Chaque année, les “Deux Sessions” chinoises attirent l’attention des analystes et investisseurs du monde entier. Ce rendez-vous politique majeur est l’occasion pour la Chine de fixer ses objectifs économiques et d’annoncer ses grandes orientations stratégiques. En 2024, Pékin a maintenu son objectif de croissance à 5 %, identique à l’année précédente, mais dans un contexte mondial encore plus incertain.
Nous obtenons des réponses d’experts comme Lizzi C. Lee, économiste et journaliste ainsi que Neil Thomas et Chow Chung-yan du South China Morning Post
Un objectif atteignable, mais sous certaines conditions
Lizzi C. Lee, experte en économie chinoise au sein de l’Asia Society, estime que « cet objectif de 5 % est réalisable, mais il n’est pas garanti ». Selon elle, la clé du succès réside dans la relance de la consommation domestique et la restauration de la confiance du secteur privé. « Les anciens moteurs de croissance, comme les exportations et les investissements en infrastructures, ne suffisent plus », précise-t-elle. L’année précédente, la croissance chinoise a largement reposé sur les exportations, représentant environ un tiers du PIB.
Cet objectif semble difficile à maintenir suite aux tensions commerciales croissantes avec les États-Unis et l’Union européenne, ainsi qu’aux restrictions tarifaires imposées par Washington.
Un autre facteur préoccupant est la faiblesse persistante de la consommation intérieure. « Le problème n’est pas que les Chinois n’ont pas d’argent, mais qu’ils manquent de certitude et de confiance pour le dépenser », explique Lee. Le niveau d’épargne des ménages a atteint un niveau record, dépassant le PIB national, un indicateur clair du climat d’incertitude économique.
Le retour de la confiance, un impératif pour Pékin
Le gouvernement chinois semble prendre conscience de l’urgence de restaurer la confiance des ménages et des entreprises. Chow Chung-yan, rédacteur du South China Morning Post, note que « Des mesures ont été annoncées pour soutenir les entreprises privées, notamment dans le secteur technologique, et stimuler les prix des actifs comme l’immobilier et la bourse ».
Ces mesures visent à créer un « effet de richesse » pour encourager les consommateurs à dépenser davantage. « Si les investissements en bourse et dans l’immobilier continuent de chuter, il sera difficile de convaincre les ménages de relancer leur consommation », avertit-il. Pourtant, les indices boursiers chinois montrent des signes prometteurs : l’indice Hang Seng de Hong Kong est passé de 17 000 à 24 000 points en un an, et l’indice composite de Shanghai a progressé de près de 30 % sur la même période.
Des objectifs peut-être atteints grâce à la technologie?
Un des éléments moteurs de cette reprise semble être l’essor technologique dans l’intelligence artificielle et les semi-conducteurs. Neil Thomas, spécialiste de la politique chinoise à l’Asia Society, dit que « l’IA et les technologies avancées sont devenues des priorités stratégiques pour Pékin ». Il pense que le gouvernement a clairement affiché son ambition de réduire la dépendance technologique du pays vis-à-vis de l’étranger et d’accélérer l’industrialisation de secteurs innovants.
Lizzi C. Lee abonde dans ce sens : « L’introduction de DeepSeek R1 a changé la perception des capacités technologiques chinoises. Ce n’est plus simplement une course pour rattraper les leaders mondiaux, mais une volonté de fixer de nouvelles références mondiales ». Depuis cette annonce, l’indice technologique de Hong Kong a grimpé de 30 %, et le MSCI China de plus de 20 %.
Une transformation structurelle en vue ?
Reste à savoir si cette dynamique se traduira par un changement structurel durable ou s’il ne s’agit que d’une embellie passagère. Lee nous met en garde contre « le risque d’une mauvaise allocation des ressources publiques, qui pourrait être freinée par la corruption et le népotisme, comme on l’a déjà vu dans les précédents plans d’investissement en haute technologie ».
De son côté, Thomas insiste sur la nécessité de restaurer la confiance des investisseurs privés : « L’État seul ne pourra pas financer toute l’innovation chinoise. Il faut attirer des capitaux patients, et pour cela, Pékin doit prouver qu’il respecte ses engagements en matière de soutien au secteur privé ».
Si ces conditions sont réunies, la Chine pourrait non seulement atteindre son objectif de 5 % de croissance, mais aussi amorcer une transformation économique en profondeur et de retrouver sa grandeur impériale. À défaut, elle risque de retomber dans un cycle de boom-bust, marqué par des périodes d’euphorie boursière suivies de chutes brutales, comme cela a déjà été observé en 2014 et 2015.