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L’arrestation du maire d’Istanbul, Ekrem Imamoglu, a donné lieu à une série de manifestations la plus importante depuis les événements du parc Gezi en 2013.
Ce serait a priori une tentative directe d’éliminer le principal opposant du président Recep Tayyip Erdogan en vue de l’élection de 2028.
L’incarcération d’Imamoglu a causé de l’indignation au sein d’une population lasse de cette absence de démocratie, et bien sûr une nouvelle dévaluation de la livre turque, ce qui n’est pas opportun en ces temps de crise économique. La dérive autoritaire du régime d’Erdogan continue.
L’ascension d’Imamoglu face à la poigne d’Erdogan
Ekrem Imamoglu est un membre du Parti républicain du peuple (CHP) et s’est imposé comme une figure majeure de l’opposition en 2019, lorsqu’il a remporté l’élection municipale d’Istanbul. En effet, il mettait fin à 25 ans de domination de l’AKP, le parti d’Erdogan. Cette victoire est un coup dur pour le président, qui avait lui-même commencé sa carrière politique en tant que maire d’Istanbul.
Le gouvernement a annulé les résultats de l’élection initiale en citant des irrégularités. Imamoglu a pourtant remporté le nouveau scrutin avec une marge encore plus grande, ce qui n’a fait que de renflouer sa popularité en tant que véritable opposition à Erdogan. Durant son mandat, il s’est concentré sur la transparence, le bien-être social et le développement des infrastructures, ce qui lui a aussi permis de gagner en popularité au-delà d’Istanbul.
Il est donc devenu le candidat naturel du CHP pour l’élection présidentielle de 2028.
L’arrestation d’Imamoglu
Le 10 mars 2025, Imamoglu a été arrêté après une enquête l’accusant de corruption, d’extorsion, de gestion d’une organisation criminelle et de manipulation d’appels d’offres publics. Peu après son interpellation, il a été suspendu de ses fonctions.
Ses avocats et plusieurs organisations de défense des droits humains disent que les charges retenues contre lui présentent de nombreuses incohérences. Cette arrestation vise avant tout à l’empêcher de se présenter en 2028, une stratégie déjà employée contre d’autres opposants, comme Selahattin Demirtas en 2016.
Arrêter Imamoglu, c’est immoler la confiance turque en son gouvernement.
En quelques heures, des dizaines de milliers de manifestants sont descendus dans les rues d’Istanbul, d’Ankara et d’autres grandes villes.
La répression a été brutale : gaz lacrymogènes, canons à eau et balles en caoutchouc ont été utilisés contre les protestataires. Le ministre de l’Intérieur, Ali Yerlikaya, a qualifié ces manifestations de “tentative de déstabilisation orchestrée par l’opposition“.
Quant à Dilek Kaya Imamoglu, l’épouse du maire déchu, elle a pris la parole devant l’hôtel de ville d’Istanbul, et ouvertement qualifié cette arrestation d'”assassinat politique“.
Comme nous l’avons rappelé, la livre turque a chuté à son niveau le plus bas face au dollar, tandis que la Bourse d’Istanbul enregistrait des pertes record puisquent les investisseurs craignent une instabilité politique durable et un durcissement autoritaire qui nuirait davantage au climat des affaires.
Le département d’État américain a déclaré qu’il s’agissait d’une “dérive alarmante pour la démocratie turque“, pourtant, ce genre de pratique n’est absolument pas nouvelle.
Erdogan s’est contenté de balayer les critiques des Etats-Unis et de l’Union européenne d’un revers de la main en disant que la Turquie “ne se pliera pas aux pressions occidentales“. Cette réaction qui peut paraître assez désinvolte s’aligne en fait à la stratégie africaine de qualifier toute intervention occidentale de néocolonialisme. Erdogan est en train de décrédibiliser l’impact de ces institutions en rappelant qu’elles sont extérieures au pays alors que la Turquie est célèbre pour son implication en tant que figure médiatrice entre la Russie et l’Ukraine.
En attendant, Imamoglu a tout de même voulu partager ses espoirs en demandant à tous les citoyens de “ne pas céder à la peur” et à poursuivre la lutte pour une Turquie démocratique.