Le 12 mai 2025, le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), organisation armée fondée en 1978 et en conflit avec l’État turc depuis 1984, a annoncé sa dissolution définitive. Cela signifie l’arrêt d’une insurrection longue de plus de quarante ans qui aura coûté la vie à plus de 40 000 personnes, civils et militaires confondus.
C’est par la voix de l’agence de presse pro-kurde ANF que la nouvelle a été relayée, accompagnée d’un communiqué du mouvement expliquant avoir organisé son 12e congrès dans le but de mettre fin à son existence en tant que structure opérationnelle.
Le message du PKK est sans ambiguïté : l’organisation déclare cesser toute action militaire et renoncer à la voie de l’affrontement armé. Cette décision, que le mouvement qualifie de « tournant historique », est présentée comme le résultat d’une longue réflexion sur les moyens de défendre les droits de la population kurde en Turquie, population estimée entre 15 et 20 % de la population totale du pays.
Le PKK affirme que ses objectifs initiaux sont désormais à poursuivre par des moyens civils et politiques. Il appelle à la reconnaissance de l’expression démocratique kurde et insiste sur la nécessité d’un cadre juridique solide qui garantirait la participation politique pleine et entière des Kurdes dans la vie publique turque. En clair, le groupe annonce qu’il se retire du champ de la lutte clandestine mais demande en contrepartie l’instauration d’un environnement légal propice à une action politique ouverte et protégée par la loi.
Une réaction favorable à la fin du PKK
Le gouvernement turc a exprimé sa satisfaction à l’annonce de cette dissolution. Le ministre des Affaires étrangères, Hakan Fidan, a qualifié cette évolution de « développement porteur d’espoir » pour l’ensemble du pays.
S’adressant aux journalistes, il a insisté sur la nécessité d’observer les prochaines étapes concrètes, indiquant que la Turquie surveillerait de près la mise en œuvre effective de l’engagement annoncé par le PKK. Bien qu’aucune mesure spécifique n’ait encore été rendue publique concernant la réintégration des anciens combattants ou la question d’une éventuelle amnistie, l’Exécutif semble envisager une réponse graduée, conditionnée à la réalité des faits sur le terrain.
Le président de la région autonome du Kurdistan irakien, Nechirvan Barzani, a également salué cette décision, qu’il qualifie de preuve de maturité politique. Selon lui, ce renoncement ouvre la possibilité d’un dialogue durable, capable de répondre aux attentes des Kurdes aussi bien en Turquie que dans l’ensemble de la région. À ses yeux, une page peut être tournée, celle de la violence, au profit d’une période où les échanges politiques primeront sur la confrontation.
Une transition préparée depuis plus d’un an
Depuis plusieurs mois, des signaux laissaient présager un changement d’orientation stratégique de la part du PKK.
En février dernier, Abdullah Öcalan, fondateur et figure centrale du mouvement, détenu depuis 1999 sur l’île-prison d’Imrali, avait appelé ses partisans à renoncer aux armes. Ce message avait été perçu comme une instruction directe de sa part, ouvrant la voie à une cessation des hostilités.
Ce basculement fait suite à une médiation politique discrète, initiée à l’automne 2024 par Devlet Bahçeli, dirigeant du Parti d’action nationaliste (MHP) et partenaire politique du président Recep Tayyip Erdoğan.
Les discussions, menées avec l’implication indirecte du parti pro-kurde DEM, ont permis de dégager un espace de négociation entre Ankara et les représentants kurdes, malgré l’absence d’annonces officielles.
Dès le 1er mars, le PKK avait répondu favorablement à l’appel de son fondateur, décrétant un cessez-le-feu immédiat. Cette trêve, respectée depuis, a constitué un test de confiance. Erdoğan avait alors salué ce qu’il décrivait comme « une chance réelle » pour dépasser les clivages du passé et construire un avenir commun.
La fin des combattants du PKK?
Le sort des combattants, en particulier ceux stationnés dans les montagnes du nord de l’Irak, reste flou. Les autorités turques n’ont pour l’instant ni confirmé ni nié l’existence d’accords confidentiels sur une éventuelle amnistie ou une réintégration progressive des anciens membres du PKK dans la société civile.
La situation est d’autant plus délicate que certains hauts commandants du PKK ont longtemps rejeté les appels à la paix. Leur position actuelle n’a pas encore été rendue publique, et leur adhésion réelle au processus sera déterminante. Si certains éléments radicaux venaient à s’opposer au processus de démilitarisation, cela risquerait d’entraver les efforts en cours.
Un porte-parole de la Commission européenne a dit que cette décision offrait une occasion à saisir pour enclencher un dialogue politique structuré entre Ankara et les représentants kurdes. L’UE rappelle qu’une solution durable ne peut exister que dans un cadre fondé sur la reconnaissance des droits culturels et linguistiques du peuple kurde.
À Damas, le ministre syrien des Affaires étrangères, Assaad al-Chaibani, s’est félicité de ce qu’il a décrit comme un tournant favorable pour la sécurité régionale.
Lors d’une conférence de presse conjointe avec ses homologues turc et jordanien, il a affirmé que la dissolution du PKK contribuait à renforcer la coopération entre les trois pays et favorisait la mise en place d’un nouveau climat de coordination militaire et politique au Levant.
La Syrie, en proie à sa propre réorganisation interne, a indiqué vouloir faire converger ses efforts avec la Turquie pour stabiliser la région frontalière et réduire l’influence des groupes armés non étatiques, notamment en lien avec les Forces démocratiques syriennes (FDS).
Dans la population kurde…
Parmi les Kurdes vivant en Turquie, cette annonce suscite un mélange d’optimisme et d’inquiétudes persistantes. Ils expriment leur lassitude face à des décennies de répression, mais redoutent que l’État turc n’ouvre pas véritablement la porte à une reconnaissance de leurs droits fondamentaux.
À Ankara, Ilyas, enseignant kurde d’une cinquantaine d’années, confie : « L’État a essayé toutes les méthodes pour nous faire taire. Il n’a jamais voulu essayer la paix. Peut-être que cette fois, ce sera différent. » De son côté, Seracettin, commerçant dans la province de Diyarbakır, se montre plus réservé : « C’est bien si nous tournons la page, mais pourquoi seuls les Kurdes devraient faire des efforts ? La réconciliation, ça se fait à deux. »
Ferzan, jeune femme originaire de la région de Van, conclut : « Ce que je veux, c’est pouvoir retourner dans mon village, apprendre et enseigner en kurde, vivre sans avoir peur. Si cela devient possible, alors ce sacrifice en vaudra la peine. »