Être dirigeant d’une entreprise est souvent présenté comme un rôle prestigieux mais. aujourd’hui, un nombre croissant de dirigeants font face à des difficultés majeures, entre pression financière, crises économiques récurrentes et difficultés psychologiques. Selon une étude récente de l’Institut Français de Gestion (IFG), 68 % des chefs d’entreprise considèrent leur travail comme une source importante de stress, un chiffre qui a augmenté de 12 % en cinq ans.
Les raisons de ce mal-être sont multiples: près de 42 % des entreprises françaises de taille moyenne ont vu leur rentabilité diminuer en 2023, principalement en raison des hausses des coûts de l’énergie et des matières premières.
52 % des dirigeants estiment que la charge administrative et réglementaire a considérablement augmenté ces dernières années, réduisant leur capacité à se concentrer sur des stratégies de développement à long terme.
Ces chiffres alarmants ne se limitent pas à la France. À l’échelle européenne, une enquête de l’Union européenne des Chambres de Commerce révèle que un dirigeant sur trois envisage de céder ou fermer son entreprise d’ici 2025 faute de relève ou de solutions face aux défis actuels.
Le Parisien Matin a rencontré Fabrice Garrault, Président de Rebond35, une association qui propose de l’aide aux dirigeants en crise. Il nous éclaire sur les actions de Rebond35
Le dirigeant en France ne reçoit pas toujours l’aide nécéssaire pour se sortir de moments de crises.
Une étude de l’INSEE montre que 70 % des chefs d’entreprise interrogés se sentent abandonnés lorsqu’ils traversent une crise majeure, faute de réseaux d’accompagnement adaptés ou de compréhension de leurs besoins spécifiques. Ce manque de soutien peut même conduire à des fatalités.
C’est bien là que l’action de Rebond35 brille – Cette association du bassin rennais qui opère depuis maintenant presque 10 ans offre son écoute confidentielle via une ligne téléphonique, gérée de manière bénévole par des pairs. Fabrice Garrault, nous explique ce que les dirigeants traversent.
“C’est comme la famille des “D”, il n’est pas rare que le dirigeant en détresse cumule ces fameux “D”. Ce sont souvent des évènements majeurs qui impactent le dirigeant et le destabilise. Les 3 premiers “D” ce sont les “D” de divorce, depression et dépôt de bilan.
Il y a trois autres D qui frappent les dirigeants, un cocktail assez détonnant : Déni [des problèmes auxquels ils font face], le deuil qui impacte et la détresse financière ou psychologique, ce nomansland où il ne sait plus que faire. Il n’y a pas de règle en la matière mais lorsque les ingredients du cocktail sont réunis … l’acte fatal qui mène au décès est réel.“.
En effet, le Registre national des entreprises en difficulté a rapporté que près de 300 dirigeants se sont suicidés en 2022, un chiffre en hausse de 18 % par rapport à l’année précédente.
Ce D ultime, Fabrice Garrault l’a vu de près: L’un des dirigeants du microcosme économique rennais et qui encontrait des difficultés s’est donné la mort. “A ce stade, généralement la personne parait aller bien et il est diffcile de percevoir sa détresse. Le lundi il était tout sourire, le mardi nous apprenions son suicide”. Cet évènement est à l’origine de la creation de l’assocation par une trentaine de chefs d’entreprise du bassin rennais, en lien avec le tribunal de commerce et les institutions locales.
C’est ainsi que l’association a décidé d’offrir ce soutien dont manquent cruellement les dirigeants en souffrance psychologique. “Il n’y avait aucun dispositif comme il existe pour les salariés, qui bénéficient, de dispositifs psychologiques. On a créé cette association d’antennes de dirigeants pour offrir une écoute à travers d’un fil téléphonique de manière tout à fait confidentielle.” explique-t-il.
L’objectif de Rebond35, est d’aider ces dirigeants à se sortir d’impasses auxquelles ils font face: “La raison d’être de notre association, c’est un réseau de dirigeants sentinelles qui est à l’écoute de leurs pairs en détresse psychologique jusqu’à leur rebond.”.
