Le mois dernier, dans l’après-midi du vendredi 28 mars, un tremblement de terre de magnitude 7,7 dont l’épicentre se situait dans la région de Sagaing en Birmanie s’est fait ressentir jusqu’à Bangkok.
À quatre kilomètres au nord-ouest du Grand Palais, les bâtiments de la Bibliothèque nationale de Thaïlande n’ont subi aucun dégât.
Par chance, le séisme n’a causé aucun dommage sérieux à la bibliothèque. « Malgré la perturbation, nous restons opérationnels, et nos installations sont sécurisées », a indiqué un membre du personnel, précisant que la bibliothèque continue d’accueillir le public comme à l’accoutumée.
Officiellement créée par décret royal le 12 octobre 1905, à la suite de la fusion de trois bibliothèques royales existantes, la Bibliothèque nationale de Thaïlande est l’une des plus anciennes bibliothèques nationales d’Asie. Un scientifique français, George Cœdès, en fut le directeur de 1918 à 1928.
Nous avons pu nous entretenir avec un expert à l’École des Arts Libéraux de l’Université Sukhothai Thammathirat à ce sujet.
La Bibliothèque Nationale de Thaïlande, remplie de l’héritage de George Cœdès
En 1924, l’imprimerie The Bangkok Times Press publia l’ouvrage de Cœdès intitulé La Bibliothèque Nationale Vajirañāna du Siam, dans lequel il écrivait :
« Le nombre sans cesse croissant de visiteurs de la Bibliothèque Nationale Vajirañāna — tant les touristes qui incluent cette institution dans leur programme que les résidents désireux d’en faire usage — rend cette bibliothèque à la fois souhaitable et nécessaire.
Les excellentes notices publiées par Son Altesse Royale le Prince Damrong Rajanubhab, Président du Conseil de la Bibliothèque, à l’occasion de l’ouverture du nouveau bâtiment (janvier 1917), et plus récemment dans le Dusit Samit (1er janvier 1922), sont rédigées en siamois, ce qui empêche la majorité des Européens et des Américains, en particulier les touristes, d’y accéder. La publication de la présente notice répond donc à un besoin général. »
George Cœdès eut cinq filles : Jeanne en 1917, Yvonne en 1918, Lucie en 1919, Suzanne en 1921 et Simone en 1922. Il était marié à Neang Yap, une jeune Cambodgienne.
En 1925, le Prince Damrong fit un voyage de dix jours au Cambodge, visitant le site d’Angkor sous la conduite de George Cœdès et de ses amis. Quelques mois plus tard, en mai 1925, la zone fut officiellement désignée sous le nom de Parc archéologique d’Angkor.
Après le décès de Cœdès, l’historien Milton Edgeworth Osborne écrivit dans un hommage publié en ligne par les presses de l’Université de Cambridge le 24 août 2009 :
« Le monde des études sur l’Asie du Sud-Est a subi une perte incommensurable avec la mort, en octobre 1969, du professeur George Cœdès, doyen incontesté des chercheurs sur l’histoire ancienne de cette région. Tout au long de sa vie universitaire — qui commença dès 1904 avec la publication de son premier article sur l’histoire ancienne du Cambodge — le professeur Cœdès a légué un patrimoine d’une immense richesse à ceux qui cherchent à comprendre la complexité historique et culturelle des États indianisés de l’Asie du Sud-Est.
De nombreux hommages à sa mémoire émaneront de chercheurs œuvrant dans le même champ d’études. Il n’est cependant pas inapproprié qu’un de ces témoignages vienne d’un étudiant de l’Asie du Sud-Est intéressé par une période plus contemporaine. Car, quels que soient leurs sujets d’étude, tous les chercheurs de la région sont redevables des travaux du professeur Cœdès, qui offrent des bases fondamentales d’analyse et d’interprétation. »
Suwicha Po-kham, bibliothécaire et expert : “Les pays de l’ASEAN ne doivent pas oublier George Cœdès”
Le Parisien Matin :
Comment les pays d’Asie du Sud-Est devraient-ils se souvenir de la contribution de George Cœdès à la science dans la région ?
Suwicha Po-kham :
En tant que bibliothécaire de la Bibliothèque nationale de Thaïlande, je pense que les pays de l’ASEAN ne doivent pas oublier George Cœdès, car il a beaucoup œuvré dans le domaine de la recherche archéologique, notamment en examinant et en traduisant des inscriptions qui ont ensuite été compilées et publiées sous forme d’ouvrages. Dans son rôle de bibliothécaire, il a été un acteur clé dans l’acquisition de documents — manuscrits, feuilles de palmier, livres imprimés en thaï et en langues étrangères — obtenus par achats ou par dons, ce qui a considérablement enrichi les collections de la Bibliothèque nationale.
Le Parisien Matin :
Quels ont été les résultats fondamentaux de son travail à la tête de la Bibliothèque ?
Suwicha Po-kham :
Il a également participé à la modernisation du système de gestion des collections de la bibliothèque afin de couvrir tous les champs du savoir, à l’image des bibliothèques des pays développés. Il mettait davantage l’accent sur la pratique que sur la théorie, et a introduit le système de catalogue sur fiches, en remplacement de l’ancien registre manuscrit. George Cœdès est considéré comme l’un des premiers bibliothécaires à avoir permis à la bibliothèque de fonctionner selon des normes internationales. Grâce à lui, l’institution s’est développée solidement et cette base continue de porter ses fruits aujourd’hui.
Le Parisien Matin :
Comment les peuples et gouvernements d’Asie du Sud-Est, et plus particulièrement la Thaïlande, devraient-ils honorer son héritage ?
Suwicha Po-kham :
” En Thaïlande, lorsqu’on évoque les étrangers ayant marqué le domaine de l’archéologie et de l’histoire, le premier nom qui vient à l’esprit est celui de Georges Cœdès. Il est unanimement reconnu comme un expert de l’histoire et de l’archéologie de la Thaïlande et des pays voisins. Ses travaux restent constamment cités et servent de base à de nouvelles recherches dans ces disciplines. “
Le Parisien Matin :
Quel message souhaitez-vous adresser à nos lecteurs à propos de George Cœdès ?
Suwicha Po-kham :
” En tant que bibliothécaire de la Bibliothèque nationale de Thaïlande, je considère le professeur George Cœdès comme une personnalité érudite et compétente dans de nombreux domaines, qui a apporté une immense contribution à notre institution. Il mérite d’être honoré à chaque occasion pertinente. “
Le Parisien Matin :
Où peut-on consulter ses travaux ou son héritage dans cette bibliothèque ?
Suwicha Po-kham :
” Les personnes intéressées peuvent consulter les ouvrages sur l’histoire et les travaux du professeur George Cœdès dans les sections suivantes de la Bibliothèque nationale de Thaïlande : salle des ouvrages sur la Thaïlande, salle du Journal officiel, salle des publications internationales (3e étage, bâtiment 1), ainsi que dans la salle des livres rares (3e étage, bâtiment 2). “