Le silence des armes à Damas sonne peut-être le glas de celles du Hezbollah.
Avec la fin du régime de Bachar al-Assad — longtemps maillon central du corridor stratégique entre l’Iran et le Liban — le Hezbollah se retrouve brutalement isolé. La guerre en Syrie, qui fut autrefois un levier de puissance pour le groupe chiite libanais, s’est transformée en impasse.
L’affaiblissement du régime syrien prive aujourd’hui le Hezbollah d’un précieux relais logistique pour le transfert d’armes iraniennes et d’un partenaire politique majeur.
La carte syrienne ne joue plus en la faveur du Hezbollah, qui paraît plus vulnérable que jamais. Cette perte d’assise géopolitique, et les pertes militaires subies face à Israël, ouvre la voie à une remise en question inédite de son rôle armé au Liban.
Les appels au désarmement se font plus pressants, et la marge de manœuvre du mouvement se rétrécit, coincé entre la réalité d’un terrain qui change et les exigences de la diplomatie internationale.
Geir Pedersen, envoyé des Nations Unies répond aux questions les plus pressantes à ce sujet.
Pourquoi une dernière visite à Damas?
“La Syrie traverse une phase critique. Depuis la chute du précédent régime il y a quatre mois et demi, un nouveau chapitre s’ouvre. J’ai voulu saluer le courage du peuple syrien, qui malgré la souffrance, l’incertitude et les dangers, montre un désir clair de voir cette transition politique réussir.“
Pourquoi est-ce que cette transition semble si fragile?
“Parce que le pays sort d’une période marquée par des décennies de mauvaise gouvernance, de conflits et de pauvreté. Les institutions sont encore en construction, et beaucoup de Syriens ne savent pas encore quelle sera leur place dans la Syrie qui émerge.“
Pedersen poursuit sur l’idée d’une nouvelle Syrie, qui adopterait des codes plus occidentaux : “Il faut une réelle inclusion politique, un soutien international solide, la lutte contre l’extrémisme, et des réformes profondes. Le nouveau cabinet syrien est plus divers que le précédent, mais il reste très loin d’un gouvernement inclusif. Il n’y a qu’une seule femme sur vingt-deux ministres, par exemple.“
Cependant, sur le terrain, la réalité ne se prête pas à cela à cause de la pauvreté des infrastructures et surtout une véritable incertitude pour la population. Lors de la chute du régime de Bachar al-Assad, de nombreux syriens réfugiés dans des pays européens songeaient à rentrer au pays. Mais est-ce vraiment réaliste?
“La situation reste très tendue. Des groupes armés sont encore actifs, la pauvreté atteint des niveaux inédits, et les sanctions pèsent lourdement. Les événements violents de mars sur la côte ont profondément ébranlé la confiance. J’ai échangé longuement avec le président intérimaire Alsara à ce sujet.” explique Pedersen.
Un “lifting” politique pourra-t-il remettre Damas dans la course?
Pour Pedersen, un projet d’assemblée populaire intérimaire pourrait remettre les pendules à l’heure à Damas. Ce projet verra Ahmed al-Charaa, président par intérim de la Syrie, choisir un tiers des membres. Cette décision n’est, bien sûr, pas sans opposition de groupe minoritaires qui font écho au paroles de Pedersen : Il faut que tout le monde soit représenté, d’où l’importance de la diversité.
Pedersent acquiesce: “Cette assemblée aura un rôle clé dans la réforme législative. J’ai insisté sur l’importance de la transparence, de l’ouverture et d’une représentation qui reflète la diversité du pays. Elle doit être perçue comme légitime par tous les Syriens.“
Le processus constitutionnel va se forger à long-terme puisque le présdent par intérim dit que les prochaines élections auront sûrement lieu dans 5 ans.
Mais le Ahmed-al-Charaa a déjà commence le travail de par une déclaration constitutionnelle qui criminalise la glorification du régime précédent, opte pour une séparation stricte des pouvoirs et protège la liberté de croyance. Pour Pedersen, ces nouvelles normes sont justes. “[le processus constitutionnel] ne peut pas être purement technique. Il doit associer toutes les composantes sociales et politiques du pays. La nouvelle Constitution doit poser les bases d’un contrat social, et aboutir à des élections libres et justes.“
Ce lifting politique et cette séparation des pouvoirs pourra alors assurer que les auteurs de violences puissent être punis justement : “J’ai rencontré des membres de la communauté touchée à Damas, ainsi que la Commission nationale indépendante d’enquête. J’appelle tous ceux qui ont des témoignages à collaborer. Il est impératif que les auteurs de violences contre des civils soient traduits en justice” raconte Pedersen.
Les problèmes sociaux qui prennent le dessus, de Damas à Alep
Des enlèvements de femmes et de filles ont été signalés…
“Oui, et c’est évidemment inacceptable. J’en ai parlé avec le ministre ce matin. Il m’a demandé de lui transmettre toute information dont nous disposons à ce sujet.“
L’intégration du nord-est syrien semble être un autre problème de taille.
“Absolument. L’accord du 10 mars entre le président Alsara et M. Mazloum Abdi est encourageant. Des comités ont été formés, des visites réciproques ont eu lieu. Mais l’enjeu est immense : la présence de Daech, les forces armées non intégrées, les questions kurdes, l’autonomie… Cela demandera de la volonté politique des deux côtés.“
Y a-t-il un plan pour la démobilisation des groupes armés ?
“Oui. L’objectif est qu’aucune arme ne soit détenue en dehors du contrôle de l’État. Des idées circulent pour intégrer certaines factions à l’armée nationale. Mais cela demande un climat politique favorable et un appui international conséquent.“
La question des combattants étrangers reste-t-elle préoccupante ?
“Elle l’est toujours. Des discussions sont en cours avec plusieurs États. Il faut avancer concrètement.“
Que pouvez-vous dire des frappes israéliennes en Syrie ?
“Elles nuisent gravement à la stabilité. En avril, des affrontements à la frontière ont causé neuf morts civils selon Damas, suivis de frappes sur Damas, Hama et Homs. Ces attaques doivent cesser. Il est impératif que l’accord de désengagement de 1974 soit respecté.“
L’économie syrienne est exsangue. Quel est l’impact sur la transition politique ?
“L’impact est immense. Sans redressement économique, il ne peut y avoir de stabilité politique. Il y a eu des avancées : paiements de dettes auprès de la Banque mondiale, discussions avec le FMI, allègements de certaines sanctions. Mais cela reste insuffisant.“
Que recommandez-vous concrètement ?
“Un assouplissement plus large et plus rapide des sanctions, en particulier dans les secteurs clés comme l’énergie, la banque, l’éducation. Il faut que les acteurs qui souhaitent aider puissent le faire sans craindre de sanctions secondaires.“