À l’approche des prochaines élections législatives, prévues pour l’automne, la République tchèque se pose de nombreuses questions quant à la stabilité de leur gouvernement, qui semble fort influencé par tous les évènements extérieurs.
Le retour sur le devant de la scène d’Andrej Babiš, ancien Premier ministre et leader du parti ANO, génère des sourires inquiets, pincés au sein de la majorité actuelle. Pour Jan Lipavský, ministre des Affaires étrangères, cela dépasse le côté symbolique que représente un gouvernement : c’est la position de la République tchèque sur l’échiquier européen, sa politique étrangère, et sa solidité démocratique qui seraient menacées si Babiš revenait au pouvoir.
Pourquoi Andrej Babiš?
Dans un entretien donné depuis Bruxelles, Jan Lipavský n’a pas mâché ses mots : « Andrej Babiš ne cesse de reprendre les discours que l’on retrouve dans les médias contrôlés ou influencés par la Russie. »
L’ancien Premier ministre, déjà connu pour ses affinités avec le Premier ministre hongrois Viktor Orbán, va sûrement adopter une ligne politique beaucoup plus perméable aux intérêts du Kremlin que celle du gouvernement actuel.
Lipavský accuse Babiš d’affaiblir l’unité européenne, de se soumettre aux demandes de la Russie face à l’Ukraine et de s’associer à des groupes politiques européens qui relaient régulièrement des positions proches de Moscou.
L’exemple le plus frappant, selon Lipavský, est la participation de Babiš au groupe des « Patriotes pour l’Europe », une alliance eurosceptique qui rassemble des figures politiques comme Viktor Orbán en Hongrie et Robert Fico en Slovaquie. Ces derniers ont régulièrement défendu des positions douteuses sur la guerre en Ukraine et prôné une forme de neutralité “suisse”, qui consiste, dans les faits, à ne pas apporter de soutien à l’Ukraine.
Le soutien à l’Ukraine est au cœur de ce débat politique
Depuis le début de l’invasion russe à grande échelle en 2022, le gouvernement dirigé par Petr Fiala s’est engagé sans réserve aux côtés de l’Ukraine. Que ce soit par l’envoi d’armes, l’accueil massif de réfugiés ou la mobilisation diplomatique, Prague s’est alignée sur la ligne la plus ferme possible face à Moscou.
Andrej Babiš, quant à lui, a critiqué à plusieurs reprises cette mobilisation. Il s’est opposé à l’initiative européenne sur les munitions pour l’Ukraine pour laisser entendre que les ressources tchèques devaient d’abord être affectées aux besoins intérieurs.
Lors de sa campagne présidentielle, il a même refusé de répondre clairement à une question cruciale sur l’engagement du pays à défendre la Pologne si elle était attaquée, comme le prévoit l’article 5 du traité de l’OTAN. Cette hésitation, pour Lipavský, est révélatrice d’un manque de clarté, voire de fiabilité, sur les questions de sécurité collective.
Les sondages donnent Babiš en tête
On peut condamner ses idées, mais apparemment Andrej Babiš semble, pour l’instant, bénéficier d’un soutien populaire écrasant. D’après une étude menée par l’institut STEM, il recueillerait près de 31,5 % des intentions de vote, bien devant la coalition gouvernementale SPOLU, qui plafonne à 20 %.
Il semblerait qu’il n’y ait pas que les Etats-Unis ou l’Italie qui choisissent des leaders avec des postures fermes, qui mettent en avant les intérêts domestiques de la nation.
La rhétorique d’Andrej Babiš reprend de nombreux éléments du discours populiste : dénonciation des élites européennes, la promesse de recentrage sur les intérêts nationaux, des critiques de l’immigration, le rejet des dépenses militaires jugées excessives… À cela s’ajoute un soutien implicite à Donald Trump, dont il partage le ton provocateur et les ambitions de révision des équilibres internationaux.
Lors d’interventions publiques, Babiš a plusieurs fois affirmé qu’il espérait que Trump, s’il revenait à la Maison-Blanche, mettrait fin rapidement au conflit en Ukraine. Cette projection sur un hypothétique règlement diplomatique, sans détailler comment y parvenir, permet à Babiš de se positionner en figure de « bon sens » face à une guerre qui s’éternise. En réalité, elle pourrait s’avérer compatible avec une réduction drastique de l’aide militaire à Kiev — ce qui serait un revirement majeur dans la politique étrangère tchèque.
Jan Lipavský, qui se présente sous la bannière de la coalition SPOLU (composée du Parti civique démocrate, des chrétiens-démocrates et de TOP09), entend bien jouer un rôle actif dans cette bataille électorale. Il se dit convaincu que seul un leadership fort, cohérent avec les principes européens et fidèle aux alliances stratégiques de la République tchèque, pourra préserver le pays des “dérives autoritaires” observées ailleurs en Europe centrale.