Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, les puissances victorieuses—le Royaume-Uni, les États-Unis et l’Union soviétique—se réunirent d’abord à Yalta (février 1945), puis à Potsdam (juillet-août 1945) pour définir l’avenir de l’Europe. L’Armée rouge contrôlait une large partie du continent. Joseph Staline, maître du terrain, imposa ses conditions.
Parmi les premières décisions concrètes : le sort de la Pologne. En septembre 1939, l’URSS avait annexé la moitié orientale du pays. Ces territoires – qui correspondent aujourd’hui à l’ouest de l’Ukraine et à une partie du Bélarus – furent conservés par l’Union soviétique.
En échange, la Pologne reçut un “compensatoire” à l’ouest : la Silésie, une partie de la Poméranie, la Prusse orientale, et la ville de Dantzig (Gdańsk). Ces régions allemandes, parfois polonisées par la propagande en évoquant l’héritage médiéval des Piasts, furent intégrées à une Pologne dont la frontière s’était déplacée d’environ 250 kilomètres vers l’ouest.
Rita Nash, qui a travaillé pendant plus de 10 ans au musée juif de Sydney nous éclaire sur ce pan de l’Histoire.
Les Allemands, brutalement déplacés
“Les nouvelles frontières entraînèrent l’expulsion d’environ 12 millions d’Allemands.” explique Rita Nash. “Entre 1945 et 1950, des familles entières furent chassées de leurs villages et villes, souvent à pied, parfois entassées dans des wagons à bestiaux. Beaucoup moururent en route : maladies, froid, faim, mauvais traitements. L’Allemagne occupée, ruinée, ne pouvait ni ne voulait accueillir ces réfugiés.“
Dans les régions cédées à la Pologne, les départs forcés prirent un rythme soutenu. À la suite de l’accord de Potsdam, trois millions d’Allemands furent expulsés de Silésie seule. Bertrand Russell écrivit dans le Times en octobre 1945 que l’on tentait de faire disparaître plusieurs millions de personnes, non par le gaz, mais par la privation de logement et de nourriture.
“Les Allemands portaient des brassards blancs, rappel sinistre des étoiles jaunes. Ils étaient identifiés, humiliés, accusés collectivement, peu importe leur rôle réel dans la guerre. Des vieillards, des femmes avec enfants, tous étaient traités comme ennemis par défaut. Leurs maisons, leurs terres, leurs affaires étaient confisquées. Ils avaient droit à 20 à 50 kilos d’effets personnels, et devaient abandonner les clés de leurs domiciles. Une fois partis, l’administration polonaise déclarait ces lieux “vides”.” rappelle-t-elle
Quelques survivants juifs, pourtant pas chôyés en Pologne.
Pendant ce temps, quelques rescapés des camps de concentration allemands erraient dans une Europe méconnaissable. Les survivants juifs polonais qui rentrèrent chez eux ne trouvèrent ni maison, ni accueil.
Les voisins les avaient dénoncés, ou occupaient désormais leurs logements. Ils étaient peu nombreux, souvent malades, psychologiquement détruits, et en proie à une hostilité persistante.
“Le Comité central des Juifs de Pologne (CKŻP), créé en novembre 1944, tenta de structurer une réponse. Cette organisation prit en charge les soins, la réinsertion, la formation, la médiation avec les autorités communistes. Sans elle, presque rien n’aurait été fait pour les survivants juifs entre 1945 et 1949.” dit Nash.
Un de leurs projets : créer une région juive autonome dans l’ouest de la Pologne. Deux figures portèrent cette idée : Jakob Egit, communiste exilé au Kazakhstan pendant la guerre, et Yitzhak Zuckerman, héros de l’insurrection du ghetto de Varsovie.
En mai 1945, ils furent envoyés en Basse-Silésie pour évaluer le potentiel d’installation dans cette zone laissée vide par les Allemands.
La Basse-Silésie : ruines pour les uns, refuge pour les autres
La Basse-Silésie, avec ses villes peu endommagées, ses terres fertiles, ses usines, ses forêts et ses mines, représentait une terre d’accueil toute désignée. La ville de Reichenbach, rebaptisée Dzierżoniów, devint un point central de cette nouvelle implantation. Ce n’était pas la plus grande concentration juive de Pologne, mais elle devint un symbole.
“Les maisons abandonnées étaient encore meublées. Il y avait des lits, du linge, des ustensiles de cuisine, des vêtements, des outils agricoles, des livres. Les commerces pouvaient rouvrir. Des entreprises étaient opérationnelles. Un patrimoine complet avait été laissé en place, parfois à la hâte, souvent dans la panique.” nous décrit Rita Nash
Les premiers rescapés juifs arrivés formèrent un comité pour réclamer le droit de s’installer légalement. Le 17 juin 1945, ils adressèrent une note au gouvernement intitulée : Sur l’installation des Juifs en Basse-Silésie. Ils y expliquaient que la plupart des survivants n’étaient pas les bienvenus dans leurs villages d’origine, et qu’ils aspiraient à vivre parmi des personnes ayant vécu des souffrances similaires.
Derrière les mots, on comprend que leurs anciennes maisons étaient habitées par d’autres, et que l’antisémitisme, loin d’avoir disparu, avait retrouvé ses voix. La Basse-Silésie, en revanche, offrait des murs, des lits, une promesse de stabilité, et l’absence apparente d’hostilité immédiate.
Une reconstruction fragile de la Pologne, mais bien réelle
Grâce aux efforts conjoints du CKŻP, d’Egit, de Zuckerman, et d’autres activistes, des communautés juives se reformèrent dans plusieurs villes : Dzierżoniów, Wałbrzych, Legnica, Bielawa, Wrocław. Des écoles juives rouvrirent. Des synagogues furent réhabilitées. Des journaux furent imprimés en yiddish. On tenta de reconstruire un monde disparu.
Mais cette renaissance fut éphémère. L’antisémitisme structurel ne disparut pas. Les autorités polonaises communistes tolérèrent un temps cette expérience, puis y mirent fin. Le projet de région juive autonome fut abandonné. La majorité des survivants, lassés ou déçus, quittèrent la Pologne dès qu’ils le purent pour aller vers Israël.