L’avionneur états-unien Boeing a connu une série de défaillances. Où l’on vérifie que les problèmes volent toujours en escadrille. Une bonne nouvelle pour Airbus ? Pas si sûr, car le duopole est installé depuis tellement longtemps que les malheurs de l’un pourraient en fin de compte affaiblir les deux rivaux.
Les difficultés actuelles de Boeing ne sont pas seulement conjoncturelles ; elles s’enracinent dans des choix stratégiques et organisationnels faits depuis plusieurs décennies. L’une des décisions les plus marquantes a été la fusion avec McDonnell Douglas en 1997, un tournant qui a profondément remodelé la culture et la gestion de l’entreprise, parfois au détriment de ses fondamentaux techniques et industriels.
Aujourd’hui, alors que Boeing fait face à des pertes financières record, des retards de production et des problèmes récurrents de sécurité, il est essentiel de comprendre comment cette transformation a contribué aux problèmes structurels du groupe.
Un changement de cap
Lors de la fusion avec McDonnell Douglas, Boeing espérait renforcer sa présence sur le marché de la défense et capitaliser sur l’expérience de son partenaire en matière de rentabilité. Cependant, cette opération a eu un impact bien plus profond que prévu.
McDonnell Douglas, bien que performant dans l’aéronautique militaire, avait une approche financière plus stricte : la réduction des coûts et l’optimisation des marges primaient souvent sur l’innovation et la qualité des produits. Cette philosophie s’est progressivement imposée chez Boeing, reléguant au second plan la culture d’excellence technique qui avait fait la réputation de l’entreprise.
Financiers VS ingénieurs
Avant la fusion, Boeing était une entreprise dirigée principalement par des ingénieurs issus du monde de la production, mettant l’accent sur la performance et la fiabilité des avions. Après l’intégration de McDonnell Douglas, la direction a été progressivement prise en main par des financiers et des gestionnaires davantage focalisés sur la maximisation des profits à court terme.
Les programmes 787 Dreamliner et 777X ont par ailleurs accumulé des retards considérables, en raison de problèmes de qualité et d’une dépendance accrue à une chaîne d’approvisionnement fragmentée. Autrefois pilier du groupe, la branche défense et spatial peine aujourd’hui à rivaliser avec Lockheed Martin ou SpaceX. Les contrats à prix fixes avec le Pentagone limitent par ailleurs la capacité de Boeing à absorber les hausses de coûts.
Une grève suivie
L’action de Boeing a connu une baisse significative au cours des cinq dernières années, avec une chute d’environ 55 %. Depuis le début de l’année 2025, l’action a perdu 42 %, reflétant des difficultés persistantes. Pour se stabiliser, l’entreprise a levé 21 milliards de dollars en capital et obtenu un crédit de 10 milliards afin de rembourser sa dette et rassurer les agences de notation. Malgré ces mesures, Boeing a subi en 2024 une perte record de 11,8 milliards de dollars, principalement due à des dépréciations et charges exceptionnelles.
En septembre 2024, environ 30 000 salariés de Boeing, sur un effectif total de 170 000, ont entamé une grève pour réclamer une augmentation salariale de 40 % et l’indexation des retraites sur l’inflation. Cette grève, qui a duré près de sept semaines, a coûté à l’entreprise environ 100 millions de dollars par jour, perturbant gravement la production et les livraisons d’avions. Les négociations ont abouti à un accord prévoyant une hausse salariale de 38 % sur quatre ans, légèrement en deçà des revendications initiales des syndicats.
Boeing a également été confronté à des retards significatifs dans la production de ses appareils, notamment le 737 Max et le 787 Dreamliner. Ces retards sont attribués à des problèmes de chaîne d’approvisionnement, des défauts de fabrication et des interruptions liées aux mouvements sociaux. En 2024, l’entreprise n’a livré que 348 avions, bien en deçà des attentes du marché. Ces retards ont, non seulement, affecté les finances de Boeing, mais elles ont également entamé la confiance des clients et des partenaires.
Un marché pourtant porteur
Face à ces difficultés, Boeing a récemment amorcé un changement de cap en nommant un nouveau PDG issu du monde de l’ingénierie, Kelly Ortberg, marquant ainsi une volonté de restaurer la primauté de l’expertise technique sur la finance. Sa feuille de route comprend la résolution des conflits sociaux, la relance de la production, et la restructuration des branches en difficulté, notamment la défense, le spatial et le programme 737.
Boeing Défense fait face à des défis avec la concurrence du F-35 (Lockheed Martin) et des difficultés sur le programme KC-46, compliquées par des contrats à prix fixes. La branche spatiale subit la pression de SpaceX et d’autres acteurs privés. Sur le marché commercial, Boeing est confronté à Airbus, Embraer (constructeur brésilien) et COMAC (constructeur chinois), tout en étant en retard sur l’aviation électrique. Malgré ces défis, la demande mondiale d’avions devrait doubler en vingt ans, offrant des perspectives positives.
La réussite de Boeing dépendra de sa capacité à surmonter ses problèmes, innover et regagner la confiance du marché, faisant potentiellement de son action une « opportunité de recovery ».
Une chance pour Airbus ?
En 2024, Airbus a produit deux fois plus d’avions que Boeing, une performance qui pourrait laisser penser à une prise d’ascendant décisive sur son rival états-unien. Pourtant, l’avionneur européen adopte une posture prudente face aux difficultés de son concurrent. Bien que les déboires de Boeing puissent sembler être une aubaine, Airbus souligne que les défis rencontrés par l’un des deux piliers de l’industrie aéronautique ne profitent à personne.
Christian Scherer, directeur commercial d’Airbus, rappelle :
« C’est une tragédie, c’est un problème que Boeing doit résoudre, mais il n’est pas bon pour les concurrents de voir des problèmes sur un type d’avion particulier. »
Malgré la situation de Boeing, Airbus doit lui aussi composer avec des difficultés, notamment des tensions sur sa chaîne d’approvisionnement qui freinent l’augmentation de sa production. Guillaume Faury, PDG d’Airbus, a admis que l’entreprise ne parvient pas à répondre pleinement à la demande croissante, faute de ressources industrielles suffisantes.
Un duo interdépendant ?
Par ailleurs, Airbus est conscient que l’affaiblissement prolongé de Boeing pourrait bouleverser l’équilibre du duopole qui structure l’aviation commerciale mondiale. Une telle évolution risquerait d’avoir des répercussions sur l’ensemble de l’écosystème aéronautique, y compris les sous-traitants et les compagnies aériennes. Alors qu’Airbus poursuit le renforcement de sa position, l’entreprise demeure consciente que l’équilibre du secteur dépend de la solidité et de la compétitivité des deux principaux acteurs de l’aéronautique. Les difficultés actuelles de Boeing soulignent pour Airbus la nécessité d’une gouvernance exemplaire, d’un dialogue social apaisé et d’un engagement sans faille en faveur de la sécurité et de l’innovation.
Aujourd’hui, Boeing tente de rectifier le tir, mais le chemin vers un redressement durable sera long et semé d’embûches. Reste à savoir si ce géant de l’aéronautique saura renouer avec l’excellence qui a fait sa renommée ou s’il restera empêtré dans ses contradictions internes.
