Depuis la censure du gouvernement en décembre, le marché immobilier français traverse une période d’attentisme. Entre chute des transactions, incertitudes politiques et ajustements des taux d’intérêt, le secteur peine à retrouver son dynamisme. Le Parisien Matin propose un état des lieux des enjeux et perspectives, avec l’analyse de Thomas Lemoine, fondateur de E.R.I. Diagnostics, une entreprise spécialisée dans les diagnostics immobiliers, qui évalue la conformité des biens selon les normes légales pour les transactions.
Une instabilité politique qui freine le marché immobilier
La censure du gouvernement Barnier le 4 décembre, suivie de sa démission, a plongé le secteur immobilier dans une phase d’incertitude. Les premiers effets sont visibles sur le terrain. Selon le réseau immobilier l’Adresse, 65 % de ses agences constatent un impact direct, avec des projets suspendus, des visites annulées et des contacts en baisse. Cette situation rappelle l’attentisme observé lors des législatives de juin, mais cette fois-ci, les conséquences semblent plus prégnantes.
“La motion de censure a été perçue par une grande partie du secteur immobilier comme un nouveau coup d’arrêt à l’activité, dans un contexte déjà fragile. Depuis la crise du COVID, les Français sont constamment exposés à des informations anxiogènes, ce qui semble avoir instauré un climat de méfiance généralisée. Cela nourrit une hésitation croissante face à des projets majeurs comme l’acquisition immobilière”, constate Thomas Lemoine.
Du côté des acheteurs comme des vendeurs, une grande prudence prévaut. Certains retardent leur décision d’achat en attendant de meilleures conditions économiques ou politiques, tandis que des vendeurs, incertains de leur capacité à racheter un bien, préfèrent reporter leurs ventes. Résultat : un marché à l’arrêt, où même les investisseurs hésitent à s’engager face au manque de visibilité.
À cela s’ajoutent les craintes liées à la fiscalité immobilière. “La volonté affichée du gouvernement de réduire la dette publique alimente les craintes d’une possible augmentation des taxations sur l’immobilier, renforçant encore davantage les réticences des acheteurs à s’engager”, souligne Thomas Lemoine. Ces incertitudes fiscales viennent accentuer un climat déjà tendu, contribuant à geler les décisions d’achat ou d’investissement dans un marché en carence de repères.
Des transactions en baisse et un volume historiquement faible
L’impact de l’instabilité politique se reflète également dans les chiffres des transactions. En 2024, le marché devrait enregistrer moins de 800 000 ventes, un niveau jamais atteint depuis 2015. Ce recul est particulièrement problématique dans un secteur qui commençait tout juste à se redresser après deux années difficiles.
Par ailleurs, les obstacles financiers freinent davantage la dynamique du marché. “Malgré la baisse des taux, de nombreux ménages se voient refuser un prêt, les banques estimant leurs dossiers financiers insuffisamment solides en raison de revenus jugés trop faibles, d’un apport personnel insuffisant, ou d’autres critères restrictifs”, ajoute Thomas Lemoine. Cette situation limite non seulement l’accès à la propriété pour de nombreux acheteurs potentiels, mais ralentit également le rythme global des transactions.
Les prix immobiliers, eux, continuent de baisser, bien que de manière plus modérée. Selon la FNAIM, les prix ont reculé de 1,2 % sur un an au 1er décembre 2024. Cette tendance, favorable aux acheteurs, pourrait toutefois s’intensifier si le volume des ventes reste faible. Les vendeurs, qui espéraient voir les prix remonter, pourraient se résigner à de nouvelles baisses pour stimuler la demande.
Des taux d’intérêt en baisse, mais l’attentisme persiste
Malgré ce contexte tendu, les conditions de crédit immobilier s’améliorent. Les taux d’intérêt moyens sur 20 ans ont chuté à 3,3 % en décembre 2024, soit un point de moins qu’un an auparavant. Cette baisse se traduit par des économies significatives : un emprunt de 300 000 euros coûte aujourd’hui environ 36 000 euros de moins qu’en 2023.
Cette dynamique devrait se poursuivre avec une nouvelle baisse des taux directeurs de la Banque Centrale Européenne annoncée le 12 décembre. Pourtant, ce contexte favorable ne suffit pas à relancer le marché. Comme le soutient Thomas Lemoine, “c’est un véritable effet de vase communicant : les vendeurs peinent à céder leur bien en raison du manque d’acheteurs, que ce soit à cause de prix trop élevés ou de difficultés de financement. En conséquence, ces mêmes vendeurs ne peuvent pas, à leur tour, acquérir un nouveau logement. Ce cercle vicieux alimente le blocage actuel du marché.”.
Les primo-accédants hésitent, espérant un élargissement du prêt à taux zéro (PTZ), tandis que d’autres s’inquiètent d’une éventuelle remontée des taux à moyen terme. “Le ralentissement de la baisse des prix ne semble pas refléter une stabilisation réelle, mais plutôt un effet collatéral de cette situation », ajoute le spécialiste. Selon lui, « le marché traverse une phase d’équilibrage entre l’offre et la demande, mais la baisse des prix devrait logiquement se poursuivre.”.
Ce paradoxe illustre l’impact psychologique de l’instabilité politique sur la confiance des ménages et leur capacité à se projeter.
Des mesures suspendues qui accentuent le flou
La chute du gouvernement a également stoppé plusieurs réformes cruciales pour le secteur. Parmi les mesures abandonnées figurent l’élargissement du PTZ à toutes les zones géographiques, la prolongation du dispositif Pinel jusqu’en 2025 et un assouplissement des règles sur les passoires thermiques. Ces projets, qui devaient soutenir les primo-accédants et les investisseurs, restent aujourd’hui en suspens.
Pour les professionnels de l’immobilier, ces blocages constituent un véritable coup d’arrêt. “Nous venons encore de perdre plusieurs mois à un moment où la reprise restait fragile”, déplore Brice Cardi, président de l’Adresse. La Fédération française du bâtiment partage ce constat, évoquant une crise imminente pour la filière de la construction si aucune solution rapide n’est trouvée.
Le marché immobilier français traverse une période d’inertie liée à l’instabilité politique et économique. Les baisses des taux d’intérêt et des prix pourraient stimuler la demande, mais l’attentisme des acteurs freine toute reprise significative. La résolution de cette crise dépendra largement des mesures que prendra le prochain gouvernement pour redonner confiance aux ménages et soutenir un secteur en difficulté. En attendant, les professionnels appellent à des actions rapides pour éviter un blocage durable. Si le logement reste un pilier essentiel de l’économie française, sa relance nécessitera une vision claire et des décisions ambitieuses pour surmonter cette période d’incertitude.