La 25ème édition du Festival Gnaoua & Musiques du Monde a pris fin, en apothéose, le 29 juin, avec des concerts impressionnants, mettant en lumière des musiques et des cultures de différents horizons. Le Parisien Matin a eu grand plaisir à s’entretenir avec fondateur du groupe algérien Labess, M. Nedjim Bouizzoul.
Le Festival Gnaoua & Musiques du Monde offre des sonorités en communion
Buika, Saint-Levant, Labess, Hamid El Kasri, Bokanté, Aita Mon Amour… Des têtes d’affiches qui ont enchanté des festivaliers, venus des quatre coins du monde, (re) vivre la magie d’Essaouira, anciennement Mogador et bien avant, le Port de Tombouctou.
Cette année, ils étaient, selon les chiffres officiels, plus de 400 000 festivaliers, 100 000 de plus qu’en 2023. Le 25ème anniversaire de cette importante manifestation culturelle célèbre également l’engagement et la fidélité d’une grande partie du public, loyal à la ville des alizés et sa magie.
Un quart de siècle depuis le lancement de la toute première édition du festival Gnaoua et Musiques du Monde, devenu rendez-vous incontournable des amoureux de la musique. L’atmosphère et l’ambiance semblent toutefois ne pas avoir changé. Essaouira ressemble toujours à une carte postale figée dans le temps, car si la ville s’agrandit de plus en plus et connaît un grand développement, les murs de l’ancienne médina restent les mêmes, offrant le même paysage captivant et cette sérénité que seuls les festivaliers connaissent et peuvent décrire.
Les moments forts de cette 25ème édition sont nombreux, des concerts aux master class, en passant par les soirées thématiques et le Forum des Droits Humains, organisé en partenariat avec le CCME (Conseil de la Communauté Marocaine de l’Étranger). Durant trois jours, Essaouira a offert le meilleur.
Nous avons rencontré Nedjim Bouizzoul, fondateur du groupe algérien Labess (traduit : tout va bien) lors d’une interview très intimiste où il partage des éléments de sa vie et de sa carrière, pour la toute première fois.
Le Parisien Matin : Labess célèbre cette année ses 20 ans d’existence, comment revoyez-vous le parcours du groupe ? De Alger, au Canada, des performances dans le métro à Montréal, à l’Olympia de Paris.
N.B : J’ai la chair de poule ! C’est un long cheminement, c’est l’exil, l’arrachement à ses racines. On apprend énormément, le premier rapport, c’est le déracinement, la tristesse, le mal du pays, mais on apprend à relativiser car on découvre d’autres personnes, dans la même configuration et qui ont dû partir de chez eux pour des raisons politiques, économiques ou contextuelles.
Mes début dans le métro de Montréal ont été difficiles, c’était la galère ! Mais c’est aussi la période où j’ai eu ma toute première vraie guitare car celle que j’avais était celle de mon père, paix à son âme. C’était une guitare de droitier alors que je suis gaucher et elle avait bien vécu car elle ne contenait plus que trois cordes (rire). J’ai pu acheter ma première guitare grâce au métro, même si cela a été très difficile. Je revois aujourd’hui les images de ce métro et je repense à mes journées de 7, 8h de musique, dans un courant d’air impressionnant car il faisait moins 35 à Montréal et il arrivait que mes doigts soient frigorifiés et je n’arrivais pas à les bouger. Je repense aussi aux fois où je n’avais même pas de quoi me payer le café et les cigarettes.
Mon petit appartement de Montréal était toujours rempli d’artistes et je me souviens les lendemains de fêtes où je devais rendre les bouteilles consignées pour pouvoir acheter le café et les clopes.
Quand je repense à mon parcours, je me souviens également des premières grosses scènes, les sensations fortes, mais aussi les échecs, les chutes, mais surtout de fierté de pouvoir se relever à chaque fois. La fierté également de remarquer que notre musique plait et que nous commençons à nous créer un public.
