Ce dimanche 6 avril, Paris est pris d’assaut par des manifestants qui souhaitent soutenir Marine Le Pen, condamnée il y a six jours pour détournement de fonds publics à hauteur de 4,1 millions d’euros, assortie d’une peine de prison partiellement avec sursis et, surtout, d’une inéligibilité immédiate de cinq ans.
La cheffe de file du Rassemblement National (RN), candidate pressentie à la présidentielle de 2027, est légalement écartée de la course — du moins jusqu’à nouvel ordre.
Le RN a convoqué ses soutiens pour une mobilisation d’ampleur place Vauban, dans le très huppé 7e arrondissement de Paris.
À peine quelques heures plus tôt, la gauche radicale et écologiste s’était rassemblée place de la République, à cinq kilomètres de là, pour “défendre l’État de droit” face à ce qu’elle qualifie d’”attaque frontale contre la démocratie” orchestrée par l’extrême droite.
Pour le camp présidentiel de Gabriel Attal, un autre meeting a eu lieu à Saint-Denis, sous haute sécurité, afin de recentrer le débat sur la cohésion républicaine et les réponses aux extrêmes. Une manière peu subtile de se désolidariser de Marine Le Pen et d’ignorer les appels à une justice plus juste et une meilleure démocratie.
Le Pen : Son anticonformisme revendiqué la pousse à la chute judiciaire?
La condamnation de Marine Le Pen dans l’affaire des assistants parlementaires européens — un dossier ouvert depuis près de dix ans — sonne comme un coup de tonnerre dans le paysage politique français.
D’autant plus qu’elle survient après des années d’efforts pour dédiaboliser son parti, le transformer en force de gouvernement, et s’ancrer dans les classes moyennes rurales et périurbaines et bien sûr, la mort de son père. Le verdict n’a pas seulement frappé une candidate : il a brisé, au moins temporairement, une stratégie de conquête patiemment bâtie depuis la scission avec Jean-Marie Le Pen.
Pour ses partisans, loin d’être un épilogue, ce jugement tire la sonnette d’alarme et ils se mobilisent en conséquence pour une manifestation. Jordan Bardella, président du RN et étoile montante du mouvement, a transformé la manifestation dominicale en une opération de communication politique, qualifiée non sans ironie de “rassemblement pour la démocratie“. L’idée ? Dénoncer un système judiciaire “instrumentalisé“, revêtir Marine Le Pen du manteau de la victime, et galvaniser une base militante plus convaincue que jamais que “le système a peur“.
Une manifestation qui fait peur aux élites politiques
La mobilisation du RN n’a pas seulement provoqué des sueurs froides chez les adversaires de l’extrême droite. Elle a aussi mis à nu les lignes de fracture au sein des autres camps. Si La France insoumise (LFI) et les Écologistes ont appelé à un contre-rassemblement explicite, les socialistes et les communistes ont choisi la distance, refusant de se joindre à une démonstration qui pourrait, selon eux, “donner l’impression d’un duel gauche-droite là où il s’agit d’un enjeu judiciaire“. Une prudence qui montre la difficulté de l’opposition à parler d’une seule voix face à un RN désormais installé comme première force politique à l’Assemblée nationale.
Côté exécutif, le gouvernement Attal tente d’endiguer l’escalade. François Bayrou, Premier ministre, a fustigé les propos de Donald Trump, qui avait qualifié la condamnation de Le Pen de “chasse aux sorcières“. “Ce type d’ingérence n’est ni saine ni souhaitable“, déclare-t-il dans un entretien au Journal du Dimanche. “La séparation des pouvoirs est le pilier de notre démocratie.”
Le spectre de Trump, Navalny et l’instrumentalisation politique
Marine Le Pen, quant à elle, a sorti les armes du langage populiste. En comparant sa situation à celle d’Alexeï Navalny — opposant russe mort en prison —, elle tente une association spectaculaire entre son sort et celui des figures persécutées dans des régimes autoritaires. Une analogie largement dénoncée comme indécente, mais qui trouve un écho dans les sphères les plus radicales de sa base électorale. Cette rhétorique de la “persécution politique“, alimentée par des figures comme Trump, cherche à déplacer le débat du terrain judiciaire vers celui de la légitimité démocratique.
La stratégie est claire : faire du procès un procès du système. Quitte à désacraliser la justice et à fragiliser l’ensemble des institutions républicaines. “Le peuple doit se réapproprier son destin“, a lancé Bardella dans un discours enflammé aux Invalides, et appelle à une “insurrection des consciences” et à continuer de manifester.