Face à un flot d’informations répétitives et anxiogènes, les Français se tournent de plus en plus vers « l’exode informationnel ».
Selon une étude de l’ObSoCo pour la Fondation Jean Jaurès et Arte, “entre 2022 et 2024, tous les indicateurs d’engagement dans l’information refluent”, constate Guénaëlle Gault, directrice générale de L’ObSoCo. Dans cette interview, elle analyse ce phénomène et propose des pistes pour réinventer la relation entre les médias et le public.
Selon Guénaëlle Gault, qu’est-ce que l’ObSoCo et quelle est sa mission ?
L’ObSoCo est un observatoire qui analyse les comportements et les consommations des Français. Notre objectif est de comprendre ce qui émerge dans la société plutôt que de se concentrer sur ce qui disparaît.
Nous agissons comme un chaînon manquant entre les études classiques et la recherche. Nous nous intéressons particulièrement aux nouvelles pratiques de consommation et aux évolutions sociétales, afin d’accompagner le débat public, nos clients et nos partenaires.
Selon Guénaëlle Gault, pourquoi les Français font-ils face à un « exode » de l’information ?
Il y a quelques années, nous avons constaté que les Français avaient un réel problème avec l’information. Ils se sentent submergés et inquiets. Leur relation avec l’information a radicalement changé, notamment avec l’essor des réseaux sociaux, qui sont devenus leur première source pour beaucoup d’entre eux.
Ce phénomène a modifié non seulement l’accès à l’information, mais aussi la manière dont celle-ci circule. Aujourd’hui, ce phénomène touche toutes les générations, bien que les plus âgés conservent un rapport plus structuré aux médias traditionnels. Cependant, même eux commencent à fuir ou à reconsidérer leur manière de consommer l’information.
Quelles sont les raisons pour lesquelles cette fuite face à l’information s’intensifie aujourd’hui selon Guénaëlle Gault,?
Déjà, en 2022, nous avons relancé une étude sur la fatigue informationnelle, en nous basant sur les travaux du sociologue français Edgar Morin autour du “nuage informationnel”. Nous avons constaté que cette fatigue se renforçait.
Les Français avaient de plus en plus de mal à hiérarchiser et à digérer l’information. En 2024, une nouvelle enquête menée auprès de 4 000 personnes a montré que cette tendance se renforçait et que la population se retirait de plus en plus des médias traditionnels. Les gens ne savent plus quoi croire, et cette confusion généralisée sur ce qui est vrai ou faux les conduit à se retirer des discussions publiques et à consulter de moins en moins les médias.
Selon Guénaëlle Gault, est-il naturel d’avoir autant d’informations à disposition aujourd’hui ?
L’information, bien qu’essentielle, a un rôle crucial dans une démocratie. Elle permet aux citoyens de se situer dans leur environnement et d’agir, car chaque individu doit être en mesure de participer à la décision collective. Malgré tout, aujourd’hui, le volume est devenu tel que notre cerveau, qui n’a pas évolué aussi rapidement que la quantité d’informations produites, peine à l’assimiler.
Nous consommons chaque jour l’équivalent de ce qu’un érudit du 17e siècle aurait ingurgité en une vie entière. Il est donc crucial d’apprendre à se repérer dans ce flot d’informations pour les générations futures.
Que préconisez-vous pour que les médias reconquièrent le public avec leurs informations?
Il est essentiel que les médias revoient leurs pratiques. Les médias traditionnels se sont adaptés à un nouvel écosystème, mais certains jouent sur l’émotionnel et le cognitif pour capter l’attention du public, ce qui contribue à la fatigue informationnelle.
Aujourd’hui, il y a une vraie compétition pour l’attention. Et cette quête se fait souvent au détriment de la nuance. Ce que les médias devraient faire, c’est être plus respectueux de leur public. Ils pourraient aussi recréer des rituels, avec un début et une fin. Ce qu’on retrouve dans des formats comme les newsletters ou les podcasts. Ils permettent de donner une structure aux informations et de les rendre plus digestes. Ces formats ont un vrai potentiel pour rendre l’information plus visible et plus engageante.
D’un point de vue individuel, comment les Français devraient-ils réagir face à cette surabondance d’information ?
Il est important que les individus adoptent une approche plus analytique face à l’information. La vitesse à laquelle nous consommons les informations, souvent de manière automatique et émotionnelle, nous empêche de prendre du recul.
Il est essentiel de comprendre ses propres biais cognitifs et de chercher des informations qui sont nutritives, plutôt que celles qui créent du stress inutile. Ce n’est pas une question d’”info positive”, mais plutôt de remettre les informations dans un contexte compréhensible, avec des explications et des conséquences claires. Cela permet aux gens de mieux comprendre l’information sans que cela devienne angoissant.