L’inauguration de l’Académie de défense à l’École militaire (ACADEM) le 26 octobre 2023 par le ministre des Armées, Sébastien Lecornu offre une recomposition géopolitique contemporaine du Moyen-Orient.
Dans un contexte de tensions géopolitiques accrues au Moyen-Orient, notamment avec le conflit israélo-palestinien réactivé par l’offensive du Hamas contre Israël le 7 octobre 2023, le colloque intitulé « Recomposition géopolitique au Moyen-Orient : la prochaine surprise stratégique » a pris une dimension particulièrement critique. Cette rencontre, prévue de longue date, s’est ainsi transformée en une plateforme d’analyse des dynamiques qui redéfinissent la région cette année.
La géopolitique du Moyen-Orient est en constante évolution depuis le 7 Octobre
Jean-Paul Chagnollaud, spécialiste de la question palestinienne, a introduit le débat en soulignant une “triple impasse” en géopolitique orientale : le refus de la paix, le désengagement de la communauté internationale, et l’inviabilité du statu quo. Selon lui, le processus de paix amorcé par les Accords d’Oslo en 1993, qui portait l’espoir d’une résolution durable, a échoué en grande partie en raison des acteurs radicaux des deux côtés. Pour les Palestiniens, c’est notamment le Hamas qui rejette toute idée de compromis. Côté israélien, il a pointé du doigt Benjamin Netanyahou, au pouvoir lors des périodes clés, qui a instrumentalisé le conflit pour des gains politiques internes.
L’internationalisation du conflit a pris un tournant lorsque, en 2016, le Conseil de sécurité de l’ONU a adopté une résolution cruciale condamnant la colonisation israélienne. Mais l’arrivée de Donald Trump à la présidence des États-Unis en 2017 a marqué une ère où la situation palestinienne a été reléguée au second plan, au profit d’une normalisation des relations israélo-arabes sous les accords d’Abraham. Cette gestion des conflits a ignoré, selon Chagnollaud, la détérioration continue sur le terrain, notamment à Gaza, où 2,3 millions de Palestiniens vivent confinés depuis 2007.
Pierre Razoux, expert en stratégie israélienne, a ensuite abordé les dilemmes géopolitiques auxquels le gouvernement israélien est confronté. L’État d’Israël, persuadé que la menace existentielle venait principalement de l’Iran, s’est trouvé déstabilisé par l’offensive inattendue du Hamas. Netanyahou se trouve désormais pris entre les exigences de représailles de son opinion publique, qui demande une réponse forte face à l’attaque, et les appels à la retenue des États-Unis et des alliés européens.
Razoux a également noté que ce conflit a divisé le Moyen-Orient, y compris des pays historiquement alliés d’Israël tels que l’Égypte, la Jordanie et les monarchies du Golfe. Ces nations se trouvent déchirées entre la nécessité de maintenir des relations pragmatiques avec Israël et les pressions exercées par leurs opinions publiques, toujours solidaires de la cause palestinienne. Ce positionnement délicat reflète l’exacerbation des tensions entre grandes puissances dans la région, en particulier entre les États-Unis et la Chine, cette dernière cherchant à accroître son influence dans le monde arabe.
Pour Karim Émile Bitar, le massacre du 7 octobre 2023 a replacé la question palestinienne au centre de l’attention internationale. Longtemps considérée comme une question secondaire, voire marginale, cette crise a révélé la persistance et l’universalité de ce conflit. Selon lui, le retour à un discours tribal et émotionnel, où chaque camp se focalise exclusivement sur sa propre souffrance, est un obstacle majeur à une réflexion sereine et à une solution viable.
Fatiha Dazi-Héni a pour sa part mis en lumière un décalage grandissant entre les perceptions occidentales et celles du monde arabe, notamment dans les pays du Golfe, l’Égypte et la Jordanie. Alors que ces nations sont historiquement proches de l’Occident, elles se tournent de plus en plus vers des puissances alternatives comme les BRICS, séduites par leur neutralité perçue dans les crises internationales, telles que l’invasion russe de l’Ukraine et le conflit en Palestine.
L’Iran, grand gagnant ?
Théo Nencini a quant à lui analysé la position de l’Iran, qui se voit comme le grand gagnant des récents événements. La réactivation du conflit israélo-palestinien, un des objectifs stratégiques de la République islamique, a permis à Téhéran de renforcer sa position sur le plan diplomatique et militaire. L’Iran peut ainsi revendiquer des succès notables, notamment la suspension des accords d’Abraham et l’accélération de son pivot vers l’Asie, avec la volonté de créer un ordre régional alternatif à celui prôné par les États-Unis.
Vers une fragmentation géopolitique accrue
Pour clore les débats, le vice-amiral Ausseur a souligné que cette situation géopolitique illustre parfaitement le nouveau monde fracturé dans lequel nous vivons, où les tensions idéologiques et émotionnelles exacerbent les divisions entre États et communautés. Il a averti que les nouvelles technologies, comme les réseaux sociaux et l’intelligence artificielle, risquent d’aggraver encore cette fragmentation en amplifiant les discours polarisants.
L’ACADEM a montré que les défis stratégiques au Moyen-Orient ne se limitent pas aux questions militaires mais s’étendent à des dimensions politiques, économiques et sociales, reflétant un jeu complexe d’influences régionales et mondiales. Le rôle des grandes puissances, tout comme celui des acteurs locaux, évolue constamment dans un environnement en mutation rapide.