Il est vrai que l’isolement des dirigeants d’entreprise est une réalité préoccupante en France, souvent aggravée par la nature même de leurs responsabilités. Cet isolement découle de la difficulté à partager leurs problèmes avec leurs proches, souvent pour ne pas les inquiéter, ou avec leurs salariés, par crainte de fragiliser la cohésion interne. Ce sentiment n’est pas sans conséquence : il accroît le stress, favorise l’épuisement professionnel, et peut conduire à des décisions précipitées, dont les “D” mentionnés par Fabrice Garrault.
Pourquoi s’en inquiéter si nous ne sommes pas concernés?
“Dans votre entourage, vous avez déjà sûrement été confronté à des dirigeants qui n’allaient pas bien. Ils ne peuvent plus dormir. Ces symptômes peuvent se transformer en des difficultés à long-terme et peut affecter leur santé physique. Cela aussi concerne leur famille, leur employés.” rappelle le président de Rebond35. “Derrière un chef d’entreprise, vous avez tout un écosytème qui inter-agit et qui peut se trouver fortement fragilisé, l’effet domino n’est pas un jeu mais une réalité amplifiée”
Que répondre aux dirigeants en crise? Rebond35 le fait depuis 10 ans.
Pouvez-vous me donner un exemple d’un dirigeant en difficulté?
“Oui. Par exemple, lorsqu’il y a eu cette augmentation de l’énergie d’une manière astronomique, un entrepreneur qui vend des galettes m’a appellé via Rebond35 et il m’a dit, “Depuis un mois, je ne sais plus comment faire. J’ai une entreprise qui tournait très, très bien mais face à l’augmentation du prix de l’énergie, la production de chaque produit me coûte des dizaines de centimes en plus. Quand on en fait des millions, c’est plusieurs milliers d’euros qui s’évaporent. Je suis face à un mur.”.
Des dirigeants au RSA, il y en a beaucoup plus qu’on imagine. Ils ne roulent pas tous sur l’or.”
Pourquoi est-ce que votre dispositif de soutien téléphonique marche aussi bien?
“Nous n’offrions pas ce dispositif initialement mais nous avons identifié un réel besoin. Nous sommes des dirigeants au téléphone, ça crée une relation d’alliance immédiate, puis la confidentialité est le maître mot.
Les problèmes de l’entrepreneur, nos bénévoles les connaissent, certains les ont déjà vécus. Certains bénévoles sont même des personnes qui ont appelé Rebond35 pour obtenir de l’aide auparavant et qui souhaitent rendre ce qu’ils ont reçu.”
L’action menée par Rebond35 est incroyable. Concrètement, que se passe-t-il pour un dirigeant qui vous appelle?
“Nous organisons des permanences téléphoniques de 15 jours et lorsque nous avons identifié un appel de détressen nous rencontrons immédiatement la personne afin d’ effectuer un “état des lieux” psychologique et plus largement sa situation entrepreneuriale. A ce stade, le pair qui accompagne va proposer d’orienter la personne au travers d’un dispositif qu’on a mis en place en function de ses besoins.
Lorsqu’il s’agit de difficultés d’entreprises nous l’orientons vers des associations ou des institutions ressources avec lesquels nous avons établies des conventions. Lorsqu’il s’agit d’un problème fiscal ou de gestion, nous les mettons en lien avec l’Urssaf, la Banque de France, des banques en général, des experts comptables mais également les différentes organisations professionnelles, la Fédération du bâtiment, le CAPEB, l’EDEF, l’ordre des avocats, l’ordre des notaires, nous avons de très bonnes relations avec le tribunal, les mandataires et autres institutions judicaires.”
“En fait, nous faisons office de guichet unique informatif.”
Fabrice Garrault
Et si cette détresse est purement psychologique?
“Là, nous touchons à la raison d’être de l’association. Nous avons un dispositif de psychothérapeutes et de coaches, en fonction de leurs besoins, et de ce qu’ils expriment. Nous les suivons dans leur prise de recul et dans le fait qu’au terme de quelques séances, elles se redressent et vont beaucoup mieux”.
Comment formez-vous ces bénévoles?
“Nous formons les personnes qui sont à l’accueil des institutions avec lesquelles nous avons des conventions ainsi que nos bénévoles à détecter, certains signaux faibles qui sont des alarmes et à poser des questions.
