L’exposition PIXELS, qui se déroule jusqu’au 27 avril 2025, est la première grande exposition parisienne de l’artiste Miguel Chevalier. Sur les 1200 m² du Grand Palais Immersif, elle offre une plongée fascinante dans l’univers artistique de Miguel Chevalier, figure incontournable de l’art numérique depuis les années 80.
Un artiste qui fait jouer les pixels
À peine rentré dans l’exposition, je me suis spontanément mis à jouer avec les caméras et cela m’a prêté à sourire. J’ai regardé les parents accompagnés de leurs enfants et j’ai vu le même enthousiasme.
À l’heure où on se questionne sur l’intelligence artificielle et le numérique, voilà un artiste qui ne nous a pas attendu pour l’intégrer à son art et, par la même occasion, à nous questionner. Comme au centre d’un terrain de jeu, il met en lumière l’invisible, ce qui nous entoure et auquel on ne peut prêter attention, cependant qui structure notre société.
Jeu de lumière qui tantôt nous hypnotise ou nous attire, nous pouvons voir entre certaines lignes, le mouvement va et vient de contrastes et de pixels. Il est rare de pouvoir se ressentir au centre d’une œuvre.
Miguel Chevalier nous dévoile tel le Janus, dieu romain du passage et des portes, qu’il a représenté un pont. Symboliquement, c’est ce que je perçois chez lui, un artiste qui ose nous emporter d’un état à un autre, d’une réflexion à un silence, à ce que pourrait être demain en regardant hier, en regardant peut-être aussi dès à présent ce que nous réserve l’avenir… Laissons-lui la parole.
Pouvez-vous nous expliquer le concept de l’exposition “Pixels, une expérience interactive avec l’univers créatif de l’IA” et comment est venue l’idée de ce projet ?
Le public connaît souvent davantage mon travail artistique autour de la Nature et de l’Artifice — ces jardins virtuels, génératifs et interactifs qui évoluent à l’infini et réagissent aux mouvements des visiteurs et posent un regard poétique sur cette nature réinventée. Mais, pour cette exposition au Grand Palais Immersif, j’ai souhaité dévoiler une autre facette de mon travail très peu montrée en France : celle consacrée aux flux et aux réseaux invisibles qui structurent notre monde contemporain — flux d’informations, flux énergétiques, flux cosmiques…
Ce thème m’habite depuis plus de 25 ans. J’ai commencé à l’aborder dans des œuvres comme Habiter les réseaux (Palais des Congrès, Paris, 2000) ou La Croisée des réseaux (Nuit Blanche, Bourse du Commerce, 2003). Aujourd’hui, dans cette ère d’hyperconnexion et d’intelligence artificielle, ces intuitions prennent une nouvelle résonance.
C’est un honneur d’avoir été invité à exposer seul au Grand Palais Immersif, et c’est aussi la première fois qu’un lieu à Paris me permet d’investir un espace aussi vaste — 1 200 m². Ce site est complexe, brut avec ses murs de béton et ses parpaings, il m’a immédiatement évoqué une cartographie à habiter, à révéler.
Avec la scénographe Sylvie Jodar, nous avons conçu un parcours où chaque œuvre dialogue finement avec l’espace. Cette exposition « Pixels, une expérience interactive avec l’univers créatif de l’IA » est pensée comme une traversée, un voyage à travers les multiples dimensions du numérique.
Elle conjugue quelques-unes de mes œuvres emblématiques comme Fenêtre mémoire hexadécimale infinie avec mes recherches les plus récentes, notamment autour de l’intelligence artificielle. On y retrouve des œuvres génératives, interactives, immersives, et deux projections monumentales, mais aussi une création inédite réalisée uniquement à l’aide d’IA, qui interroge le rôle de l’artiste face à ces nouveaux outils de création.
J’ai aussi souhaité que le virtuel rencontre le tangible, que ces flux invisibles prennent forme dans l’espace. Ainsi, des sculptures filaires en impression 3D, des tableaux en digigraphie, des objets créés par découpe laser viennent prolonger cette réflexion. Elles sont comme des cristallisations matérielles de l’immatériel.
Cette exposition, en somme, explore une esthétique des flux, des réseaux, du code, et tente de rendre visible l’invisible, tout en créant un environnement sensible, contemplatif et poétique. Une manière de poser un regard artistique sur les technologies qui nous traversent et nous façonnent, tout en invitant le public à devenir lui-même acteur de cette expérience immersive avec l’installation monumentale de Maillages cosmiques.
