Yakub, également orthographié Yacub ou Yaqub, est une figure légendaire centrale dans la mythologie religieuse de la Nation of Islam (NOI), un mouvement afro-américain fondé dans les années 1930 aux États-Unis.
Souvent perçu avec incrédulité ou raillerie à l’extérieur du mouvement, le récit de Yakub n’est pas simplement une fable : il est un outil symbolique qui montre les blessures, les aspirations et les contre-discours d’une communauté historiquement opprimée.
En tant que mythe de contestation, il cherche à inverser symboliquement les rôles imposés par des siècles d’oppression raciale.
Cela ne signifie pas qu’il faille le prendre au pied de la lettre ni cautionner ses implications essentialisantes ; mais plutôt le comprendre comme une tentative — certes controversée — de réappropriation identitaire, née d’un besoin de redéfinir la dignité noire.
La naissance de Yakub, un créateur hérétique
Les enseignements de la Nation of Islam disent que Yakub naît à La Mecque, il y a environ 6 600 ans, dans un monde exclusivement peuplé de Noirs.
Il serait issu de la mythique tribu de Shabazz, que la Nation présente comme l’origine des Noirs d’Afrique et d’Asie.
Il se distingue très tôt par une particularité physique : une tête démesurément grande. Ce trait est censé symboliser sa puissance intellectuelle et sa propension à la démesure. On lui attribue une intelligence précoce et froide, teintée d’un orgueil scientifique qui finira par le conduire à bouleverser l’ordre de la Création.
À six ans, il découvre la loi de l’attraction et de la répulsion en jouant avec des aimants, ce qui l’amène à théoriser une dynamique humaine où les contraires s’attirent.
Cette métaphore magnétique deviendra le socle de sa réflexion raciale : il conçoit que l’humanité originelle, noire, contient un germe “brun” récessif, susceptible d’être isolé et développé pour donner naissance à une nouvelle race.
À 18 ans, ayant épuisé les enseignements des écoles mecquoises, il élabore un projet de greffe humaine : par croisement sélectif, il veut engendrer une lignée nouvelle, dépouillée des attributs physiques, moraux et spirituels du peuple noir originel.
Ce projet l’éloigne de plus en plus du consensus de sa société. Exilé de La Mecque avec 59 999 adeptes, Yakub se réfugie sur une île baptisée Pelan, que les textes identifient aujourd’hui comme Patmos.
L’expérimentation de Yakub
Sur cette île, Yakub aurait instauré un régime autoritaire consacré à la manipulation biologique. Les nouveau-nés jugés “trop noirs” sont éliminés, leurs corps brûlés ou donnés en pâture aux bêtes. Ceux qui présentent des caractéristiques plus claires sont conservés pour la reproduction. Après plusieurs générations, un peuple à la peau blanche émerge, avec des intermédiaires “rouges”, “jaunes”, et “marrons” apparus pendant le processus.
La race blanche n’est donc pas vue comme une création divine, mais comme une déformation. Le mensonge et la cruauté, selon ce récit, ont été injectés dès l’origine dans cette race par les procédés mêmes qui l’ont fait naître.
Les émotions y sont atrophiées, la morale, absente. Cette genèse inversée de la race blanche sert à critiquer l’idée même de supériorité raciale, renversant le mythe biblique selon lequel les Noirs seraient des descendants de Cham, maudits et inférieurs.
Yakub meurt à l’âge de 150 ans, mais ses disciples poursuivent son œuvre durant six siècles, jusqu’à obtenir ce qu’ils considèrent comme une “réussite” : l’homme blanc moderne, né de la science, non de Dieu.
Le bannissement, la régression, la ruse
Une fois créée, la nouvelle race se rend à La Mecque, mais y aurait semé tant de chaos qu’elle aurait été bannie vers l’Europe, qualifiée dans les textes comme “Asie de l’Ouest”. Ce continent devient leur prison.
Là, les blancs auraient vécu nus, dans des grottes, dégradés au point de perdre toute connaissance, sauf la langue. C’est alors que Moïse (Musa), figure prophétique reprise du monothéisme abrahamique, est envoyé par Allah pour les civiliser : il leur aurait enseigné la cuisine, l’hygiène, le fait de porter des vêtements.
Mais son entreprise échoue. Confronté à la brutalité d’une partie de cette population, il fait exploser 300 individus avec de la dynamite.
Plus tard, selon les textes de la Nation of Islam, Jésus est lui aussi aurait été envoyé pour tenter une réforme spirituelle, mais la race blanche aurait appris à user de la “tricknology” – une technologie fondée sur la manipulation, le mensonge et l’exploitation. C’est par ce moyen qu’ils auraient colonisé les terres, mis les peuples noirs en esclavage et dominé le monde pendant 6 000 ans. Cette période de domination devait prendre fin en 1914, d’après les calculs de la NOI, date du début de la rédemption noire.
La légende de Yakub est raciste et absurde mais les internautes s’en amusent
La première chose qu’un lecteur peut se dire en lisant cette histoire est tout d’abord que cette histoire est assez bête mais elle est aussi extrêmement raciste. Dans cette vision, les Blancs sont le produit d’une expérience génétique ratée menée par un savant noir mégalomane, créant une race supposément “maléfique”.
Ce renversement des théories pseudo-scientifiques raciales qui ont servi à justifier la colonisation et l’esclavage ne peut pas être justifié moralement. L’inversion de la hiérarchie n’efface pas sa nature profondément discriminatoire.
Présenté dans l’Amérique ségrégationniste du XXe siècle comme un contre-mythe, Yakub inverse les rôles : là où certains récits racistes réduisaient les Noirs à l’animalité ou à une malédiction biblique, ce récit attribue aux Blancs une origine perverse, artificielle, et destructrice – ce qui est fondamentalement raciste.
Cette essentialisation raciale est inacceptable quels que soient les objectifs politiques ou symboliques poursuivis. L’oppresseur n’est pas une essence biologique, pas plus que l’opprimé ne l’est — et toute tentative de le faire croire alimente à son tour des logiques d’exclusion.
Depuis les années 1930, le mythe de Yakub a été repris et transformé à de nombreuses reprises. Certains l’ont interprété de façon littérale, d’autres comme une parabole ou une satire. Malcolm X, à ses débuts dans la Nation of Islam, faisait référence à Yakub, mais il s’en est progressivement détaché après sa rupture avec le mouvement et sa conversion à l’islam sunnite.
Louis Farrakhan continue d’affirmer la véracité de cette histoire, en prétendant même qu’elle repose sur des bases scientifiques — une affirmation bien sûr rejetée par l’ensemble de la communauté scientifique.
Le mythe a aussi inspiré d’autres mouvements afrocentristes, comme les Nuwaubians ou les Five-Percenters, qui y voient tantôt une critique symbolique de la suprématie blanche, tantôt une satire théologique.
Sur Internet, Yakub est devenu un mème, parfois repris avec ironie, y compris par des internautes blancs, comme forme de dérision ou d’absurde.