À la suite du non-lieu à poursuivre prononcé par les juges d’instruction en faveur des gendarmes accusés d’être responsables de la mort du jeune homme de 24 ans, le collectif « La Vérité pour Adama » a appelé à une nouvelle mobilisation à Paris. Un rassemblement sur une place quasi vide qui donnait en tout point l’impression d’un chant du cygne.
« Y a son-per [personne] même les policiers ne sont pas là » commente, déçu, un jeune étudiant accompagné d’une amie, place de la République à Paris, ce 5 septembre en fin de journée. Ils étaient une poignée, à peine 200 personnes dont de nombreux journalistes, à s’être rassemblés à la demande d’Assa Traoré, la désormais célèbre sœur d’Adama. Objectif : dénoncer la décision des juges d’instruction qui ont considéré qu’il n’y avait pas lieu de renvoyer devant un tribunal les trois gendarmes ayant interpellé, le 19 juillet 2016, Adama Traoré. Le jeune homme de 24 ans était mort, à Beaumont-sur-Oise (Val-d’Oise), après un plaquage ventral employé pour le maîtriser.
L’appel d’Assa Traoré, lancé sur franceinfo le 2 septembre dans la foulée de la décision, n’aura donc trouvé que peu d’écho. Parmi les irréductibles s’étaient déplacés sous la canicule, l’organisation d’extrême gauche Révolution Permanente, quelques membres d’Europe Écologie Les Verts (EELV) et du Nouveau parti anticapitaliste (NPA), plus quelques syndicalistes. Mais, aucune figure de La France insoumise (LFI), aucune personnalité politique jugée digne d’être mise en avant pour une prise de parole. Bien renseignée sans doute, la préfecture n’avait pas estimé nécessaire d’envoyer des effectifs de maintien de l’ordre et de fermer la station de métro comme c’est le cas habituellement quand sont attendus un grand nombre de manifestants. Une absence policière qui avait le goût d’un camouflet.
« REVENIR ET REPRENDRE LA RUE »
Difficile pour le collectif de cacher l’essoufflement d’une mobilisation maintenue depuis des années grâce à une efficacité indéniable en matière de communication. Devant les quelques partisans rassemblés, ses responsables se rendent compte qu’ils ont oublié leur mégaphone. C’est Révolution permanente – dont est membre Adèle Haenel, engagée auprès du collectif mais absente ce mardi– qui, pour les dépanner, vole à leur secours en prêtant le précieux porte-voix. « Merci d’être si nombreux lâche l’un des porte-parole de La Vérité pour Adama, Youcef Brakni, ancienne figure du Parti des indigènes de la République. On peut nous accorder le fait d’avoir tenu si longtemps sept ans, et d’avoir mis sur le devant de la scène la violence policière. » L’hyperbolisation verbale pour tenter de minimiser la faible affluence, Assa Traoré y a recours aussi. « On est dans un tournant important de l’histoire de France martèle la charismatique sœur d’Adama. Les caméras du monde entier sont rivées aujourd’hui sur la France. »
Elle présente le programme des actions à venir : « Nous allons revenir et reprendre la rue. Nous attendons l’audience et la reconstitution. Et suite à ça nous répondrons en conséquence. » Dans la foule, on applaudit pour se donner de la force. Mais l’euphorie n’est plus là. Sept ans après sa création, force est de constater que le collectif n’a construit aucun débouché politique. La cause défendue n’a pu déboucher sur aucune action de sensibilisation ou de formation comme ont réussi à l’imposer des associations féministes à propos des violences faites aux femmes. C’est pourtant l’espoir de certains participants : « Il faudrait proposer une refonte du recrutement de la police, travailler sur la formation aussi, et agir sur les plaintes non enregistrées », énumèrent Chloé et Eva, 23 ans, étudiantes en communication politique et en ergothérapie. Avec l’entrain de leur jeune âge, les deux femmes se sont promis de participer à la marche unitaire du 23 septembre prochain « pour la fin du racisme systémique, des violences policières pour la justice sociale et les libertés publiques ».
ETHNICISATION DU COMBAT
Le débouché politique tant espéré par les militants n’a jamais été obtenu par le collectif. Il faut dire que l’ethnicisation de fait du combat porté par le clan Traoré les dessert, freine l’ouverture à un discours unitaire et rétrécit la lutte. Qu’importe, ce jour-là, Assa persiste et signe : « Parce qu’Adama Traoré est noir, a des gènes noirs (…) Notre couleur de peau est un crime et justifie la force des policiers sur nos corps. »
Alors comme pour tenter de rentrer dans les manuels scolaires, de se frayer une place dans l’histoire du militantisme, le collectif La Vérité pour Adama essaye d’imposer son récit. Quitte à prendre quelques libertés avec les faits. « Avant la mort de mon frère on n’avait pas le droit de dire que la police tue » se risque la fondatrice du mouvement. Une manière d’oublier, entre autres, la mort de Malik Oussekine battu à mort par des voltigeurs de la police et les nombreuses manifestations qui ont suivi en 1986, ou encore celle de Rémi Fraisse, tué par une grenade lancée par un policier lors d’une manifestation contre le barrage de Sivens en 2014. Assa Traore promet : « Ils ont osé prononcer un non-lieu (…) On ira jusqu’au bout du combat pour la justice et la vérité ! »Sa vérité envers et contre tous, même contre les juges.
À l’origine écrit par Rachel Binhas et publié dans Marianne.