Le cabinet de sécurité israélien a validé un plan pour intensifier son offensive contre le Hamas. Ce plan inclut des opérations militaires élargies, et la prise de contrôle du territoire de Gaza, avec une présence israélienne qui pourrait durer indéfiniment.
Un haut responsable israélien dit que l’objectif est clair : empêcher que la bande de Gaza ne retombe entre les mains du Hamas ou d’un autre groupe jugé hostile.
Pour bien comprendre cette décision, il faut revenir sur l’histoire récente de Gaza et sur la manière dont les précédentes tentatives de désengagement se sont soldées par des résultats dramatiques, du point de vue israélien.
De la restitution territoriale à la guerre
Après la guerre des Six Jours de 1967, Israël s’est retrouvé en possession de vastes territoires appartenant auparavant à l’Égypte, à la Jordanie et à la Syrie, dont le Sinaï, la Cisjordanie et Gaza. Malgré cela, Israël a dans plusieurs cas accepté de restituer ces terres. Le Sinaï a été rendu à l’Égypte dans le cadre du traité de paix signé en 1979, marquant le début de relations diplomatiques entre les deux pays. Un accord similaire, conclu avec la Jordanie en 1994, a permis d’apaiser les relations avec ce pays également.
Concernant Gaza, Israël avait transféré progressivement le contrôle administratif à l’Autorité palestinienne dans les années 1990, dans le cadre du processus d’Oslo. Puis, en 2005, Israël s’est retiré unilatéralement de la bande de Gaza, évacuant tous les colons israéliens et démantelant ses bases militaires. Les infrastructures civiles existantes furent laissées en l’état.
Ce retrait fut présenté par Israël comme un acte de bonne foi, une tentative de tourner la page du conflit, dans l’espoir que la population palestinienne choisirait de vivre en paix.
Les espoirs furent rapidement anéantis. Les mois qui ont suivi le retrait ont été marqués par une intensification des tirs de roquettes vers le territoire israélien. En 2006, le Hamas a remporté les élections législatives palestiniennes, puis a pris le pouvoir par la force à Gaza en 2007, éliminant brutalement ses rivaux du Fatah.
Depuis, le Hamas gouverne la bande de Gaza sans partage. Le blocus imposé par Israël et l’Égypte visait alors à isoler militairement le Hamas et à limiter l’introduction d’armes. Cependant, la frontière égyptienne est restée plus poreuse, et il a été reproché au Caire d’avoir permis le passage de combattants et de matériel.
L’échec de l’autonomie à Gaza
Israël considère aujourd’hui que l’expérience de 2005, marquée par le retrait total de Gaza, est un échec stratégique. Du point de vue israélien, cette décision a conduit à la radicalisation du territoire, au renforcement militaire du Hamas et à une série d’agressions, dont celle du 7 octobre 2023, considérée comme l’attaque la plus meurtrière subie par Israël depuis sa création. Plus de mille civils israéliens ont été tués et deux cents personnes prises en otage.
Pour de nombreux Israéliens, ces événements ont définitivement disqualifié l’idée qu’un groupe islamiste armé puisse gouverner un territoire aussi proche sans représenter un danger immédiat. Laisser Gaza s’autogérer dans ces conditions n’est plus une option envisageable.
Le nouveau projet israélien
Le gouvernement israélien envisage désormais de reprendre le contrôle du territoire gazoui. Cela inclurait la destruction des tunnels creusés par le Hamas, l’élimination de ses arsenaux, et l’instauration d’un contrôle sécuritaire permanent. Autrement dit, il ne s’agit plus seulement d’une campagne militaire, mais d’une réoccupation partielle ou totale, avec la volonté d’empêcher un retour du Hamas ou de tout autre groupe jugé ennemi.
L’armée israélienne sait à quel point l’occupation d’un territoire aussi densément peuplé est risquée. La population de Gaza est majoritairement jeune, appauvrie, et nourrie d’un profond ressentiment. Entrer dans ce territoire pour y maintenir l’ordre revient à accepter des pertes humaines, dans un contexte de guerre urbaine asymétrique.
Or, l’opinion publique israélienne est très sensible à la perte de soldats. Cela a déjà été démontré à plusieurs reprises par le passé : Israël a parfois libéré des centaines de prisonniers palestiniens pour récupérer un seul otage.
Le projet est donc politiquement risqué, humainement coûteux et moralement contesté.
Quelles alternatives ?
Plusieurs pistes ont été évoquées, mais toutes semblent peu réalistes à court terme.
- Transfert de l’administration à un pays arabe voisin
Israël espère qu’un acteur comme l’Égypte pourrait accepter de gérer Gaza. Mais Le Caire a toujours rejeté cette idée, refusant de devenir responsable d’une population nombreuse, jeune et profondément politisée. Aucune autre nation arabe ne s’est portée volontaire. - Administration internationale ou américaine
L’administration Trump avait proposé que les États-Unis prennent en charge le développement de Gaza, idée qui n’a séduit ni les Palestiniens, ni les Israéliens. Une gouvernance internationale par l’ONU est parfois évoquée, mais elle se heurte à la complexité du terrain, à la défiance généralisée et au manque de volonté politique internationale. - Expulsion de la population
Certains membres de la coalition israélienne au pouvoir évoquent sans détour la possibilité de forcer la population à quitter Gaza. Ce serait un acte extrêmement controversé, qualifié de nettoyage ethnique par ses opposants. Les pressions internationales seraient massives. De plus, aucun pays n’accepte aujourd’hui l’idée d’accueillir deux millions de réfugiés issus d’un territoire en guerre.
Un climat de désespoir
Sur le terrain, la situation humanitaire à Gaza est catastrophique. Plus de 50 000 Palestiniens auraient été tués depuis le début des opérations militaires. Les bombardements intensifs ont détruit des quartiers entiers, les hôpitaux manquent de tout, et la famine menace certaines zones.
Du côté israélien, la société est traumatisée par les évènements du 7 octobre. Les visages des otages encore détenus à Gaza sont omniprésents dans l’espace public. À chaque heure à la radio, leur nom est rappelé. Pourtant, la population ressent une impuissance croissante. Beaucoup ne croient plus au gouvernement actuel, jugé responsable de l’échec sécuritaire majeur qui a permis l’attaque du Hamas.
Un espoir fragile
Des mouvements comme Standing Together tentent de construire une alternative.
Créé en 2015, ce groupe regroupe Palestiniens et Israéliens dans une volonté de coopération politique. Il organise des campagnes d’information, des distributions de biens humanitaires, des projections de documentaires censurés et des commémorations communes des victimes des deux camps. Il veut faire entendre une voix de paix, dans un pays où le dialogue est devenu presque tabou.
Les initiatives comme celle-ci sont encore marginales, parfois violemment attaquées par des groupes d’extrême droite. Mais elles rappellent qu’une partie de la population refuse de céder à la logique de vengeance. Elles rappellent surtout que la paix ne viendra pas d’un plan militaire ou d’un transfert de population, mais d’un changement de mentalité profond et collectif.