À quelques jours de l’examen en séance publique du texte sur l’aide à mourir, les prises de position se multiplient et les lignes de fracture se précisent.
D’un côté, des responsables politiques comme Bruno Retailleau et Jordan Bardella dénoncent un projet qui ouvre la porte à une pratique qui contredit l’éthique médicale.
Des voix comme celles de Line Renaud et Gabriel Attal réclament qu’on accorde enfin aux malades en souffrance le droit de choisir leur mort dans la dignité.
Retailleau vent debout contre le texte
Pour Bruno Retailleau, ce texte représente une menace directe. Il ne s’agit pas d’un ajustement juridique, mais d’un changement de cap radical. « Ce projet fait sauter tous les garde-fous. Il rendrait plus simple de demander la mort que d’être soigné. »
Le ministre ne mâche pas ses mots : pour lui, c’est un renoncement collectif. Un aveu d’impuissance déguisé en progrès. Plutôt que de garantir l’accès aux soins palliatifs pour tous, on proposerait une échappatoire létale. Il avertit : « Je me battrai. Notre société a besoin de soins, pas d’injections. »
Renaud et Attal défendent le droit de mourir
La chanteuse Line Renaud, 96 ans, et Gabriel Attal, 36 ans, publient une tribune commune dans La Tribune Dimanche. Leur message est limpide : ne pas vouloir mourir n’empêche pas certains de vouloir cesser de souffrir. Interdire cette possibilité, c’est imposer une souffrance au nom de principes qui ne tiennent pas toujours compte de la réalité des malades.
Pour eux, refuser cette avancée par réflexe idéologique, c’est préférer ses certitudes personnelles à l’écoute des patients. « S’opposer à toute évolution du droit, c’est manquer à son devoir d’humanité. » Ils plaident pour une loi qui respecte la volonté de chacun, à condition qu’elle soit strictement encadrée.
Un texte déjà approuvé en commission
Le 2 mai, la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale a donné son feu vert à la proposition de loi. Elle permettrait aux personnes atteintes de maladies graves, incurables, dont la vie est médicalement considérée comme limitée, et qui souffrent intensément, de demander l’administration ou la prise d’une substance létale. Le texte se veut précis : seuls les patients conscients, pleinement informés, et en phase avancée ou terminale, pourraient y avoir recours.
Catherine Vautrin, ministre de la Santé, a soutenu la proposition en expliquant que certaines douleurs ne peuvent pas être soulagées, même par les meilleurs soins palliatifs. Pour elle, il ne s’agit pas d’une bascule vers un droit à tuer, mais d’une réponse responsable à des situations exceptionnelles.
L’aide à mourir est une loi mal comprise des Français
Une récente étude menée par FLASHS pour LNA Santé le confirme : la majorité des Français comprend mal les enjeux. 65 % des sondés estiment ne pas être suffisamment informés sur les dispositifs existants concernant la fin de vie, et 16 % disent n’avoir aucune connaissance sur le sujet. Seuls 9 % se sentent à l’aise avec les règles en vigueur.
La confusion est telle que près de la moitié des répondants ne savent pas distinguer l’euthanasie, le suicide assisté et l’aide à mourir. Plus d’un quart pense même qu’il s’agit de synonymes. Cette méconnaissance nourrit les peurs et fausse le débat.
Le flou autour des termes complique les discussions. L’euthanasie consiste à ce qu’un tiers – souvent un médecin – administre une substance pour provoquer la mort d’un patient, à sa demande. Le suicide assisté, lui, implique que le patient se donne lui-même la mort, avec une assistance médicale limitée à la fourniture du produit.
Quant à l’« aide à mourir », l’expression engendre davantage d’ambiguïtés qu’elle n’apporte de clarté. Elle sert parfois de mot-valise, englobant à la fois le suicide assisté, l’euthanasie et d’autres pratiques de fin de vie. Le philosophe François-Xavier Putallaz s’en agace : « On utilise une formule floue pour désigner des actes très différents. »
Marie de Hennezel alerte sur le glissement moral de l’aide à mourir
La psychologue clinicienne Marie de Hennezel a publié une lettre ouverte dans laquelle elle critique fermement l’approche actuelle du gouvernement.
Selon elle, l’idée d’un « droit à mourir » malmène la fraternité et la justice. Elle s’alarme : si la loi passe, cela signifiera que la société accepte que provoquer la mort soit une réponse normale à la douleur.
Elle reprend les propos du professeur d’éthique Theo Boer, qui rappelle l’exemple des Pays-Bas. Là-bas, malgré des garde-fous, les pratiques se sont élargies avec le temps. Ce n’est pas un scénario hypothétique : c’est une réalité documentée. Ce glissement progressif n’est pas une dérive accidentelle, mais une conséquence logique.
Bardella : « Le soin, pas la mort »
Le président du Rassemblement national, Jordan Bardella, tient un discours similaire. Il est ravi du renforcement des soins palliatifs prévu dans le premier volet du texte, mais rejette le second, qui légalise une logique de mise à mort. Il affirme : « Le progrès, ce n’est pas la mort provoquée, c’est la capacité à soulager sans tuer. »
Il met en garde contre la tentation d’institutionnaliser l’irréversible. Ce n’est pas le désespoir des malades qu’il condamne, mais le fait d’en tirer un principe général. « On ne légifère pas sur le désespoir », insiste-t-il.
Un autre obstacle qui pourrait servir l’argumentaire de Bardella reste l’évaluation médicale. Comment mesurer un « pronostic vital engagé » ? Peut-on affirmer qu’un patient est « en phase avancée » de sa maladie, avec certitude ? Non, répond la Haute autorité de santé. Elle suggère plutôt d’évaluer la qualité de ce qu’il reste à vivre, ce qui introduit une forme de subjectivité dans un cadre censé être rigoureux.
Le président Emmanuel Macron a évoqué cette question en termes clairs devant la Grande Loge de France, parlant du « moindre mal ». Mais cette expression a suscité une réaction cinglante de l’Église. Mgr de Moulins-Beaufort a rétorqué : « Le choix de faire mourir n’est pas celui du moindre mal. C’est celui de la mort. Point. »