Qui aurait cru qu’un petit groupe de joueurs de cartes portugais pouvait en dire si long sur l’état d’une communauté ?
Derrière les discussions autour d’un café serré, ce ne sont pas que des souvenirs d’enfance ou des recettes de bacalhau qui s’échangent… mais souvent des blessures cachées, des enfants en détresse, des addictions tues et des silences pesants.
C’est justement ce silence que la Fondation Bon Samaritano aux États-Unis, dirigée avec passion par Alcides Machado, veut briser. Et il parle d’expérience : sobre depuis plus de sept ans, il consacre aujourd’hui sa vie à ceux que personne ne veut voir.
La honte d’avoir une addiction
Alcides Machado n’enrobe pas son discours. Pour lui, la toxicomanie n’est pas un sujet glamour, et c’est bien pour cela que peu veulent en parler – surtout dans les communautés immigrées où la honte familiale et le regard des autres peuvent peser très lourd.
« Les gens ne veulent pas en parler, par honte. Ce n’est pas un sujet qu’on aime aborder. Pourtant, ça existe. Ce n’est pas oublié, mais c’est caché sous le tapis. Moi, je suis sobre depuis plus de sept ans. C’est pour ça que j’ai littéralement dédié ma vie à aider ceux qui en ont besoin. »
Sa fondation ne se limite pas aux personnes dépendantes : elle soutient aussi les familles, les enfants, les personnes âgées… toutes celles et ceux qui souffrent autour de l’addiction. C’est là une approche précieuse, souvent négligée par les structures classiques.
« En réalité, ce ne sont pas seulement les personnes dépendantes que nous aidons. Nous aidons les familles qui souffrent. Les personnes âgées qui sont abusées. Les enfants qui vivent dans des foyers marqués par l’addiction. »
Autre souci : faire comprendre l’importance d’une aide culturellement adaptée. Beaucoup de personnes d’origine portugaise n’osent pas franchir les portes des structures classiques, de peur d’être jugées ou reconnues.
La Fondation propose des groupes de parole en portugais, du soutien personnalisé, des visites à domicile, et même des appels téléphoniques aux personnes âgées isolées.
« Il y a quelque chose de très important dans le fait d’être écouté dans sa langue, par quelqu’un qui comprend votre culture. Les gens s’ouvrent plus facilement, ils se sentent en sécurité. Je suis tenu par la confidentialité, mais je sais aussi ce que ça veut dire, dans notre culture, de garder le silence. »
« Pas dans notre communauté » : l’orgueil culturel face aux sans-abri portugais
Au fil de la conversation, une réalité glaçante émerge : celle du refus collectif de voir la misère dans sa propre communauté. Dans les rues de San Jose, Turlock, Manteca ou Los Banos, ce sont des dizaines de personnes d’origine portugaise qui errent sans toit.
Cela semble presque inimaginable pour certains membres de la communauté. L’invisibilisation, nourrie par un sentiment de fierté culturelle exacerbé, devient un obstacle à la compassion.
« Quand je parle de sans-abri portugais, on me répond : “Tu es sérieux ? On a des sans-abri portugais ?” Et je leur dis : “Dans quelle bulle vivez-vous ?” », raconte Machado avec lassitude.
Le déni collectif s’exprime dans un mécanisme bien connu : ce que l’on ne veut pas voir n’existe pas. Cette négation de la souffrance, de l’addiction et de la pauvreté au sein même du groupe ethnique montre une peur identitaire — celle de tacher une image de réussite communautaire idéalisée.
Ainsi, le slogan « Proud to be Portuguese » devient paradoxalement un voile sur la misère plutôt qu’un appel à la solidarité.
Mais Machado refuse de céder à cette logique d’exclusion silencieuse :
« Soyons fiers, oui, mais soyons fiers en aidant ceux qui sont dans le besoin. C’est quand quelqu’un est à terre qu’on voit qui est vraiment là pour lui tendre la main. »
La véritable fierté ne réside pas dans la dissimulation des blessures, mais dans la capacité d’une communauté à panser ses plaies ensemble.
Seuls ceux qui « réussissent » mériteraient l’écoute et le soutien dans certains discours. À l’inverse, les personnes marquées par l’addiction, le sans-abrisme ou les troubles mentaux seraient ostracisées, ravalées au rang de « problèmes » plutôt que de personnes.
Un tel aveuglement collectif ne fait que creuser les fractures sociales. Machado le martèle :
« On fait tout à l’envers. Quand quelqu’un est bien habillé, bien propre, tout va bien. Mais quand il est à terre, on veut l’écraser encore plus. »