Le 25 mai 2025 marque les cinq ans de la mort de George Floyd, un Afro-Américain de 46 ans tué à Minneapolis (États-Unis) par un policier blanc lors d’une arrestation.
Le mouvement social qui s’en est suivi a inspiré plusieurs fresques, particulièrement une réalisée en juin 2020 près de la Maison-Blanche. Sous la pression d’élus républicains au Congrès, la mairie de Washington a fait disparaître cette œuvre emblématique du mouvement antiraciste début mars.
J’ai posé quelques questions à María Eugenia Bassotti, une travailleuse sociale spécialisée en criminologie vivant aux États-Unis suite à l’effacement de cette fresque
Pourquoi retirer cette fresque?
Quelle a été votre première réaction lorsque vous avez appris que la fresque Black Lives Matter allait être retirée ?
Ma première réaction a été la surprise, même si elle s’accompagnait d’une compréhension critique du contexte politique dans lequel s’inscrit cette décision. La politique, comprise comme une dispute sur le sens des espaces publics et de la mémoire collective, s’exprime souvent à travers des gestes symboliques comme celui-ci.
Le retrait de la fresque semble viser à vider de son sens un espace devenu symbole de l’unité civique et de la lutte pour des valeurs universelles telles que les droits humains, l’équité, la justice sociale et la démocratie. Il est préoccupant de voir des tentatives visant à démanteler les discours qui dénoncent le racisme structurel, en les remplaçant par une prétendue neutralité qui, en réalité, rend ces revendications invisibles.
Cette action ne cherche pas seulement à effacer un symbole graphique, mais à attaquer une mémoire commune de résistance et d’espoir. Pourtant, cette mémoire ne pourra jamais être effacée.
Selon vous, qu’est-ce qui a motivé les autorités à la retirer ?
Le retrait du symbole Black Lives Matter peut être compris comme un acte politique pour redéfinir l’espace public et à réaffirmer le contrôle sur les discours qui l’habitent. (…)
En même temps, elle constitue un geste symbolique pour réduire la visibilité des luttes contre le racisme structurel. Bien que douloureuse, cette action n’est pas surprenante de la part d’acteurs qui s’opposent aux approches centrées sur les droits humains, l’égalité, la diversité et la non-discrimination.
En fin de compte, elle révèle quelles voix sont privilégiées, lesquelles sont réduites au silence et quels intérêts prévalent dans l’agenda public.
Une régression sociale en cours?
Pensez-vous que le retrait d’un symbole Black Lives Matter porte atteinte à la liberté d’expression ?
Le retrait d’un symbole associé à Black Lives Matter peut être une forme de censure qui compromet le droit à la liberté d’expression et le devoir collectif de reconnaître et de se souvenir de la violence raciale systémique aux États-Unis.
D’un point de vue historique, ces symboles répondent non seulement à la brutalité policière contemporaine, mais aussi à une lutte de longue date contre la discrimination structurelle, enracinée dans l’esclavage, la ségrégation et l’exclusion historique des communautés afro-américaines. La suppression de ces références peut occulter des revendications légitimes en faveur de la justice raciale et d’affaiblir l’engagement démocratique en faveur de la mémoire historique. Cette tentative ne réussira pas : le peuple n’oublie pas et les organisations continuent de se battre.
Le débat autour de cette fresque reflète-t-il une régression de la lutte contre le racisme aux États-Unis ?
Le débat sur le retrait de la fresque n’implique pas nécessairement une régression du mouvement Black Lives Matter en termes d’organisation ou de conscience sociale, il délégitime ses revendications et conteste l’espace symbolique gagné après les mobilisations de 2020.
L’élimination des symboles liés à la justice raciale est un musellement, qui s’entend également dans le discours politique, les restrictions imposées aux programmes scolaires et les reculs législatifs.
Cela constitue un obstacle à la construction d’une mémoire antiraciste et d’un programme véritablement inclusif en matière de droits humains.
Le mouvement Black Lives Matter n’a pas disparu. Même si les manifestations et la couverture médiatique ont diminué, le mouvement reste actif.
Comment protéger l’art?
Selon vous, quelles leçons peut-on tirer sur la manière de protéger l’art public engagé ?
L’art public socialement engagé, comme la fresque Black Lives Matter est un acte de mémoire, de protestation et de résistance contre les inégalités historiques.
Protéger ces expressions signifie les reconnaître comme des formes légitimes de participation civique, en particulier lorsqu’elles amplifient la voix des communautés historiquement marginalisées.
Leur suppression, justifiée par des arguments de « neutralité » ou de pression politique, peut être interprétée comme une forme de censure symbolique qui porte atteinte au pluralisme démocratique.
Respecter la diversité d’opinion ne signifie pas mettre sur un pied d’égalité les discours qui promeuvent les droits et ceux qui les nient ; au contraire, cela implique de veiller à ce que l’espace public reste un lieu où les luttes pour la justice sociale peuvent s’exprimer.
Au-delà de la fresque, Black Lives Matter reste un mouvement profondément transformateur. Ses objectifs vont au-delà du symbolisme : il vise à apporter des changements structurels grâce à des politiques publiques qui luttent contre le racisme systémique, les violences policières et les inégalités sociales.
Comme indiqué sur son site web officiel, sa mission est « d’œuvrer à la fois à l’intérieur et à l’extérieur du système pour guérir le passé, réimaginer le présent et investir dans l’avenir des vies noires grâce à des changements politiques, à des investissements communautaires et à un engagement en faveur des arts et de la culture ».