L’écrivain franco-algérien Kamel Daoud, récompensé par le prix Goncourt pour son roman Houris, se retrouve aujourd’hui dans la ligne de mire des autorités de son pays natal.
Son avocate, Me Jacqueline Laffont, a confirmé ce mercredi que deux mandats d’arrêt internationaux avaient été délivrés à son encontre par la justice algérienne.
Aucune précision n’a été donnée sur la nature exacte des accusations, mais selon la défense de l’écrivain, ces mandats relèveraient d’une volonté délibérée d’intimidation politique.
Un roman salué en France, censuré en Algérie
Paru en 2024, Houris s’attaque de front à l’un des épisodes les plus douloureux de l’histoire contemporaine de l’Algérie : la guerre civile des années 1990, parfois appelée “décennie noire”.
Dans ce roman, Kamel Daoud décrit les ravages causés par les violences entre les forces gouvernementales et divers groupes islamistes armés. La brutalité des événements, les traumatismes subis, l’atmosphère d’oppression, mais aussi la complexité des loyautés et des renoncements, sont abordés sans détour.
En France, le livre a été largement applaudi pour son audace et sa qualité d’écriture. Il a été couronné du prix Goncourt, la plus haute distinction littéraire francophone. En Algérie, au contraire, Houris a été interdit à la vente.
Le régime considère que le récit heurte ce qu’il appelle « la réconciliation nationale » : une ligne politique qui impose le silence sur les responsabilités de chacun pendant cette période sanglante, au nom de la paix civile retrouvée. Toute remise en question de cette posture officielle est perçue comme une attaque contre l’État lui-même.
Des procédures qui s’accumulent pour Kamel Daoud
Le roman de Kamel Daoud n’a pas seulement provoqué des réactions politiques. Plusieurs plaintes ont été déposées contre lui en Algérie. L’une d’entre elles l’accuse de contrevenir à la loi sur la réconciliation nationale, qui interdit toute prise de parole publique susceptible de nuire à « l’image des institutions » ou à celle du pays. D’autres voix, notamment au sein de la presse algérienne étroitement liée au pouvoir, l’ont publiquement qualifié de traître, d’agent de l’étranger, ou encore de provocateur désireux de salir l’Algérie pour plaire à l’Occident.
Pour Me Jacqueline Laffont ces mandats d’arrêt ne sont qu’un moyen supplémentaire de museler un auteur qui dérange. L’avocate entend saisir la Commission de contrôle des fichiers d’Interpol afin de bloquer toute tentative d’inscription de ces mandats dans les bases de données internationales. Elle estime qu’ils sont manifestement abusifs et qu’ils ne reposent sur aucune infraction réelle, mais uniquement sur des considérations politiques.
Kamel Daoud fait aussi face à une autre procédure, cette fois sur le territoire français. Une femme algérienne, Saâda Arbane, l’accuse d’avoir utilisé sa vie comme matière première pour l’écriture de Houris, sans son consentement. Elle lui reproche d’avoir travesti son histoire et violé son droit à la vie privée. Une première audience de procédure a eu lieu ce mercredi devant un tribunal français. Aucune décision n’a encore été rendue, et l’affaire devra être instruite plus en détail avant qu’un jugement soit prononcé.
Cette plainte ressemble à de l’acharnement contre l’écrivain. Cela nous rappelle que la frontière entre fiction et réalité peut être fine et pose des questions quant à ce qu’un auteur peut ou non emprunter aux récits d’autrui, et sur la manière dont les histoires intimes peuvent devenir matière littéraire.
C’est une campagne coordonnée contre Kamel Daoud
La maison d’édition Gallimard, qui publie Kamel Daoud, s’est exprimée à plusieurs reprises pour dénoncer ce qu’elle qualifie de « campagnes diffamatoires » à l’encontre de son auteur. Elle mentionne une offensive médiatique méthodique qui est menée par des organes de presse proches du pouvoir algérien et qui cherche à discréditer son œuvre et à porter atteinte à sa réputation.
Kamel Daoud n’en est pas à sa première confrontation avec les autorités de son pays. Ancien journaliste, il avait déjà suscité des polémiques pour ses prises de position critiques sur la religion, la société patriarcale, et le silence qui entoure certaines violences sexuelles. Il avait notamment reçu des menaces de mort après une chronique dans laquelle il critiquait les tabous liés à la sexualité dans le monde arabo-musulman.
L’homme n’écrit pas pour séduire ni pour rassurer. Il écrit parce qu’il estime qu’il est nécessaire de nommer ce que d’autres veulent taire. Il écrit contre l’effacement, contre le refoulement. Il écrit parce qu’il croit au pouvoir des mots comme instruments de vérité. Et c’est précisément ce refus du silence, cette volonté de mettre des mots sur les cicatrices mal refermées, qui semble aujourd’hui lui être reprochée.