Les tensions au Moyen-Orient s’intensifient. Les frappes militaires d’Israël contre les installations nucléaires iraniennes ont poussé la région au bord d’une guerre plus large, ce qui a lancé un débat mondial sur le rôle du droit international.
Dans cet entretien exclusif pour Le Parisien Matin, l’ancien rapporteur spécial de l’ONU et spécialiste du droit international, le professeur Richard Falk, partage son analyse approfondie des actions d’Israël, de la responsabilité juridique, et de ce qu’il appelle la « guerre de légitimité » au-delà des champs de bataille conventionnels.
Les attaques israéliennes sont-elles une violation du droit international ?
Comment évaluez-vous les récentes frappes militaires d’Israël contre l’Iran du point de vue du droit international ? Ces actes violent-ils les articles 2 et 4 de la Charte de l’ONU ?
Oui. La Charte de l’ONU interdit explicitement tout usage de la force internationale et exige de tous ses membres qu’ils règlent leurs différends de manière pacifique. Israël a violé ces deux principes : d’une part, en recourant à la force de manière agressive, et d’autre part, en omettant de rechercher des solutions diplomatiques.
Quelles sont les implications diplomatiques de cette attaque ?
Au moment de l’attaque, des négociations étaient en cours entre l’Iran et les États-Unis concernant le programme nucléaire iranien. Les actions d’Israël ont perturbé ces efforts en vue d’une résolution diplomatique. La critique d’Israël envers le programme iranien est hypocrite étant donné qu’Israël a lui-même refusé de signer le Traité de non-prolifération et possède un arsenal nucléaire non déclaré.
Les risques d’une attaque contre des installations nucléaires
Quels risques cette attaque pose-t-elle au regard des réglementations de l’AIEA, du droit du désarmement nucléaire et des normes de protection environnementale ?
L’attaque sape les standards juridiques internationaux. Israël a agi en partie sur la base des allégations de l’AIEA contre l’Iran, même si le TNP ne prévoit aucun mécanisme d’application. C’est une intervention extralégale de la part de pays qui s’exemptent souvent eux-mêmes des règles qu’ils imposent aux autres.
Quelle légalité pour les opérations secrètes ?
Comment les opérations secrètes comme les frappes de drones, le sabotage cybernétique ou les assassinats – attribués au Mossad – doivent-elles être interprétées en droit international ?
Ces actes violent la souveraineté iranienne. Bien que le droit international ne qualifie pas clairement ces opérations secrètes, leur complexité et leur niveau de menace soulèvent des préoccupations juridiques. Reste non résolue la question de savoir si elles constituent des attaques armées justifiant la légitime défense.
Le droit de l’Iran à répondre
L’Iran a-t-il le droit juridique de riposter ? Quelles sont ses voies légitimes – militaire, juridique, diplomatique ?
D’après la Charte de l’ONU, l’Iran a clairement le droit de se défendre après une attaque armée manifeste. Il a aussi l’obligation d’en informer le Conseil de sécurité de l’ONU. Mais le droit de veto au sein du Conseil protège souvent Israël de toute conséquence, ce qui reflète un déséquilibre du système international.
Pourquoi Israël semble-t-il échapper aux conséquences juridiques malgré ses violations répétées ?
Parce que l’ONU a été structurée pour protéger les intérêts stratégiques de ses membres les plus puissants. Le système de veto permet à ces États et à leurs alliés d’agir en toute impunité. Cela crée un fossé entre le droit et son application – un défaut délibéré dans l’ordre international établi après la Seconde Guerre mondiale.
Le rôle des rapporteurs spéciaux de l’ONU
Quel rôle jouent les rapporteurs spéciaux de l’ONU dans de tels conflits ?
Les rapporteurs – moi y compris – ont constamment critiqué les actions d’Israël, notamment dans le contexte palestinien. Mais notre mandat se limite aux droits humains et ne couvre pas les questions d’usage de la force comme en Iran. Toutefois, notre travail est important pour le débat public et offre un cadre juridique et moral.
Le droit international a-t-il encore un sens ou n’est-il qu’un outil pour les puissants ?
Le droit international existe, mais il ne peut pas être appliqué dans la structure actuelle de l’ONU. Cette structure a été conçue pour échouer dans de tels moments. Pourtant, le droit international joue un rôle essentiel dans ce que j’appelle la « guerre de légitimité » – la lutte pour l’autorité morale et juridique aux yeux de la société civile.
Nous avons vu au Vietnam, en Afrique du Sud et dans les guerres coloniales que le camp qui possède la légitimité morale l’emporte souvent malgré une puissance militaire inférieure. Le droit international compte encore pour façonner l’opinion publique et exercer une pression via la société civile, même s’il est impuissant au Conseil de sécurité.
Un dernier mot ?
Ne confondez pas ma critique de l’ONU avec un rejet du droit international. Il reste une boussole dans la guerre de légitimité – un champ de bataille non violent où l’opinion publique, la société civile et la justice peuvent faire basculer le cours de l’histoire.