Par exemple, quand ils reçoivent un appel de quelqu’un qui paraît euphorique et puis deux jours après, cette même personne rappelle et semble désespérée, ce sont des signaux à ne pas manquer. Il faut être vigilant. De même, si on repère quelqu’un semble avoir bu le matin, il faut garder cela en tête. Nous entraînons les bénévoles à faire preuve d’observation, à devenir des sentinelles pour ceux qu’ils croisent du regard ou avec lesquels ils interagissent”
Comment réussissez-vous à faire vivre votre association?
“Nous recevons des dons puisqu’on est une entreprise reconnue, d’utilité publique, ce qui permet à nos donataires de déduire jusqu’à 60% de leurs impôts entreprise et 66% à titre personnel”.
Tous ces dons alimentent un fonds de dotation de solidarité qui permet de prendre en charge les mécanismes que nous proposons quand le dirigeant n’a pas les moyens, parce que la détresse psychologique s’accompagne souvent d’une détresse financière. En effet, il n’est pas rare que les dirigeants en détresse vivent avec le rsa, voir le salaire de leur conjoint”
Avez-vous un message pour notre lectorat, notamment les patrons et patronnes qui sont en détresse?
“Oui. Si vous souffrez, rapprochez vous d’un professionnel de la santé psychique. Il y a une entrepreneuse que nous avons soutenue récemment. Ingénieur de formation et ingénieuse, dotée de grandes compétences, cela faisait 10 ans qu’elle se cramponnait à son entreprise qu’elle avait lancée.
Mais ça ne marchait pas. Tous les ans, elle pensait que ça allait décoller. Elle investissait dans des salons, obtenait de nouveaux clients mais le reste de l’année, c’était à pure perte. Elle ne gagnait pas sa vie. C’est souvent le paradoxe du chef d’entreprise. Ne rien lâcher, tenir bon et affronter les différents écueils de la vie de l’entreprise, bref il faut avoir une grande perséverance. Mais, cette même attitude, peut glisser progressivement vers une obstination délétère”
Rebond35 l’a encouragée dans sa démarche à déposer le bilan et à effectuer son propre bilan de compétences. Elle est dans ce processus de rebond où elle regagne sa confiance en elle et retrouve une vie de famille, du temps pour elle et un emploi mieux rémunéré.
Quand on va se croiser dans quelques mois, elle me dira, “J’ai bien fait de parler avec vous.”.”
Un dernier mot ?
“Oui, l’échec n’est rien que ce que l’on se met en tête! La plupart d’entre nous, si nous sommes francs avec nous-mêmes, devons admettre que nous avons très peu de perception directe non seulement de notre force intérieure vitale, mais aussi des parties les plus importantes de notre corps. Apprendre à mieux s’écouter pour mieux s’entendre. Comprendre qu’il y a une difference entre réalité et perception. Nous sommes capables de partir sur la lune, mais combien s’aventure en eux mêmes, pour mieux se connaitre. La perception de l’échec doit évoluer et devenir une experience à valoriser, un tabou à éclairer.
Plus que jamais, nous devons établir un filet de sécurité autour des commerçants, artisans, chefs d’entreprise, mais aussi les professions libérale tels que notaire, avocat, médecins et expert comptables… Tous ces maillons qui participent du tissu économique sont soumis à rudes épreuves depuis 2020 et je sens une très grande lassitude chez ces hommes et ces femmes souvent très engagés. Nous n’avons rien à gagner à laisser faire les choses, au contraire nous avons à imaginer des accompagnements pendant ces épreuves pour de meilleurs rebonds.
En somme, nous sommes tous concernés et l’initiative prise par Rebond 35 pourrait se généraliser sur tous les départements avec la volonté des institutionnels associé à des membres de réseaux locaux comme l’APM dont je fais partie, le cjd, le réseau entreprendre ou d’autres plus discrets mais actifs. Je suis à la disposition des personnes qui souhaitent lancer de telles initiatives ainsi que des institutionnels, fondations, grandes banques ou mutuelles qui verraient dans cette couverture nationale un moyen de répondre à la grande cause nationale prévue en 2025 sur la santé mentale et faire œuvre utile en RSE. “