Il y a trois mois, la police a abattu Nahel M., un adolescent français de 17 ans d’origine nord-africaine. La tragique disparition de Nahel s’ajoute à au moins 15 arrêts de police mortels en France en 2022.
L’augmentation des arrêts de police mortels
Cette 54e session du Conseil des droits de l’homme des Nations unies offre une occasion propice pour examiner les préoccupations concernant le racisme systémique au sein des forces de l’ordre françaises, soulevées par de nombreux organes des droits de l’homme de l’ONU.
Qu’est-ce qui a provoqué la récente augmentation des arrêts de police mortels en France ? Tout d’abord, la loi sur la sécurité publique adoptée en 2017 a dangereusement élargi la possibilité pour la police d’utiliser ses armes, allant bien au-delà de la norme de nécessité et de proportionnalité qui régissait auparavant l’usage de la force par la police dans le pays.
Cependant, il faut comprendre la disparition de Nahel dans le contexte d’un schéma de longue date de ciblage disproportionné des individus par la police française en fonction de leur race et de leur ethnicité. Le profilage ethnique par la police française a été largement documenté et condamné non seulement par des groupes de la société civile nationaux et internationaux, mais aussi par des organismes internationaux et nationaux des droits de l’homme.
En 2021, Human Rights Watch et cinq groupes de défense des droits de l’homme français et internationaux ont intenté une action collective contre l’État français pour exiger des réformes mettant fin au profilage ethnique systémique par la police. Pourtant, le gouvernement français continue de nier l’existence du racisme systémique au sein de ses forces de l’ordre.
Dans son dernier Plan d’action contre le racisme, le gouvernement français n’a pas du tout abordé la pratique du profilage racial et ethnique par la police, manquant ainsi une occasion clé de lutter contre les pratiques discriminatoires de la police, notamment en exigeant que les agents de police documentent les données démographiques lors des contrôles de police.
Des experts internationaux et l’Union européenne ont affirmé que l’obligation de collecter de telles données et de rassembler des données désagrégées sur la race et l’ethnicité permettrait aux autorités et aux défenseurs des droits de mieux quantifier et lutter contre ces manifestations du racisme structurel. Cependant, les autorités françaises continuent d’interdire une telle collecte de données, entravant la transparence et sapant les solutions.
La disparition de Nahel aurait dû être un moment de rupture pour la France, montrant que les choses ne peuvent pas continuer comme avant et que la France fait partie d’une discussion mondiale sur la manière dont la police reproduit et aggrave les tendances plus larges de la discrimination sociale.
La réaction des communautés marginalisées et les mécanismes internationaux de droits de l’homme
Au lieu de cela, peu de temps après la disparition de Nahel, une grande partie du discours s’est égarée pour se concentrer de manière négative sur la façon dont certaines communautés réagissaient. Nahel a grandi en tant qu’enfant unique dans la banlieue parisienne de Nanterre. Dans cette banlieue et d’autres banlieues urbaines, les jeunes font face à une surpolice basée sur la race et l’ethnicité, ainsi qu’à des inégalités économiques et sociales structurelles.
Après la disparition de Nahel, aucun jour ne s’est écoulé sans que les responsables et les médias n’utilisent un langage stigmatisant et chargé de racisme pour décrire les expressions de colère, les dégâts matériels et les protestations que certains membres de ces communautés ont entrepris en réaction à la disparition de Nahel. Ce discours semblait ignorer la diversité géographique et raciale des manifestations.
Deux des principales syndicats affiliés à la police, l’Alliance Police Nationale et UNSA Police, ont rapidement déclaré être en “guerre” contre les “hordes sauvages” et les “nuisibles”. La police a utilisé cette peur racialisée pour justifier la répression des manifestations par la violence et le harcèlement.
Les responsables ont largement réduit les manifestants, qui exprimaient leur colère et appelaient au changement, à de simples “émeutiers” violents. Ils sont descendus dans la rue non seulement pour Nahel, mais pour tous ceux qui ont subi un ciblage disproportionné, de la violence et un traumatisme aux mains de la police française.
Cette distorsion du récit détourne l’attention de l’échec des responsables français à entreprendre les mesures nécessaires pour mettre fin à une police abusive et pour rendre les communautés plus sûres grâce à des solutions économiques et des investissements structurels qui leur permettent de s’épanouir.
Les responsables ont accordé beaucoup plus d’attention aux dommages matériels et aux autres réactions des membres de la communauté en colère, justifiées, qu’à la question centrale de la manière dont le racisme et la discrimination impactent la société française. La France a été la deuxième plus grande puissance colonisatrice du monde et a créé des colonies basées sur un système de hiérarchie raciale.
D’innombrables personnes multigénérationnelles, dont les ancêtres proviennent de ces anciennes colonies, vivent maintenant en France et continuent de subir le racisme, la marginalisation économique et les héritages continus du colonialisme. Nier l’existence du racisme et de la race en France prive les communautés concernées de leur capacité à soulever et à rechercher une résolution de l’État aux problèmes structurels qui affectent leur vie quotidienne.
Au cours de l’année à venir, plusieurs mécanismes et organes internationaux des droits de l’homme pourront aborder cette question de front. Le Mécanisme d’experts indépendants pour faire progresser la justice raciale et l’égalité dans les forces de l’ordre (EMLER), créé en 2021 par le Conseil des droits de l’homme de l’ONU à la suite du meurtre de George Floyd par la police aux États-Unis, présentera un rapport lors de la prochaine session du Conseil des droits de l’homme, suivi d’un dialogue offrant une opportunité d’examiner l’échec de la France à mettre fin aux pratiques discriminatoires de la police.
La France devra également répondre publiquement aux recommandations qu’elle a reçues dans le cadre de ce que l’on appelle “l’Examen périodique universel”, un mécanisme d’examen par les pairs entre les États membres de l’ONU pour surveiller le respect de leurs obligations en vertu du droit international des droits de l’homme. Lors de son examen en mai, la France a reçu plusieurs recommandations d’autres pays pour lutter contre le racisme systémique au sein de sa police, et lors des prochaines sessions, les États devraient s’appuyer sur ces recommandations et rappeler à la France que le respect des obligations en matière de droits de l’homme n’est pas facultatif.
La France devrait écouter les organismes internationaux des droits de l’homme en reconnaissant la réalité du racisme structurel, en la confrontant et en agissant résolument contre lui, peu importe à quel point les conversations peuvent être inconfortables.