Je vais vous raconter un anecdote dont sont au courant uniquement les personnes très proches : Une fois et alors que j’étais au plus bas, j’étais dans mon petit appartement, avec quatre mois de loyer impayé. J’avais des fuites d’eau dans le salon, la salle de bain et la cuisine. J’avais mis de bidons pour récupérer l’eau un peu partout. Je me suis dit qu’il fallait mémoriser ce moment, parce que c’est important. Je me suis installé dans mon salon, avec un verre de Whiskey et un cigare que des amis m’avaient offert et j’ai éclaté de rire en me disant « Tu ne peux pas tomber plus bas ». j’ai mémorisé ce moment et je le raconte à ma fille de 18 ans.
La musique au coeur du Festival Gnaoua & Musiques du Monde
Quand écrivez-vous et quelle est la chanson qui vous représente le plus ?
N.B : C’est très rare d’écrire en étant de bonne humeur. Quand on est heureux, on est un peu égoïste et on le garde pour nous, c’est pour cela que les artistes sont un peu condamnés à être triste. C’est très dur de l’accepter et j’ai longtemps lutter contre cela en me disant que j’ai le droit, moi aussi, au bonheur, à l’amour et à une vie de famille.
Un collègue à vous d’un autre média, m’a demandé comment je choisissais mes textes et j’ai répondu que nous ne choisissons pas la chanson, mais c’est la chanson qui nous choisit.
Labess, le Maroc… Essaouira ?
N.B ; C’est toujours un plaisir de revenir au Maroc et j’ai une histoire très particulière avec Essaouira. Il y a plus de 15 ans, j’ai fait le tour du Maroc, en camion, avec un pote. Nous nous étions arrêtés à Essaouira et avions été accueillis par deux jeunes de la ville, Said et Abderrahim. Nous avons passé du temps à visiter la ville, à prendre des cafés et à jouer de la musique dans la rue. Il y a quelque chose d’indescriptible à Essaouira et je sens que tout le monde à Essaouira est habité par la musique. Cette ville est chargée d’énergie.
Vous fabriquez des instruments de musique, c’est une passion ?
N.B : Merci d’être aussi bien renseignée sur moi (Rires)
Il faut savoir que je jouais de la guitare en non-stop, pendant des années et cela m’a donné envie de connaître, encore plus, le mécanisme derrière les sonorités, élucider le mystère. Je vivais en Colombie et j’ai suivi la mère de mon enfant à Nantes et j’y ai découvert les luthiers de la ville. J’ai fait le tour pour apprendre et c’est un jeune luthier, Clovis, paix à son âme qui m’a ouvert les portes de son atelier, m’a proposé un café et cela m’a énormément touché car cela m’a rappelé l’accueil et l’hospitalité complètement désintéressées dans nos pays.
C’est ainsi que j’ai appris et aujourd’hui, je suis en train de finaliser la deuxième guitare entièrement faite par mes mains. Je dois avouer que c’est un peu difficile de la finir car celui que je considère comme mon maitre est décédé et j’avais noué tellement de liens d’amitié avec lui que j’ai du mal à en trouver un autre. Je continue à me renseigner pour perfectionner mon travail, dans le but d’en faire mon métier et pouvoir passer le savoir-faire à d’autres.
L’Olympia en novembre 2024, un aboutissement de carrière ?
N.B : Une grande réalisation car c’est une salle mythique, légendaire et très symbolique dans la vie d’un artiste.
Je n’y ai jamais cru et je n’y crois toujours pas ! C’est partie d’une blague, comme toute ma vie (Rires) J’ai toujours appris à dépasser mes peurs, depuis mon plus jeune âge. C’est pareil pour l’Olympia. Nous étions installés dans un bistrot avec des amis et nous nous sommes dits « Pourquoi pas ? pour célébrer nos 20 ans ? ». C’est étonnant de ma part car j’ai toujours privilégié les petites salles, avec un public réduit pour être dans cette ambiance intimiste et de proximité.