Terminator (1984), Matrix (1999), Her (2013)… Les nouvelles technologies ne
cessent de nourrir nos imaginaires. La culture cinématographique en offre des
perspectives dystopiques. Mais ces innovations doivent-elles forcément inspirer la crainte ?
Charles Bodon, doctorant et chargé d’enseignements en philosophie
contemporaine à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, nous apporte son
expertise pour un regard démystifié et optimiste sur les innovations technologiques. Ses réflexions nourrissent l’ensemble de cette analyse, hormis les exemples d’AlphaFold et BioGPT.

Le Nouveau Réalisme : philosopher pour comprendre
l’informatique
Le Nouveau Réalisme est un courant philosophique européen qui émerge dans
les années 2010. Il considère que la réalité existe indépendamment de nos représentations.
L’objectif est de se défaire de tout concept qui enfermerait le réel dans des idées prédéfinies. Ce système de pensée peut s’appliquer aux nouvelles technologies. Il libère les machines des images et fantasmes généralement attribués.
Bodon précise : « On va essayer d’éviter d’essentialiser ces nouvelles technologies. (…) On va plutôt essayer de voir ce que nous faisons avec et ce qu’elles font elles-mêmes ».
Cette approche philosophique de l’informatique élabore une méthode plutôt
qu’une réflexion conceptuelle. Il s’agit de comprendre le fonctionnement concret des technologies. Les recherches scientifiques explorent leurs capacités d’interaction ainsi que leurs limites.
Bodon interroge : « Que se passe-t-il quand un humain interagit avec une machine qui n’a pas le même langage que lui, ni les mêmes émotions – n’en a pas d’ailleurs – qui n’a pas de conscience non plus ? Pourtant, on agit ensemble. Là, il y a un mystère. »
Cependant, il ne cherche pas à résoudre cette énigme. Sa tâche consiste à « essayer de formaliser et clarifier les débats, de désambiguïser les mots » par un travail sur le langage. À l’ère des nouvelles technologies, le Nouveau Réalisme déconstruit les idées reçues. Il offre un regard analytique et nouveau sur les machines souvent sources de frayeurs.
« Il faut se méfier des machines. »
Qui n’a jamais entendu cette mise en garde ? Les innovations technologiques sont redoutées, car elles imitent l’humain et s’en rapprochent. La peur d’être remplacé, manipulé ou de voir nos données exploitées nourrit la méfiance envers les machines.
D’autres redoutent que ces interactions altèrent notre façon de communiquer. Pourtant, Bodon rappelle que ces dernières sont indifférentes à nous. Elles ne sont qu’un processus algorithmique.
Quant à notre langage, il évolue constamment. L’IA ne réduit pas nos capacités d’expression. Au
contraire, elle nous oblige parfois à préciser et à développer notre vocabulaire
pour mieux comprendre notre intention. Lorsqu’un utilisateur pose une question à un agent conversationnel comme ChatGPT, il ajuste souvent sa requête pour obtenir une réponse plus précise.
Plutôt que de s’inquiéter, nous devrions reconnaître leurs avantages : automatiser de nombreuses tâches et faire progresser la recherche scientifique, notamment dans le domaine médical.
L’IA au service de la science
L’intelligence artificielle est une innovation pour les scientifiques. Elle facilite
leurs travaux actuels. AlphaFold par exemple est une IA révolutionnaire
développée par Google DeepMind.
Elle aide les biologistes à comprendre les interactions moléculaires. C’est le cas de Matthew Higgins, biochimiste, qui utilise AlphaFold pour lutter contre le paludisme. L’IA a permis une avancée
majeure dans son étude. Elle est parvenue à décrypter la structure d’une protéine clé du parasite.
Il existe également des agents conversationnels qui permettent d’aider les scientifiques dans leurs recherches. BioGPT, par exemple, est un modèle de langage spécialisé en biomédecine conçu par Microsoft. Son atout majeur réside dans sa capacité à produire des descriptions précises de concepts biomédicaux.
Les agents conversationnels : de bons outils, mais des conseillers limités
L’utilité des chatbots ne se cantonne pas au domaine scientifique.
Accessibles à tous, ils facilitent l’accomplissement de nos tâches quotidiennes. Cependant,
leur rôle doit être clairement défini : « Il faut considérer les agents
conversationnels comme des outils », signale Bodon.
Il n’est pas toujours pertinent de s’adresser à un chatbot. Certaines situations exigent un jugement
humain. Une urgence médicale, par exemple. Demander à ChatGPT comment
réagir dans une situation de danger vital, c’est s’adresser au mauvais
interlocuteur. L’IA recommanderait d’elle-même la consultation d’un
professionnel. Ces intelligences sont programmées pour orienter les utilisateurs
vers des interlocuteurs qualifiés.
Finalement, plutôt que de projeter nos craintes et espoirs sur les technologies, il vaut mieux en comprendre le fonctionnement. Ni idéalisées, ni diabolisées, elles restent avant tout des outils façonnés par et pour l’humain.