le suivant : Les Sud-Africains noirs vont revendre ces terres qu’ils ne pourront gérer correctement… Aux Afrikaners qui s’en sont occupés. Ou bien, les agriculteurs blancs vont simplement fuir le pays puisqu’ils sont ouvertement discriminés par le gouvernement.
Donald Trump a choisi de décrire la situation d’une façon très alarmiste. Il parle de “génocide blanc”, accuse le gouvernement sud-africain de vouloir “voler” les terres des fermiers, et affirme que des familles blanches sont assassinées uniquement en raison de leur origine. Les statistiques de la police sud-africaine indiquent pourtant que la plupart des victimes de meurtres dans les zones rurales sont noires. Les attaques de fermes représentent moins de 0,1 % des homicides du pays. ce qui ne contredit pas forcément l’idée que les blancs ne soient pas les aggresseurs ici.
Une politique d’accueil à remettre en question
L’administration Trump change sa politique d’accueil par rapport aux précédents gouvernements, qui avaient plutôt favorisé les réfugiés venant de pays en guerre ou victimes de persécutions religieuses. Ici, le profil est très différent : les Afrikaners accueillis sont souvent instruits, possèdent des ressources, et ne fuient pas un conflit armé, mais un climat jugé hostile à long terme.
À droite, on justifie ce virage en expliquant que ces personnes ne viendront pas grossir les rangs des allocataires sociaux. Elles seraient même un atout économique, car elles ont des compétences agricoles, techniques, ou entrepreneuriales.
Ce serait aussi une revanche politique : puisque la gauche américaine est accusée d’utiliser l’immigration pour renforcer son électorat dans certaines régions, pourquoi ne pas faire venir des exilés plus proches idéologiquement des républicains ? L’idée, jamais formulée officiellement, circule largement dans les sphères conservatrices.
À gauche, l’arrivée des Afrikaners est perçue comme un deux poids deux mesures évident. Des milliers de réfugiés d’Amérique centrale, du Moyen-Orient ou d’Afrique noire se voient refuser l’entrée, souvent après des parcours dangereux et de vraies menaces de mort.
Pourquoi leur refuser ce que l’on accorde à des personnes plus aisées, installées dans un pays démocratique, sans guerre, et capables de subvenir à leurs besoins ? Cet argument est facile à rebuter : Ils ne coûteront pas cher au gouvernement. Il n’y a pas nécessairement de devoir moral à accueillir de réfugiés pauvres.
C’est cette bien-pensance qui a d’ailleurs conduit à une nouvelle vague de racisme en Europe. L’imposition de quotas de réfugiés en 2016 a fait dire à certains Européens qu’ils ne voulaient plus que les ressources soient éparpillées entre la population locale et des demandeurs d’asile qui ne parlent même pas la langue locale et n’attendent que de rentrer chez eux.
Il y a aussi la filiation historique qui pose problème à certains : les Afrikaners sont les descendants des colons hollandais, qui ont bâti une société raciste et excluante. Pour beaucoup d’observateurs progressistes, il est dérangeant que ceux qui ont profité de l’apartheid soient aujourd’hui présentés comme des victimes.
Encore une fois, il paraît assez injuste de tenir pour coupables les descendants des colons. Quand arrêtera-t-on d’accuser les blancs pour les crimes du passé?
Une réalité autre sur le terrain
Sur le terrain, le tableau est plus nuancé. Nick Serfontein, un grand exploitant agricole sud-africain, explique que les gens qui quittent le pays ne sont pas représentatifs du secteur. Selon lui, les vrais agriculteurs, ceux qui travaillent la terre et emploient localement, ne fuient pas. Il rappelle que le système agricole sud-africain repose aussi sur une coopération croissante entre fermiers blancs et aspirants agriculteurs noirs.
Avec son collègue Patrick Sekwatlakwatla, ils dirigent un programme qui aide les jeunes éleveurs noirs à acquérir des compétences, à accéder à des marchés, et à prendre leur place dans une agriculture encore très inégalitaire.
“On ne veut pas de saisies de terres dans le désordre. Ce qu’on veut, c’est travailler ensemble pour nourrir le pays,” affirme Sekwatlakwatla.
À Senekal, une petite ville rurale, d’autres voix s’élèvent pour décrire une ambiance bien plus tendue. Certains habitants racontent avoir peur de rester seuls dans leur ferme, avoir subi des cambriolages, ou connaître des voisins attaqués. Pour eux, la redistribution foncière n’est qu’un symptôme d’une hostilité plus générale, qui les pousse à envisager l’exil.
“Nous avons tous des barreaux en métal sur nos fenêtres. Nous dormons mal la nuit.” confie Shannon, une jeune sud-africaine blanche qui vit maintenant en Angleterre, poussée par sa famille à quitter l’Afrique du Sud.