Dans “Pixels”, comment est abordée la question de la relation entre l’art et la technologie ? Pensez-vous que la technologie change la façon dont nous percevons l’art traditionnel ?
À chaque époque, les artistes s’emparent des outils de leur temps. Man Ray, par exemple, a exploré la photographie au début du XXe siècle, alors que ce médium était encore perçu comme purement technique. Il en a fait un véritable langage artistique. De la même manière, dans les années 1980, j’ai pressenti que le numérique allait bouleverser notre rapport au monde. J’ai voulu l’utiliser, non pour célébrer la technologie en elle-même, mais pour inventer une nouvelle forme d’écriture visuelle, sensible et poétique.
Le numérique n’est pas un simple outil, c’est un langage plastique à part entière, capable de traduire la complexité du monde contemporain. Il permet d’explorer des notions comme le flux, la transformation, la génération en temps réel, l’interaction… autant de concepts qui résonnent avec notre époque.
Dans l’exposition Pixels, je montre comment le numérique peut aussi dialoguer avec les savoir-faire traditionnels. On y découvre, par exemple, une tapisserie réalisée grâce à une machine à tufter, ou encore des broderies créées à partir de fichiers numériques. Ces œuvres sont le fruit d’une hybridation entre artisanat et technologie, entre geste ancien et algorithmes contemporains. Ce sont des ponts entre passé et présent.
Mais ce qui change fondamentalement avec l’art numérique, c’est la place du spectateur. Il ne s’agit plus d’une contemplation passive : l’œuvre réagit à sa présence, à ses mouvements. Le visiteur devient un acteur, un co-créateur. Cette interaction ouvre un autre rapport au sensible, plus immédiat, plus engageant. L’art devient expérience, et non plus seulement objet.
Y a-t-il une œuvre dans l’exposition que vous considérez comme centrale ou particulièrement représentative ? Pouvez-vous nous en parler plus en détail ?
Parmi toutes les œuvres présentées dans l’exposition, Maillages Cosmiques est sans doute la pièce la plus emblématique et spectaculaire. Elle clôt le parcours, et incarne pleinement mon désir de créer des environnements immersifs où l’art, la science et la technologie et le public se rencontrent.
Il s’agit d’une installation monumentale, interactive, projetée sur un immense écran de 26 mètres de long par 11 mètres de haut vertical, qui se prolonge au sol, enveloppant littéralement le spectateur. Ce qui rend cette œuvre si particulière, c’est son rapport direct au visiteur : les formes réagissent en temps réel à ses déplacements, et à la verticale simultanément en créant un dialogue entre le corps et l’image.
Trente-cinq maillages aux formes et aux couleurs variables se succèdent au fil du temps. Certains évoquent des cartes du ciel, d’autres des interfaces numériques qui nous relient, nous interconnectent. Cette diversité formelle traduit ma fascination pour les systèmes complexes des trames et des flux invisibles qui organisent le vivant, la matière, l’univers.
La musique de Thomas Roussel, composée spécifiquement pour l’œuvre, renforce cette sensation d’immersion. Elle accompagne le visiteur, amplifie les émotions et insuffle une vibration presque cosmique à l’expérience.
Avec Maillages Cosmiques, je cherche à provoquer un vertige poétique, une perte de repères, pour mieux faire ressentir la beauté énigmatique des mondes numériques que nous habitons de plus en plus.
Quelle réaction espérez-vous susciter chez les visiteurs de “Pixels” ?
Avec Pixels, mon intention est d’inviter les visiteurs, grâce à l’aide des outils technologiques, à plonger dans un univers artistique à la fois sensoriel et poétique. J’ai conçu cette exposition comme un voyage immersif qui commence dès les premiers pas avec les créations L’œil de la machine et qui monte progressivement en intensité, émotion et questionnement avec l’installation Cyberespace Data Landscape présentée dans cet espace improbable triangulaire avec un escalier qui monte nulle part.
Je cherche à éveiller la curiosité, à provoquer l’émerveillement, mais aussi à susciter une réflexion sur le monde dans lequel nous vivons. Les thématiques abordées — l’identité numérique, l’intelligence artificielle, les flux d’information, notre relation aux images et aux réseaux — sont autant de miroirs tendus sur nos vies connectées.
Ce que je souhaite avant tout, c’est offrir des expériences artistiques qui sortent des cadres traditionnels. Des œuvres qui engagent le corps autant que l’esprit, où le spectateur n’est plus passif mais devient acteur.