Tandis que les satellites photographient la surface de Mars en haute définition et que des télescopes nous révèlent les confins de l’univers, une vaste étendue terrestre reste largement invisible : les fonds marins de notre propre planète. En 2024, moins de la moitié de la Terre a été réellement cartographiée — et cela ne se voit pas au premier coup d’œil.
C’est ce paradoxe fascinant que la scientifique Dr. Vicki Ferrini, spécialiste de la cartographie des océans à l’université de Columbia (Lamont-Doherty Earth Observatory), est venue nous rappeler lors d’une conférence dédiée à l’initiative internationale Seabed 2030. Avec une énergie communicative et des faits vertigineux, elle dresse un tableau à la fois alarmant et plein d’espoir de ce qui pourrait bien devenir l’une des grandes aventures scientifiques du XXIe siècle.
Pourquoi cartographier les fonds marins ? Une affaire de survie… et de science.
« La cartographie du plancher océanique est essentielle à presque tout ce que nous faisons dans l’espace océanique », affirme d’entrée Dr. Vicki Ferrini.
Car si les cartes marines assurent la sécurité de la navigation et sauvent des vies, les données bathymétriques précises (les relevés de profondeur) sont le socle de multiples domaines :
- recherche sur les séismes et les volcans sous-marins,
- gestion des ressources halieutiques et énergétiques,
- planification des infrastructures (câbles internet, éoliennes offshore),
- protection de la biodiversité marine,
- et bien sûr, politiques environnementales et climatiques.
Pourtant, malgré cette importance stratégique, seulement 26 % des fonds marins sont cartographiés avec des mesures directes. Le reste ? Des estimations floues issues de modèles prédictifs.
« Les gens sont souvent choqués d’apprendre à quel point l’océan est peu cartographié. »
Seabed 2030 : un rêve collaboratif pour 2030
C’est face à ce constat que la Fondation Nippon et la commission scientifique GEBCO (General Bathymetric Chart of the Oceans) ont lancé l’ambitieux projet Seabed 2030. Ils souhaitent cartographier 100 % des fonds océaniques d’ici 2030.
C’est un vrai défi de taille quand on sait que le projet ne date que de 2017, et qu’il n’en était alors qu’à… 6 % de cartographie réelle. Grâce à l’engagement de chercheurs, d’États, d’entreprises privées et d’ONG, ce chiffre a plus que quadruplé. Mais le chemin reste immense.
« Moins de la moitié de notre planète a été cartographiée. C’est remarquable de penser à tout ce qui reste encore caché. »
Le projet Seabed 2030 n’est pas qu’une entreprise technique : Partout dans le monde, des ateliers de formation permettent à des scientifiques du Sud global de contribuer activement à la cartographie et à en tirer profit localement.
« Pour moi, ce qui est encore plus important que la diffusion des données, c’est de comprendre ce dont les gens ont besoin, et comment nous pouvons les aider à utiliser ces données. »
C’est aussi un geste politique fort, dans un monde où les océans ne connaissent pas les frontières, mais où les ressources marines sont très disputées.
Un puzzle planétaire en plusieurs morceaux
Seabed 2030 s’organise en quatre grands centres régionaux (Atlantique/Indien, Pacifique, Océan Austral, Océan Arctique), chacun chargé de collecter les données disponibles, de mobiliser les acteurs locaux et d’identifier les zones encore vierges. Le centre Atlantique et Indien est justement coordonné par l’équipe de Dr. Ferrini à New York.
« Ce que nous faisons, c’est assembler une toile mondiale à partir de contributions régionales — en tenant compte des besoins, des limites techniques, et de la souveraineté des États. »
Autrement dit : cartographier, oui, mais en partageant les données — sans les imposer. Cela suppose une culture du dialogue, de la confiance, et une certaine humilité scientifique.